SYNOPSIS: Olivier se démène au sein de son entreprise pour combattre les injustices. Mais du jour au lendemain quand Laura, sa femme, quitte le domicile, il lui faut concilier éducation des enfants, vie de famille et activité professionnelle. Face à ses nouvelles responsabilités, il bataille pour trouver un nouvel équilibre, car Laura ne revient pas.
Pour qui a vu le délicieux, doux et sensible Keeper, son premier film, ce n’est pas une surprise. Guillaume Senez est un réalisateur talentueux qui aime ses personnages et ses acteurs et les observent à la loupe pour en faire jaillir l’humanité brute. Le miracle qu’il produisait dans Keeper, si il n’était pas exempt de défauts inhérents à un premier film, n’en était pas moins prodigieux tant la vie, la vérité nue et la quintessence des personnages ressortaient du lot. Avec Nos Batailles présenté en séance spéciale à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes 2018, il récidive, mais en partant d’un postulat que l’on dirait plus mur, plus dense, traversé d’éclats de sincérité et d’émotion qui étreignent le cœur et vous font traverser un grand huit émotionnel avec l’air de ne pas y toucher. Si Keeper parlait du poids des responsabilités qui pesaient sur de jeunes adolescents qui devenaient parents prématurément, Nos batailles s’appuie sur le vécu de Guillaume Senez et raconte également le poids de la paternité et des responsabilités écrasantes qui en découlent mais en s’intéressant cette fois-ci au père, chef d’équipe dans une usine qui se retrouve du jour au lendemain à devoir faire face au départ de sa femme et à devoir gérer le quotidien. Le sien, celui des ouvriers qu’il dirige et surtout celui de ses deux jeunes enfants. Confronté à une situation qui le dépasse, débordé par ses activités syndicales, ce dernier se retrouve vite sous l’éteignoir et doit entamer des combats perpétuels autant personnels, professionnels que familiaux.
Écrit avec une plume acérée par Guillaume Senez et Raphaëlle Desplechin, Nos Batailles est un film qui dépeint avec beaucoup de précision et de justesse à la fois le monde du travail vu du côté des ouvriers, racontant en creux l’exploitation et le mépris dont ils sont victimes de la part du patronat mais aussi les gestes nécessaires d’un père de famille, la prévenance et la présence, des notions essentielles déléguées des années durant et avec lesquelles la réalité vous force à renouer. Avec une délicatesse infinie, le film avance au gré de situations qui s’entrecroisent, entre la pression sociale de l’entreprise (le spectre du licenciement, la petite chef menaçante, les conditions de travail déplorables…) et le deuxième travail, celui de père de famille, devant préparer les affaires le matin, faire à manger, veiller à ce que les devoirs soient faits, que le brossage des dents soit effectué ou à assurer les rendez-vous avec la maitresse d’école. C’est dans ce va-et-vient continuel entre ces deux emplois à plein temps que le film tire toute sa richesse et sa dimension bicéphale de film politique et sociétal. Nos Batailles montre avec plein d’à-propos la nécessité de vivre sa vie de famille et de s’en nourrir plutôt que de la délaisser au profit d’un emploi vorace et le scénario décrit brillamment la complexité et la dualité de ces deux situations.
Avec sa méthode de travail à base de traitement puis d’improvisation, le réalisateur franco-belge aurait très vite pu glisser vers le pathos avec ce récit à forte charge émotionnelle, mais par l’acuité de son regard, la puissance des situations qu’il met en scène avec une économie de moyens sidérante ce qui en décuple la force, il évite ce piège avec maestria. Au lieu de ça il nous bluffe par les liens qu’il tisse entre ses personnages dont chacun existe pleinement et il nous offre des morceaux bruts d’humanité qui nous sautent au visage, nous agrippent le cœur et les tripes et nous piquent les yeux. A ce travail d’orfèvre, il faut associer évidemment les acteurs et si Romain Duris est admirable et que sa prestation est prodigieuse c’est parce qu’il est entouré de stradivarius (Lucie Debay, Dominique Valadié, la toujours étonnante et merveilleuse Laure Calamy et la fabuleuse Laetitia Dosch qui en quelques scènes à peine bouffe l’écran). Sa complicité avec Duris et la justesse de leurs échanges nous valent les plus belles scènes du film, des moments de respiration en apesanteur dans un récit pesant mais jamais étouffant. Et il ne faudrait pas oublier les deux jeunes interprètes qui jouent les enfants d’Olivier, Lena Girard Voss et Basile Grunberger vecteurs d’émotions intenses et représentatifs du cinéma sensitif revendiqué par le réalisateur. On a dit tout le bien que l’on pensait de la prestation de Romain Duris qui trouve là un des rôles phares de sa carrière où il est à la fois la voix d’un discours affirmé et un acteur au plus près de l’os de la vie. Son jeu nuancé, jamais dans la plainte, la flagellation ou l’apitoiement est un modèle de naturalisme et il a rarement été aussi désarmé et aussi touchant. Guillaume Senez, avec ce deuxième film prend une dimension spectaculaire œuvrant dans un cinéma tout à la fois intimiste et généraliste qui nous tend un miroir où refléter notre humanité. Avec ses accents de poésie déchirants que ce soit sur Le Paradis Blanc de Berger ou grâce à un dernier plan magnifique, Nos Batailles seront les vôtres, les nôtres, les leurs. N’hésitez pas à les mener!
Titre Original: NOS BATAILLES
Réalisé par: Guillaume Senez
Casting : Romain Duris, Laetitia Dosch, Laure Calamy …
Genre: Drame
Sortie le : 03 octobre 2018
Distribué par: Haut et Court
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Catégories :Critiques Cinéma
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