Critiques Cinéma

SI BEALE STREET POUVAIT PARLER (Critique)

4 STARS EXCELLENT

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SYNOPSIS: Harlem, dans les années 70. Tish et Fonny s’aiment depuis toujours et envisagent de se marier. Alors qu’ils s’apprêtent à avoir un enfant, le jeune homme, victime d’une erreur judiciaire, est arrêté et incarcéré. Avec l’aide de sa famille, Tish s’engage dans un combat acharné pour prouver l’innocence de Fonny et le faire libérer…

En l’espace de deux films, Medicine for Melancholy (2008) et Moonlight (2016), Barry Jenkins a imposé sa singularité dans le paysage cinématographique américain avec la sensibilité à fleur de peau qui illumine ses scènes et le mélange de douceur et de mélancolie qui enrobe ses récits, sans que ceux-ci ne basculent à aucun moment dans une quelconque forme de mièvrerie, d’autant plus qu’il traite de sujets qui ont une forte résonance politique et sociale. Son cinéma est un cinéma du regard, des gestes qui en disent plus que les mots captés par une caméra qui semble être le prolongement du regard d’un metteur en scène qui n’est jamais dans la démonstration ou en surplomb de son récit. Pour engagés qu’ils soient, au regard de leur propos sur la société américaine, ses films sont la preuve que le romantisme n’est pas une valeur désuète réservée à des histoires coupées de toute réalité et que l’on peut soigner la forme, être extrêmement sensible dans son approche de la mise en scène, sans affadir son propos. Trouver cet équilibre est assez miraculeux, d’autant plus quand il s’agit de reprendre les mots et thèmes d’un autre auteur, ce que Barry Jenkins avait déjà fait pour Moonlight qui est l’adaptation de la pièce de Tarell Alvin McCraney : In Moonlight Black Boys Look Blue. 

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Pour son troisième film, Barry Jenkins renouvelle le délicat exercice de l’adaptation avec un roman de James Baldwin, grand auteur et dramaturge, qui fut l’un des plus grands défenseurs de la cause des noirs américains dans une Amérique qui les considérait encore comme des citoyens de seconde zone. Cette adaptation n’est pas neutre et pose une double contrainte qui explique pourquoi,  Si Beale Street Pouvait Parler, ne tutoie, que par instants, les sommets sur lesquels évoluait quasi constamment Moonlight. Celle liée à l’adaptation du roman d’un auteur aussi majeur et respecté que James Baldwin et celle liée au sujet et, on pourrait même dire, la cause, qui est la toile de fond de cette sublime  et très touchante histoire d’amour dans le Harlem des années 70. L’histoire de Fonny (Stephan James) et Tish (Kiki Layne) suffirait à nourrir tout le film auquel elle fournit une sublime matière que Barry Jenkins travaille avec l’extrême sensibilité qu’on lui connait, mais elle a aussi vocation à témoigner des injustices du système judiciaire américain et de la condition des noirs. Barry Jenkins doit ainsi composer avec le souci de respecter le matériau d’origine, ce qui se matérialise dans quelques scènes dans lesquelles on le sent beaucoup moins à l’aise et contraint, mais aussi, dans le souci de donner à son film la dimension politique que portait le roman, qui explique l’utilisation de photos d’archives en noir et blanc, sortant du récit pour illustrer ce qu’était la condition des noirs américains, au delà de celle des personnages du film. Le drame de Fonny est en effet celui de milliers de jeunes gens de cette époque mais fait aussi écho  à des drames beaucoup plus récents, comme celui de Kalief Browder qui en 2015, se suicida en prison, à 22 ans, 3 ans après avoir été arrêté pour un vol qu’il n’avait pas commis et pour lequel il n’avait toujours pas été jugé.

