Critiques Cinéma

LE JEU (Critique)

SYNOPSIS: Le temps d’un diner, des couples d’amis décident de jouer à un « jeu » : chacun doit poser son téléphone portable au milieu de la table et chaque SMS, appel téléphonique, mail, message Facebook, etc. devra être partagé avec les autres. Il ne faudra pas attendre bien longtemps pour que ce « jeu » se transforme en cauchemar.

On avait quitté Fred Cavayé sur ce qui nous semblait être une reconversion de fortune après le succès de Radin avec Dany Boon sauf que à notre grande surprise le réalisateur de Pour Elle s’était investi à fond dans ce projet de comédie, un genre qu’il revendiquait aimer et connaitre (il a dirigé un café-théâtre en Bretagne avant de faire du cinéma puis il a notamment écrit pour Caméra Café) et dont il avait fait ses premières velléités avant que les hasards de la vie ne le conduisent sur la voie du film de genre. Force est de constater que l’expérience de Radin ne l’a en tout cas pas incité à repartir crapahuter dans les sentiers escarpés du thriller puisqu’il revient avec Le Jeu, une comédie noire et grinçante tout aussi inattendue que Radin mais pleine de surprises et d’une profondeur que l’on n’attendait pas forcément avec ce type de sujet et de dispositif. Remake d’un film italien Perfetti Sconosciuti adaptée également en 2017 par Alex de la Iglesia en Espagne, Le Jeu a ceci d’intéressant en ce qu’il traite d’un sujet universel où chacun pourra reconnaître ses petits ou gros travers sous le vernis de la lâcheté qui se propage à vitesse grand V à chaque protagoniste et à chaque nouveau mensonge. Les dîners entre amis qui dégénèrent ont souvent donné lieu à des comédies savoureuses. On pense notamment au film de Danièle Thompson Le Code a Changé ou au Prénom pour les plus récents et les plus marquants. A ce dernier, Le Jeu emprunte le principe du huis-clos dans un appartement cossu où l’action va se retrouver circonscrite 1h30 durant. Claustrophobes de tous poils et autres allergiques aux deux-pièces cuisines si souvent stigmatisés lorsque l’on évoque le film d’auteur français n’ayez crainte, Fred Cavayé réussit parfaitement à faire en sorte que l’on ne se sente pas piégé par l’unité de lieu et aucune sensation d’étouffement ou de lassitude des décors ne se fait sentir. Au contraire en jouant avec les perspectives sa science de la technique et de la composition des plans, il parvient à donner de l’ampleur et de la profondeur à ce qui pourrait singulièrement en manquer.

Car loin d’être uniquement illustrative la mise en scène de Fred Cavayé insuffle à la fois un rythme mené tambour battant mais jamais hystérique (impression renforcée par l’excellente musique du film) et par le suspense instillé ça et là et favorisant cette mise sous tension qui place le spectateur aux aguets, ne sachant quelle catastrophe va survenir une fois le prochain message venu. Mais là où le film réussit vraiment sa mission c’est en ne cédant pas à la facilité d’un humour balourd, à coup de blagues potaches ou de punchlines gratuites sans autre but narratif que de faire se gondoler les masses. On se surprend à rire évidemment, car les bons mots sont aussi là, mais également à être émus, piégés par une émotion inattendue, notamment au cours d’une scène d’une justesse rare où l’émotion est aussi saisissante que fugace. On l’a dit, l’émotion et l’humour sont là mais là où les règles du Jeu sont le plus surprenantes c’est dans la noirceur sous-jacente des propos, bien loin des comédies lambda qui pullulent sur les écrans et dans certaines situations décalées qui servent la narration et ne la plient pas pour la faire avancer artificiellement. Car on n’est pas loin par moments d’assister à un vrai jeu de massacre où les conventions sont mises à mal. Rien de révolutionnaire cependant mais suffisamment singulier dans un cinéma français qui privilégie trop souvent la facilité dans ce type de production. Au-delà des deux films cités plus haut, on pense également à Cuisine et Dépendances de Philippe Muyl (1992) ou dans une moindre mesure à Carnage de Roman Polanski (2011) pour le déraillement  des situations et leurs conséquences conflictuelles qui finissent par y être associées.

Tout le dispositif pourrait pourtant s’effondrer à tout moment sans un véritable esprit de troupe que Cavayé semble avoir insufflé à ses comédiens. Non seulement il dispose d’un  casting de haut vol (Bérénice Béjo, Stéphane de Groodt, Vincent Elbaz, Doria Tillier, Grégory Gadebois, Suzanne Clément, Roschdy Zem) mais il donne à chacun le moyen d’exprimer leur talent par petites touches. Aucun ne tire la couverture à lui et c’est aussi dans l’osmose de la distribution que le film trouve sa respiration et son rythme. Si chacun semble bénéficier de l’émulation collective, aucune performance individuelle ne peut réellement être ressortie du lot et comme dans tout bon jeu de société qui se respecte, si aucun des participants ne triche et que chacun se donne à fond pour gagner, c’est l’entreprise toute entière qui en sort vainqueur. Si l’on a quelques réserves sur l’issue du film qui donne la sensation d’un appel d’air qui met un peu à mal tout ce qui s’est passé avant, en réussissant à faire jouer collectif sa troupe de comédiens et en adaptant les spécificités transalpines à nos modes de vie pas si différents, Fred Cavayé prouve qu’il est un homme de tous les genres et que, de la comédie ou de l’action, il est avant tout un auteur au sens le plus noble du terme.

Titre Original: LE JEU

Réalisé par: Fred Cavayé

Casting: Bérénice Béjo, Stéphane De Groodt, Doria Tillier,

Vincent Elbaz, Suzanne Clément, Roschdy Zem, Grégory Gadebois…

Genre: Comédie dramatique

Sortie le: 17 octobre 2018

Distribué par: Mars Films

TRÈS BIEN

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