SYNOPSIS: Le commandant Kepler souffre du syndrome de dissociation des personnalités. Muté à Calais, il se reconstruit avec sa femme et sa fille. Mais le corps d’une lycéenne est retrouvé dans un camp de migrants. Kepler, contraint de retourner sur le terrain, doit faire équipe avec Alice, jeune flic locale qui va être son guide et le témoin inquiet de sa chute.
Sur le papier déjà Kepler(s) était séduisant. Une distribution de premier ordre, un réalisateur chevronné, un pitch intrigant concocté par un duo de scénaristes qui promettait de faire des étincelles. La visite sur le tournage en novembre 2017 avait confirmé l’esprit de troupe qui semblait présidé aux destinées de la série, la solidité et la complicité du duo vedette mais aussi le plaisir de travailler ensemble qui semblait émaner d’une équipe solidaire, impliquée et tous tendus vers le même objectif : Faire triompher la singularité en embrassant le genre et en essayant de le transcender. La présentation lors du Festival Séries Mania des deux premiers épisodes de Kepler(s) (longtemps titré Charon, la série a changé de patronyme in-extremis) a confirmé le ressenti initial. La série possède un vrai ton, un véritable univers et une qualité formelle qui lui permettent de détonner au milieu de programmes plus stéréotypés. Et paradoxalement, excellent signe, la frustration finit par l’emporter. Car oui, nous sommes tenus en haleine de façon permanente mais quand à l’issue du second épisode on sait que l’on devra attendre de longues semaines avant de voir la suite, tant le cliffhanger réussit son effet, on se retrouve avec un sentiment de trop peu qui ne demande qu’à être assouvi.
Kepler(s) prend pourtant son temps pour démarrer et avance ses pièces sur l’échiquier petit à petit avec méticulosité et précaution. Ne pas trop en dire ou en montrer pour nous immerger dans cette ambiance sombre et glauque et nous agripper à notre siège. Si la curiosité pour la dissociation des personnalités de Kepler et son traitement est évidemment l’un des paramètres les plus intrigants de la série, les scénaristes Jean-Yves Arnaud et Yoann Legave y vont crescendo pour la faire découvrir aux téléspectateurs. S’il faut se faire au rythme de cette introduction efficace mais distendue, la qualité de l’ensemble et la partition que les comédiens partagent unanimement sur une même tonalité permettent de passer outre l’envie que la dramaturgie ne s’emballe. L’enquête policière n’a rien de révolutionnaire mais cette plongée aux confins du genre, là où se rencontrent le polar traditionnel et la singularité du personnage principal, permettent de trancher avec le tout venant et d’imposer sa spécificité. Quant aux migrants et la jungle de Calais, il était d’emblée clair que n’était pas le sujet central de la série mais le contexte dans laquelle elle se déroule et comme nous l’avait confié Sofia Essaïdi « c’est l’histoire de deux flics qui ont des handicaps et qui vont s’entraider pour résoudre une enquête. » Kepler(s) est réellement ambitieux pour une fiction de service public en ce que la série invente, propose et ose. On pense à l’univers d’un Jean-Christophe Grangé, on peut aussi y voir quelques rapprochements avec la mini-série d’Arte Maroni ou avec le travail d’Hervé Hadmar et Marc Herpoux, dans leur initiative commune de casser les codes du polar tels qu’on les connait pour arborer des facettes moins manichéennes. En cela voir de jeunes auteurs qui dévoilent d’ores et déjà une maturité et une personnalité atypiques est un fait qu’on ne peut que saluer.
Si Kepler(s) est bien écrit, les comédiens permettent de sublimer le texte par leurs intentions et leurs convictions. Marc Lavoine y démontre à nouveau tout son talent aidé par le fait qu’ici son personnage souffre d’une maladie qui l’oblige à cohabiter avec trois autres personnalités lui permettant ainsi d’explorer des terrains de jeu où il peut exprimer à la fois tout son potentiel et s’aventurer également hors de sa zone de confort, la séduction ou les airs pénétrés n’étant pas les seules composantes à être de mises vu la densité de ce qu’il a à interpréter. Son duo avec Sofia Essaïdi fonctionne parfaitement, la comédienne faisant preuve d’un réel abattage, leur complicité saute aux yeux et dès qu’ils n’apparaissent pas ensemble à l’écran, on souhaite qu’ils se retrouvent, tant leur alchimie est patente. Les personnages secondaires ne sont pas en reste, interprétés par d’excellents comédiens avec de vraies situations à défendre, chacun dans une couleur différente, l’uniformisation étant bien loin des ambitions créatives. Isabelle Renauld, Elodie Navarre, Cyril Lecomte, Serge Riaboukine, Stephan Guerin-Tillié forment un ensemble homogène et Kepler(s) fait résonner sa mélodie grâce à un jeu au diapason les uns des autres. A la réalisation, Frédéric Schoendoerffer (Braquo, Scènes de Crime, 96 Heures…) impose une patte formelle soignée et une mise en scène efficace. Il confirme sa capacité à créer un univers singulier, bien aidé par les paysages à sa disposition. Alors il faudra évidemment juger Kepler(s) dans sa totalité pour être sûr que le pari est gagné mais cette mise en bouche permet d’exhaler des saveurs que l’on ne ressent pas tous les jours devant des fictions françaises comme l’inconnue et l’audace.
Crédits: France 2 / En Voiture Simone