Critiques Cinéma

LES CONFINS DU MONDE (Critique)

SYNOPSIS: Indochine, 1945.
Robert Tassen, jeune militaire français, est le seul survivant d’un massacre dans lequel son frère a péri sous ses yeux. Aveuglé par sa vengeance, Robert s’engage dans une quête solitaire et secrète à la recherche des assassins. Mais sa rencontre avec Maï, une jeune Indochinoise, va bouleverser ses croyances. 

A Cannes, quand un cinéaste est rétrogradé de la compétition officielle à une section parallèle, c’est rarement bon signe, même si chaque règle a son exception. C’est aujourd’hui Guillaume Nicloux, réalisateur français un peu à part dans la mosaïque du ciné hexagonal actuel de par ses ambitions et son imprévisibilité, qui en fait les frais, lui qui avait connu l’honneur de fouler le prestigieux tapis rouge en 2015 avec le mystique et très bon Valley of Love et qui revient aujourd’hui sur la croisette avec Les confins du monde, produit par Sylvie Pialat – devenue une de ses collaboratrices privilégiées – et présenté en avant-première à la Quinzaine des Réalisateurs, et non devant le jury présidé par Cate Blanchett. Baisse de régime méritée ?

En 1945, l’Indochine est une poudrière. Les japonais envahissent le pays, le gouvernement local tente de résister à la colonisation française. Robert Tassen, jeune soldat (Gaspard Ulliel), survit au dernier massacre perpétré par Vo Binh Yen, lieutenant d’Ho Chi Minh, au cours duquel son frère a péri sous ses yeux. Obsédé par l’idée secrète de venger la mort de ses proches en exécutant leur assassin, il rejoint alors le régiment du Capitaine Sirbon aux côtés de Cavagna (Guillaume Gouix), militaire français dont il devient l’ami, mais sa rencontre avec Saintonge, un écrivain (Gérard Depardieu), et surtout avec Maï, une prostituée indochinoise (Lang-Khê Tran) dont il tombera amoureux, va bouleverser ses croyances.

Sur un sujet casse-gueule (la guerre d’Indochine), rarement abordé au cinéma en France (tout juste peut-on évoquer Indochine de Régis Wargnier et surtout l’excellent La 317ème section de Pierre Schoendoerffer, d’ailleurs cité par Guillaume Nicloux en référence), Guillaume Nicloux ne s’en tire pas trop mal, livrant un film de guerre ambitieux mais assez inégal à l’arrivée. L’ouverture magistrale, dotée d’un plan inaugural magnifique et symboliquement puissant – qui sera d’ailleurs repris presque tel quel dans les toutes dernières secondes – figure un Gaspard Ulliel fantomatique à la fois livide, sans voix, le regard vide, assis au milieu du cadre. Revenu d’entre les morts (?) suite au massacre du 9 mars 1945 pour baigner ensuite dans une sorte de purgatoire nébuleux pendant tout le reste du film, Nicloux le (nous) plonge en plein cœur du conflit indochinois avec un certain aplomb et une violence non retenue, n’y allant pas par quatre chemins pour dévoiler la cruauté des affrontements.

Provoquant l’immersion du spectateur, le réalisateur n’hésite pas en effet à filmer l’horreur locale (têtes coupées, corps démembrés, blessés mutilés) et s’appesantir sur le calvaire de ces hommes qui se sont battus dans un environnement hostile, en conditions extrêmes (chaleur, mousson, maladies tropicales, délire occasionné par la consommation d’opium), espérant ainsi naviguer dans le sillon creusé par d’autres maîtres avant lui (avec, entre autres, Francis Ford Coppola avec Apocalypse Now, et Werner Herzog pour Aguirre, la colère de Dieu). A cet égard, Les confins du monde s’avère plutôt réussi, Guillaume Nicloux n’est pas un manche (Scope magnifique, chapitrage temporel malin, sens de l’ellipse), sait raconter une histoire, créer une ambiance toujours à la lisière du fantastique (on dit de Vo Binh qu' »il est partout », il est pourtant nulle part, tel un spectre) et offrir quelques beaux moments de cinéma, bien servi par une atmosphère de jungle convaincante, une somptueuse photographie, signée David Ungaro, des sonorités inquiétantes et l’implication totale des comédiens hallucinés Gaspard Ulliel et Guillaume Gouix (on partage aisément leurs doutes, leur frayeur et leurs motivations).

C’est plutôt dans ses aspirations « romantiques » que le film rate complètement le coche, avec une histoire d’amour poussive impliquant le soldat Tassen et l’indochinoise Maï. Plombée par des dialogues pas fameux et une maladresse sociale ahurissante, cette romance ayant pour but de révéler le conflit qui bouillonne chez Tassen (le moteur vengeur du personnage confronté à la passion amoureuse pour le ramener du côté des vivants) et d’offrir un peu d’air frais dans ce film pesant, n’est jamais crédible. Au milieu de tout ça, on saluera tout de même les apparitions furtives, parfois étranges (comme son arrivée dans le champs lors de sa première scène) mais efficaces de Gérard Depardieu, qui, en écrivain perdu, détaché et assimilé par Tassen à un père de substitution, sorte d’ange protecteur, parvient à délivrer un discours poignant et profond sur le deuil, comme pour ajouter une dimension complémentaire au mystique Valley of Love et au minimaliste The End. A la vue des Confins du monde, on comprend pourquoi le cinéaste se voit reconduire à Cannes seulement à la Quinzaine et non en compétition officielle. L’ambition est là, le résultat en demi-teinte.

Titre Original: LES CONFINS DU MONDE

Réalisé par: Guillaume Nicloux

Casting : Gaspard Ulliel, Guillaume Gouix, Gérard Depardieu …

Genre: Historique, Guerre

Date de sortie: 5 décembre  2018

Distribué par: Ad Vitam

BIEN

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