SYNOPSIS: En 1885, dans un village du Nevada, un homme annonce que le fermier Kinkaid a été assassiné. Un autre donne une autre version des faits. Le shérif étant absent, le meilleur ami de Kinkaid, aidé d’un commandant sudiste et d’un shérif adjoint, vont former une milice malgré l’opposition du juge.
Quels sont les mécanismes qui permettent d’expliquer qu’un individu pris dans un mouvement collectif puisse perdre de vue les principes et valeurs qui avaient jusque là guidé son existence, pour participer à un lynchage, être l’un des bras vengeurs d’une foule devenue bête sauvage et bourreau d’un coupable désigné par un cocktail explosif de haine et de peur? Cette question, au cœur de ce qu’on appelle l’étude de la psychologie de la foule, traitée notamment dans les essais de Gabriel Tarde et Gustave le Bon, offre une matière hautement inflammable dont la puissance dramaturgique a embrasé la pellicule de films devenus des grands classiques du cinéma américain. Le premier film qui vienne à l’esprit est Furie (Fritz Lang, 1936) dans lequel Spencer Tracy (Joe Wilson), dont le seul tort est de s’être trouvé au mauvais endroit au mauvais moment, est accusé d’enlèvement, pourchassé, emprisonné puis laissé pour mort par une foule ivre de haine. Avec La Poursuite Impitoyable (1966), Arthur Penn a livré une autre version de la chasse à l’homme, celle ci visant cette fois non plus un « étranger » mais un homme victime de son passé, dont la seule présence est vécue comme une menace insupportable. Là ou les films de Lang et Penn adoptent principalement le point de vue de la victime que l’on suit dès le début du récit, The Ox-Bow Incident se place au cœur de la foule, le personnage central du récit étant un cowboy, Gil Carter (Henry Fonda), de retour dans sa ville, au moment où ses habitants sous l’impulsion de quelques leaders et obéissant à leurs instincts les plus primitifs, organisent une expédition pour retrouver le coupable du meurtre de l’un des leurs. Quatorze ans avant Douze Hommes en colère, Henry Fonda incarne déjà la voix de la raison et de la justice qui s’élève contre un jury qui s’apprête à condamner un innocent.
Il s’agit alors du premier western de William A. Wellman, lequel après avoir lu le roman éponyme de Walter Van Tilburg Clark (lui-même tiré d’une histoire vraie) en racheta les droits initialement acquis par la Paramount, puis obtint de Darryl F. Zanuck qu’il le produise pour la 20th Century Fox. Pour son premier western, Wellman emmène le genre sur des territoires jusque là restés inexplorés, la noirceur de The Ox-Bow Incident préfigurant une nouvelle ère pour un genre devenu plus conscient des tragédies qui se sont déroulées dans ces majestueux paysages. De fait, The Ox-Bow Incident invite plus à l’introspection qu’à l’aventure, la carte postale des paysages du grand ouest étant ici remplacée par une peinture sombre de la violence de cette époque et de ses injustices. William A. Wellman réalise ainsi un western sans acte de bravoure, sans enjeux amoureux, sans lyrisme, sans conquête de nouveaux territoires, une sorte de Western noir, tourné en partie en studio, s’affranchissant des conventions classiques pour dresser un portrait très sombre de cette époque. Le scenario de Lamar Trotti (par ailleurs scénariste de plusieurs films de John Ford) multiplie les entrées dans ce western transformé en drame qui se vit d’abord du point de vue de l’observateur impuissant d’une injustice, mais aussi de celui des trois victimes et du fils d’un des principaux meneurs de cette expédition, bien décidé à rendre justice avant que ne rentre le Shériff.
The Ox-Bow Incident, dans sa construction, excelle à nous faire comprendre les mécanismes de la propagation d’une rumeur et ses effets sur ceux qui la prennent comme une vérité établie. C’est en effet sur les seuls dires d’un témoin indirect de ce qui semble être un meurtre, sans certitude que la victime soit bien décédée, sans le commencement d’une preuve sur l’identité de son agresseur, que se met en place une implacable mécanique dans laquelle la haine et la volonté de vengeance se transmettent comme un virus à la majorité des habitants de cette petite ville. Le scénario ne livre pas d’informations au spectateur lui permettant d’être en avance sur le récit. Il se trouve dans la position de ceux qui vont sur la seule foi de ces propos rapportés basculer dans la haine ou, comme Henry Fonda et une poignée d’hommes, garder la tête froide. Les coupables désignés sont un père de famille (Dana Andrews) et ses deux compagnons de route: un vieil homme et un mexicain (Anthony Quinn) dont la nationalité n’est pas neutre dans la suspicion qu’il inspire à ce posse comitatus. Ce terme désigne un groupe d’hommes mandatés par le shériff pour l’assister dans une arrestation ou opération de maintien de l’ordre. Le film de William A. Wellman est très clair sur le danger que peuvent représenter ce type d’expédition et montre bien comment une sorte d’excitation malsaine peut gagner les personnes choisies pour y participer, leur donner un sentiment de toute puissance et les aveugler. L' »incident » relaté dans le film n’est par ailleurs pas isolé et l’on trouve trace dans l’histoire américaine d’autres drames comme le Massacre de Lattimer en 1897, au cours duquel un shériff et son posse ont abattu, en leur tirant dans le dos, 19 mineurs grévistes refusant de se disperser.
William A.Wellman fait le meilleur usage possible d’une matière qui se passe de « sur-dramatisation », en s’attachant d’abord à nous placer au centre de ce simulacre de justice, aux côtés de ces trois hommes encerclés par ce posse devenu jury dont les visages accusateurs nous sont montrés dans un lent travelling particulièrement glaçant. Le travail sur la lumière d’Arthur C Miller (directeur de la photographie qui sera nommé 7 fois à l’oscar entre 1940 et 1947 et en remporta 3) est magnifique, son noir et blanc se fait crépusculaire dans les derniers instants des condamnés, alors qu’apparaissent les premières lueurs du soleil. Alors que le manque de moyens du film tourné pour l’essentiel en studio aurait pu être rédhibitoire, cela finit au contraire par servir son propos, le faire échapper aux conventions classiques du Western et l’emmener vers le film noir et le drame. Contrairement au film de Fritz Lang, The Ox-Bow Incident n’offre pas de rédemption à ses bourreaux qui sont montrés dans toute leur veulerie, leur lâcheté, jusqu’à un final inoubliable qui offre à Henry Fonda l’une des plus belles scènes de toute sa filmographie. Pas de place pour un final hollywoodien ici. C’est une des raisons pour lesquelles le film de Wellman est le western préféré de Samuel Fuller et, vous l’aurez compris, nous ne sommes pas loin de lui emboîter le pas.
Titre Original: THE OX-BOW INCIDENT
Réalisé par: William A. Wellman
Casting : Henry Fonda, Dana Andrews, Anthony Quinn …
Genre: Western
Sortie le : 21 mai 1943
CHEF-D’ŒUVRE
Catégories :Critiques Cinéma