Critiques Cinéma

MOI, TONYA (Critique)

4,5 STARS TOP NIVEAU

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SYNOPSIS: En 1994, le milieu sportif est bouleversé en apprenant que Nancy Kerrigan, jeune patineuse artistique promise à un brillant avenir, est sauvagement attaquée. Plus choquant encore, la championne Tonya Harding et ses proches sont soupçonnés d’avoir planifié et mis à exécution l’agression…

Le patinage artistique a beau être un sport qui a produit de très grands champions au parcours inspirant, tant il a exigé d’eux une discipline de fer et d’immenses sacrifices dès l’enfance, il fait partie de ces disciplines largement ignorées par le cinéma. La faute sans doute, à l’image très lisse qu’il peut renvoyer, celle d’un sport corseté par des règles très strictes lissant les personnalités de ses champions, mais aussi d’un sport dont la pratique au haut niveau semble réservée à une élite. Si on prend la mesure des sacrifices exigés, tant pour les enfants (des dizaines d’heures d’entrainement par semaine, souvent aux aurores, avant l’école) que pour les parents (en terme financier), par un sport dans lequel la réussite dépend aussi fortement de juges dont l’impartialité a souvent été remise en question, il y a la pourtant matière à faire un grand film. De fait, le film référence reste donc un film assez mineur, Le Feu sur la Glace (Paul Michael Glaser aka Starsky, 1992) qui repose toutefois beaucoup sur la romance entre ses deux patineurs, venus de milieux très différents. Il fallait bien une personnalité aussi forte et polémique que celle de Tonya Harding pour que le patinage artistique puisse enfin se retrouver sur grand écran, dans un film qui a même quelques bonnes chances de bien figurer aux prochains oscars, où il a reçu trois nominations amplement méritées (scénario, meilleure actrice, meilleure actrice dans un second rôle).

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A l’instar de son personnage principal, le film de Craig Gillespie échappe aux conventions et a bien plus à offrir qu’un énième biopic sportif, genre souvent trop propre sur lui, n’offrant guère d’aspérités. Il en fait exploser les limites pour explorer tout le potentiel comique et dramatique de son récit et d’une galerie de personnages dignes d’un film des frères Coen. En choisissant d’aborder l’histoire de cette championne si atypique sous l’angle de la comédie fortement influencée par les frères Coen et Martin Scorsese, Craig Gillespie a fait un choix qui se révèle extrêmement payant, sans sacrifier la puissance dramatique de ce qui se cachait derrière ce scandale: le parcours chaotique d’une jeune femme, qui dans sa vie aura toujours tiré le mauvais numéro. Mauvaise famille, mauvais sport, mauvais mari, Tonya Harding a accumulé tous les obstacles possibles sur sa route jusqu’à être mise définitivement hors jeu avec son implication dans cet « incident » (c’est ainsi qu’il est appelé dans le film). Lorsque l’on appris son implication dans l’agression de Nancy Kerrigan, sa plus sérieuse rivale, à quelques mois des jeux olympiques de Lillehammer (1994), les attaques dont elle fut la cible de la part de la presse, comme du public, furent d’une rare violence et dépassèrent le cadre de sa seule culpabilité. On n’ose à peine imaginer le sort qui lui aurait été réservé si les réseaux sociaux avaient alors existé. Le vilain petit canard était devenu la vilaine sorcière cherchant à briser le rêve de celle dont elle avait tout à envier.

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Le scénario de Moi Tonya, en balayant tout le spectre de cette histoire, révèle une richesse thématique inattendue. Mère abusive, père absent, mari violent et manipulateur, discrimination sociale constante dans un sport qui s’est organisé de sorte à se choisir les champions qui donneront la meilleure image possible de leur pays et de leur discipline, lynchage des médias ravis de pouvoir tourner en boucle sur un sujet racoleur, le personnage de Tonya Harding offrirait suffisamment de matière pour réaliser plusieurs films. C’est tout le talent de Craig Gillespie de faire cohabiter toutes ces thématiques en les emballant dans un film qui file à vive allure sans laisser personne au bord de la route. La vérité étant protéiforme dans une telle histoire, Gillespie, dans sa folle et emballante course, n’oublie pas de prendre de la hauteur et ponctue son récit par les témoignages de ses principaux protagonistes annonçant, commentant ou mettant en perspective les événements qui nous sont racontés. Ce procédé, aussi ludique que pertinent, nous implique encore d’avantage dans un récit qui prend les attentes à rebours, la méchante attendue se révélant être un personnage complexe, courant sans cesse après le destin que sa mère lui a choisi. Tragédie et comédie se confondent ainsi sans pour autant s’annuler. L’idée de faire tomber le quatrième mur, à plusieurs reprises, pour qu’un personnage se retourne vers la caméra et s’adresse au spectateur, est parfaitement dans le ton du film , toujours utilisée à bon escient. La BO est elle aussi très intelligemment utilisée de sorte à ce qu’elle dialogue avec les scènes, leur apporte un sous texte supplémentaire, plutôt que les illustrer platement ou n’être qu’un habillage artificiellement cool. Le film fonctionne ainsi à la fois au premier et au second degré, dans l’action et son commentaire, trouve le juste point d’équilibre pour que le rire n’efface pas les enjeux dramatiques.

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Pour qu’une telle entreprise fonctionne, il ne s’agit pas que d’avoir un scénario solide et une mise en scène très inspirée, il faut aussi avoir un casting de gueules/tempéraments qui permette de donner vie à cette matière protéiforme dans laquelle est plongée Tonya. Sebastian Stan (Jeff Gillooly) et Allison Janney (Lavona Golden), le mari bas du front et violent et la mère sans cœur et sans scrupules, sont exceptionnels dans des rôles éminemment casse gueule où il s’agit de trouver un équilibre très fragile entre l’ interprétation « bigger than life » nécessaire pour ce type de personnages et la justesse indispensable pour ne pas faire basculer le film dans le pastiche. Face à eux, portant le poids du film sur ses épaules, comme Tonya portait le poids de toute la bêtise et la frustration de son entourage, puis le poids d’un système qui ne l’a jamais acceptée et l’a lynchée quand l’occasion lui en a été donnée, Margot Robbie confirme toute l’étendue de la palette de son jeu. Pour reprendre la notation du patinage, nous lui décernons sans hésiter un 6.0 en technique et un 5.8 en artistique, pour l’émotion qu’elle arrive ultimement à nous procurer. Elle donne de la chair à ce récit qui ne se prend pas au sérieux tout en évitant le mal de ce nouveau siècle, ce cynisme insupportable et puant qui gangrène tellement de films. Moi Tonya peut aussi bien être vu comme un excellent divertissement que comme un récit qui nous amène à réfléchir sur notre époque et sur nous-même, le récit d’une femme qu’on aurait pu sous titrer: SEULE CONTRE TOUS.

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Titre Original: I TONYA

Réalisé par: Craig Gillespie

Casting : Margot Robbie, Allison Janney, Sebastian Stan …

Genre: Drame, Biopic, Comédie

Sortie le: 21 février 2018

Distribué par: Mars Films

4,5 STARS TOP NIVEAUTOP NIVEAU

 

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