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La narration en voix off, celle de Tish, permet à Barry Jenkins d’explorer l’histoire de ce couple sur plusieurs années, dont celles de leur combat contre un système judiciaire dans lequel la recherche d’un coupable compte plus que celle de la vérité et qui, au final, ne respecte pas plus les droits de la victime, poussée à désigner un innocent pour classer l’affaire. Le récit sonde ainsi les souvenirs, les états d’âme mais aussi la conscience de cette jeune femme de 19 ans, solaire et courageuse, victime collatérale de l’injustice qui frappe celui dont l’amitié depuis l’enfance, puis l’amour, enfin révélé, ont illuminé et transformé la vie. Ce que Barry Jenkins parvient à saisir et transmettre de ce qui se passe entre Tish et Fonny confirme qu’il est un exceptionnel directeur d’acteurs et qu’il n’a que très peu d’équivalents quand il s’agit de capter la naissance du sentiment amoureux, de se connecter intimement aux personnages et faire ressentir viscéralement, par la mise en scène, ce qui les traverse et les anime. La débutante Kiki Layne dont c’est le premier rôle au cinéma et Stephan James, découvert pour son interprétation de Jesse Owens dans La Couleur de La Victoire (Stephen Hopkins, 2016) forment un magnifique couple de cinéma, de ceux qui sont une évidence, auxquels on croit dès la première scène, par la grâce de la mise en scène et de l’alchimie entre deux acteurs magnifiquement dirigés.

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Kiki Layne a un naturel et un mélange de fragilité, de candeur et de force intérieure qui rappelle même Audrey Hepburn. Son visage, la façon dont il s’illumine lorsqu’elle est est avec Fonny, la soudaine gravité qui le traverse dans les épreuves, est la toile parfaite pour un metteur en scène qui travaille autant sur les gros plans, sur une émotion qui vient de l’intériorité de ses personnages et vient saisir le spectateur. Stephan James est une révélation encore plus grande.  C’est une vieille âme dans le corps d’un jeune premier. Son intensité, sa présence, son regard, embrasent la pellicule dès sa première scène. Qu’il n’ait pas été nommé aux Golden Globes, ni aux Oscars, n’enlève rien à sa sublime interprétation et témoigne juste, à nouveau, du peu de crédit qu’il faut donner à ces cérémonies. Avec de tels acteurs, dans leurs scènes, on sent que Barry Jenkins peut se libérer des contraintes du roman et l’on retrouve ce qui faisait la sensualité et même la magie de Moonlight. Par ses gros plans, sa façon de faire entrer ou d’isoler un personnage dans le cadre, puis de son environnement sonore pour suspendre le spectateur à chacun de ses mots, Barry Jenkins fait monter crescendo la tension et l’émotion de ses scènes pour donner naissance à des moments de cinéma uniques, de ceux que l’on emporte avec nous, longtemps après la séance.

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Le film monte si haut dans ces scènes, mais aussi dans la superbe scène entre Fonny et Daniel, son ami traumatisé par son séjour en prison, ou encore dans la scène où la mère de Tish (Regina King) se prépare devant le miroir avant de retrouver celle que la police a forcé à accuser Fonny, qu’il donne forcément le sentiment de retomber dans quelque chose de plus attendu, de moins incarné quand Barry Jenkins se remet dans les pas de James Baldwin. Cette réserve nous retient un peu au moment d’écrire ces lignes, de même qu’elle avait fait retomber une partie de l’émotion qui ne demandait qu’à exploser comme ce fut le cas dans Moonlight, mais elle ne change rien à ce que nous pensons de l’immense et si précieux talent de Barry Jenkins, lequel, après 3 films, peut revendiquer de s’asseoir à la même table que Todd Haynes.

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Titre Original: IF BEALE STREET COULD TALK

Réalisé par: Barry Jenkins

Casting :  Kiki Layne, Stephan James, Regina King, Colman Domingo …

Genre: Drame, Romance

Sortie le: 30 Janvier 2019

Distribué par: Mars Films

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EXCELLENT

 

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