SYNOPSIS: Joan, épouse fidèle du célèbre auteur Joe Castleman, accompagne son mari à Stockholm où il doit recevoir le prix Nobel de littérature. Or dans l’avion, elle comprend petit à petit qu’après de longues années de vie commune, elle ne le supporte plus. Pourquoi ? Le passé et les rancoeurs ressurgissent alors.
Devra-t-elle briser leur secret au risque de tout perdre ?
Il a fallu 14 ans pour monter ce film, adaptation par Jane Anderson (scénariste de la mini-série Olive Kitteridge ) du roman du même nom de Meg Wolitzer publié en 2003, et l’on est bien content que le long-métrage ait réussi à se faire. L’histoire se concentre principalement au moment de la cérémonie des prix Nobel en 1992 (avec des personnages fictifs), qui se déroule en très peu de temps (un à deux jours). Mais le long-métrage est parsemé de flashbacks se déroulant dans les années 60 pour expliquer et explorer la relation du couple Joan et Joseph « Joe » Castleman. Cette alternance entre deux temporalités, présent et passé, est réussie et permet de nous rendre compte de la complexité des personnages et de leurs actes. Au fur et à mesure que le film avance, on peut d’ailleurs se rendre compte de l’amertume et de la cruauté des rapports présents entre Joan et Joe, l’épouse et le mari.
Le film tient en effet sur la révélation graduelle d’un secret, mais il prend son temps et sème le doute : qui a écrit ? Était-ce un duo d’écriture ? Qui mérite la reconnaissance ? A ce propos, on notera dans ce long-métrage l’une des choses les plus fines qu’on ait entendu au cinéma dernièrement : « Tout le monde a besoin d’une validation » (« Everyone needs approval »). Il va même jusqu’à avoir les prénoms de ses personnages se ressembler pour accentuer ce trouble : Joe et Joan. Le long-métrage propose aussi une réflexion sur la littérature, sur comment on écrit, sur le sacrifice, et sur le mensonge en se demandant si ce n’est pas un mal pour un bien parfois. Mais cela vaut-il une vie passée dans le secret ? La mise en scène du Suédois Björn Runge n’est pas originale mais reste discrète et efficace en se concentrant sur les réactions en silence ou non de son personnage principal (voir l’annonce au téléphone de l’obtention du prix Nobel), et sur la révélation d’un secret, scénario assez classique mais fait avec beaucoup de tact et de sincérité, à l’opposé d’un véritable suspense.
L’interprétation fait tout le sel de ce drame. Christian Slater est parfait en journaliste aux dents longues voulant écrire la biographie de Joseph Castleman (Jonathan Pryce). Max Minghella impressionne en fils du couple, jeune homme fragile, autodestructeur et en manque de reconnaissance. Annie Starke, fille de Glenn Close dans la vie, interprète la fameuse « Wife » au moment où elle est étudiante. Le merveilleux et sous-estimé Harry Lloyd campe son professeur et futur mari dans les années 60. Jonathan Pryce est excellent en homme et époux imparfait, un peu dépassé par ce qui lui arrive. Et enfin, le clou du spectacle : Glenn Close. Avec une très grande finesse dans son interprétation, elle représente la tempête sous la glace. Femme patiente et en retrait, toute dédiée au bien-être de son mari, l’actrice est fascinante de bout en bout, parlant peu ou mettant toujours ou presque les formes, sans jamais être une victime malgré les humiliations. Son personnage est toujours mis au second plan par les gens qui l’entourent, mais cinématographiquement elle est toujours filmée au premier plan par la caméra, ou la mise au point est faite sur elle dans le plan.
Il est à noter que plusieurs films récents explorent cette thématique de la véritable paternité d’œuvres et de l’abus de certains maris envers leurs épouses et leurs créations, à travers l’histoire de personnes réelles : Big Eyes (2014) de Tim Burton et cette année Colette de Wash Westmoreland. « Peut-on prendre créativement et artistiquement au sérieux les femmes ? » semblent questionner ces histoires (idée même prononcée par un personnage dans The Wife ), si l’on se fait l’avocat du diable. La réponse est bien sûr oui. On peut aussi mentionner l’année dernière Pentagon Papers de Steven Spielberg qui abordait l’attitude condescendante des hommes puissants à laquelle Kay (Meryl Streep) devait faire face pour gérer le journal Washington Post, ces hommes la reléguant au rang de tapisserie. Ce sont ces mêmes comportements qui sont dénoncés dans The Wife. On peut alors voir ce film comme une œuvre importante de l’ère « Me Too’, et un film féministe, au moment même où sort Une femme d’exception, sur l’avocate américaine Ruth Bader Ginsburg et son combat féministe dans les années 70.
Dit-on suffisamment aux femmes qu’elles peuvent accomplir et réussir ce qu’elles entreprennent ? Non, on ne le dit jamais assez, et si ce film peut offrir une histoire stimulante, valorisante, encourageante, inspirante alors il est important. Il faut aussi voir le fabuleux discours de Glenn Close début janvier 2019 lorsqu’elle a remporté le Golden Globe de la Meilleure Actrice qui vient souligner cette idée. On peut aussi suggérer que cette histoire marcherait très bien au théâtre car elle est proche du huis clos et mériterait d’être racontée sous cette forme. The Wife n’est pas un immense film, mais un bon film sur l’émancipation tardive d’une femme qui a la modestie et l’honnêteté de son personnage principal, et qui est porté par une immense comédienne, et ça c’est déjà très bien ! Pour finir, on parie que Glenn Close remportera (enfin !) l’Oscar fin février !
Titre Original: THE WIFE
Réalisé par: Björn Runge
Casting : Glenn Close, Jonathan Pryce, Christian Slater …
Genre: Drame, Thriller
Sortie le: 23 janvier 2019
Distribué par: en e-cinema par TF1 Studio
EXCELLENT
Catégories :Critiques Cinéma