Critique Livres

Les Serpents Sont-Ils Nécessaires par Brian De Palma et Susan Lehman (Critique Livre)

Résumé du livre: Barton Brock est directeur de la campagne d’un sénateur américain nommé Joe Crump. Peu scrupuleux, il juge que tous les coups sont permis, raison pour laquelle il recrute une jeune serveuse nommée Elizabeth de Carlo afin de compromettre l’adversaire de Crump, don Juan notoire. Mais Elizabeth a plus d’un tour dans son sac…

On aura rarement autant parlé de Brian De Palma en France depuis quelques années. Il faut dire que 2018 est une année chargée pour lui: rétrospective à la Cinémathèque, un film achevé (Domino) toujours en attente de date de sortie après une production chaotique et un nouveau projet inspiré de l’affaire Weinstein en cours d’écriture (Predator). L’actualité de l’héritier spirituel du grand Hitch aura rarement été aussi chargée pour celui qui s’était éloigné des plateaux de tournage (Passion, son dernier film a déjà 6 ans) et qui fuit les interviews comme la peste. Au milieu de cette importante actualité cinématographique vient s’ajouter une nouvelle corde à l’arc du maître, ses débuts de jeune auteur en compagnie de Susan Lehman, ancienne journaliste du New York Times (et Mme De Palma à la ville), avec laquelle il a écrit à 4 mains cette première œuvre littéraire qui est pour le moment une exclusivité française, publiée dans la prestigieuse collection Rivages/Noir. Nous précisons d’emblée que sans réduire l’importance de Susan Lehman dans l’écriture de ce livre, nous nous concentrerons plus ici sur l’intégration de ce polar au sein de l’œuvre globale de Brian De Palma pour des raisons explicites qui seront développées tout au long de cette critique. Finalement, reconnaît on les thèmes si chers au faiseur d’images qui nous a marqué la rétine avec Carrie, Phantom Of Paradise, Les Incorruptibles, Blow Out, Scarface ? Arrive t’il, avec l’aide de sa co-autrice, à manier les mots avec autant de maestria que sa caméra ?

Malheureusement, le bilan ne sera pas dithyrambique pour ce coup d’essai littéraire. Si les amoureux du cinéma du maître s’amuseront à imaginer le film que ce récit aurait pu donner ou s’amuser au jeu des 7 erreurs avec le reste de sa filmographie, tant ce roman transpire la patte si reconnaissable de son auteur principal, les amoureux de littérature en seront pour leurs frais face à ce polar à l’écriture chiche, parfois trop prévisible et finalement peu inspiré quand on le replace dans la carrière du bonhomme. De Palma est de son propre aveu un réalisateur visuel avant tout. Les scénarios qu’il a pu écrire, à savoir à peu près la moitié des films que compte sa carrière, sont des prétextes à la mise en scène, à jouer avec les cadres, la musique, la photographie et le montage, des squelettes pour donner corps à ses visions et thématiques de prédilections, notamment celle du pouvoir des images elles-mêmes et de leurs relations troubles avec la quête de vérité, pouvant être aussi révélatrices que falsificatrices. Privé de ces dernières, Les Serpents Sont-ils nécessaires donne l’impression d’un scénario de série B écrit pour De Palma mais retoqué par les tous les studios hollywoodien (c’est l’origine même de ce projet né d’une idée de script finalement jamais développé) et qui faute de mieux, a été recyclé sous forme de roman.

Ici pas le temps de décrire les lieux visités, de s’appesantir sur la psychologie des personnages et d’imposer une ambiance digne de ce nom à cet univers impitoyable que peut être les coulisses du monde politique… Tout le récit n’est basé que sur l’action et les dialogues de ses personnages, seuls éléments d’écriture ou De Palma se considère bon (de son propre aveu dans le livre d’entretiens que lui ont consacré Samuel Blumenfeld et Laurent Vachaud) tandis que Lehman l’a aidé pour tout le reste, notamment sur les personnages eux mêmes. Le tout est écrit et mis en page dans un style extrêmement sommaire, amplifiant l’aspect de script à peine novéliser. Ironiquement, ce procédé d’écriture “sèche” dans lequel “less is more” pourrait évoquer un maître du polar dont De Palma a adapté un chef-d’œuvre sur grand écran, adaptation reniée depuis par l’auteur himself: James Ellroy. Mais si l’auteur du Dalhia Noir est un ennemi du style pour aller à l’essentiel et un adepte de la phrase courte, il n’hésite pas à multiplier ces dernières pour imposer un rythme fiévreux à son récit. Une nécessité de l’écriture livrant un portrait tentaculaire de l’ambiance urbaine, crasse, corrompue du Los Angeles d’antan dans toutes les strates qui la compose, miroir des esprits torturés de ses protagonistes et allégorie d’une Amérique malade déjà probablement incurable à l’époque.

Ce n’est malheureusement pas le cas ici. Les personnages y sont à peine esquissés et peinent à nous faire ressentir de l’empathie. Les péripéties, bien que nombreuses, sont souvent trop prévisibles pour les amateurs de polar ou les fans du réalisateur, annihilant le choc de certaines révélations ou le suspense de certaines scènes. Cette parcimonie de background doublé de l’absence d’images formant habituellement le cœur des films de De Palma laisse ici une histoire racontée trop platement pour nous transporter. L’intérêt de la lecture se situant plus dans l’exercice de style théorique intéressant à décortiquer pour l’aficionado que dans l’intrigue elle même. Ce n’est pourtant pas faute de rebondissements, le livre étant un véritable cabinet des curiosités “depalmaesque” où toutes ses marottes sont convoquées: complot, sexe, mélodrame, suspens, trahison, meurtres, sacrifice, twist, réflexion sur le pouvoir des images et même références directes et indirectes à Hitchcock (on appréciera d’ailleurs la couverture au design très hitchcockien trouvé par l’éditeur français), tout y est.

On note en plus ici et là des pistes intéressantes, notamment sur la communication à l’ère moderne des politiciens, une réflexion sur les documentaires 2.0 et l’impact des images sur les réseaux sociaux qui laisse rêveur de voir De Palma s’attaquer frontalement à cette matière riche… Dans un film. Comme ses quelques piques sur la realpolitik, inspirés de faits divers récents de la politique américaine qui prouve que De Palma en a encore sous le pied pour traiter de sujet sulfureux avec un cynisme et un humour noir pour le coup particulièrement réussi. Pour un premier roman, De Palma et Lehman livrent une copie pas totalement inintéressante pour les cinéphiles acharnés en manque du réalisateur de Pulsions, L’impasse ou encore Mission Impossible premier du nom mais un piètre thriller politique pour les “simples” lecteurs, offrant un bouquin se consommant aussi vite qu’il s’oublie. Si la déception est présente pour ce changement de médium, ce dernier a le mérite de nous rappeler que De Palma est toujours là, qu’il a toujours des histoires à raconter et de raviver notre envie de le revoir derrière une caméra pour donner vie à ses squelettes.

Photos : © Mathieu Lemoine (2018)

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