SYNOPSIS: Splendeurs et misères de Bud Fox, jeune loup d’une banque d’affaires de Wall Street, qui réussit à séduire un investisseur, Gordon Gekko. Ce dernier lui explique que l’avarice et l’ambition sont les premières vertus s’il veut réussir dans le milieu de la finance.
Entre 1974 et 1985 Oliver Stone s’est fait la main comme réalisateur sur deux longs métrages qu’il a écrit (La Reine du Mal (1974), La Main du Cauchemar (1981)) et a été l’auteur des scénarios de Midnight Express (Alan Parker, 1978), Conan le Barbare (John Milius, 1982), Scarface (Brian de Palma, 1983) et L’Année du Dragon (Michael Cimino, 1985). Quand on a dit ça on a déjà une idée de la qualité du bonhomme et de la force de ses scripts. S’il faudra attendre 1986 et 1987 pour qu’il explose en tant que réalisateur avec Salvador et surtout avec Platoon, Stone va entamer dès lors une carrière phénoménale qui va le voir enchainer plus d’une décennie quasi ininterrompue de films de haut vol. Au sortir du triomphe de Platoon où il plongeait le spectateur dans le bourbier vietnamien, il va donc signer ce Wall Street, parachutage en règle dans le milieu boursier, où le public se retrouve immergé dans un monde inconnu où les échanges nébuleux entre traders sont comme des rafales de mitraillettes qui ne permettent pas au spectateur de se mettre à l’abri. Filmé d’emblée avec une fluidité impressionnante et une caméra sans cesse virevoltante, Wall Street démarre au son de Fly Me to the Moon rythmant le parcours d’une foule qui se presse dans les rues de New York. Au milieu de cette foule puis dans un ascenseur rempli à ras bord, on distingue la silhouette de Bud Fox (Charlie Sheen), jeune courtier ambitieux qui végète dans une société de moyenne envergure. La première constatation est la maitrise du mouvement d‘Oliver Stone mêlée à la cacophonie ambiante, à l’instar d’une chorégraphie à la lisibilité constante. En choisissant de donner un rythme trépidant à son film, Oliver Stone nous plonge dans cette ambiance sans que l’on puisse saisir toutes les subtilités d’usage, mais c’est au contraire ce qui permet d’avancer au rythme du héros sans se sentir dépasser par lui. En contant la relation de maitre à élève qui va se nouer entre Gordon Gekko (Michael Douglas), un richissime maître de la finance et Bud, le film va déplacer son curseur en un terrain plus familier et plus à même d’impliquer le spectateur.
Gekko est un personnage paradoxal, à la fois sombre et lumineux, auquel Michael Douglas prête son sourire carnassier et son charisme animal phénoménal (il obtiendra l’Oscar du Meilleur Acteur pour ce rôle). Cet homme qui jongle avec les téléphones et les chiffres, qui fume des barreaux de chaises et prend sa tension tout en discutant et en faisant usage d’un débit mitraillette c’est un rôle en or auquel Douglas confère des nuances et une envergure de haut vol, tout en disant des dialogues brillants qu’il cite, extatique, avec une grande gourmandise. Wall Street raconte la fascination du jeune Fox pour cette figure qui l’éblouit et dont l’aura et l’influence va lui faire perdre non seulement le sens des réalités mais plus grave, celui des valeurs. Pour faire fortune, le jeune homme va renier tous ses principes et s’il s’en rend compte instantanément il ne peut pour autant parvenir à résister à l’attraction des billets verts ni à Darien (Daryl Hannah) la fille que Gekko lui met dans les pattes. Bud Fox, en arrivant dans la constellation de Gekko, c’est un peu le trouffion qui arrive au Vietnam et qui en peu de temps devient un soldat aguerri mais dont l’ascension ne va pas se faire, cela va sans dire, sans se brûler les ailes. Bud se fait en effet manipuler par Gekko dans les grandes largeurs et en se hissant, du moins le croit-il, à son niveau, il perd ce qui le constituait et seul son père (interprété par un Martin Sheen attendrissant) s’en aperçoit. L’argent lui fait perdre la tête (« il faut gagner du blé pour se rendre compte à quel point on a été fauché » déclare t-il à un moment) et même son patron qui l’exécrait, le brosse dans le sens du poil dès qu’il fait exploser ses ventes. Excellent dans la peau de Bud, Charlie Sheen trouve là un de ses rôles les plus forts et où il exprimera le mieux ses qualités, peut-être qui plus est porté par la présence de jeunes loups comme James Spader et John C. McGinley ou d’acteurs chevronnés comme Hal Holbrook ou Terence Stamp. Tout ce beau monde crée une émulation qui se ressent devant l’écran et nous emporte.
Sous le couvert du récit classique d’une ascension, d’une chute puis d’une rédemption, Oliver Stone déploie tout l’arsenal pour faire parler la poudre et signer un grand film contestataire sur le capitalisme sauvage issu de l’ère Reagan. Si par moments, le côté très didactique de l’entreprise peut donner l’impression d’un film manichéen, Stone réussit un véritable tour de force et une démonstration virtuose, tant dans la mise en scène que dans le rythme imprimé au montage (conforté par une musique au tempo prenant et immersif de Stewart Copeland du groupe Police), tout en mettant en cause l’un des nombreux travers d’un pays que le metteur en scène met à rude épreuve face à ses contradictions. Avec le cynisme, la puissance et la naïveté comme corolaires de son récit, Stone réalise une métaphore de l’art de la guerre (sensation renforcée par une citation de cet ouvrage par Gekko) et met à terre les dernières miettes de l’American dream avant de laisser le vent les disperser dans le lointain, tandis qu’en écho du film, raisonne cette réplique prononcée par Martin Sheen à l’égard de son fils : « Y’en a marre du fric facile, il vaut mieux une vie utile« . Une morale qui se double de la silhouette de Bud qui devient de plus en plus minuscule sur les marches du palais de justice où il va connaitre la sentence qui le frappe et son retour inéluctable à l’anonymat. A la fois thriller machiavélique, dénonciation de l’absence de morale et tableau rigoureux des années « yuppies », Wall Street est un très grand film cristallisé par la figure charismatique de son méchant iconique et par la dimension humaniste et moraliste de sa conclusion qui lui confère la force des plus grands contes américains.
Titre Original: WALL STREET
Réalisé par: Oliver Stone
Casting : Charlie Sheen, Michael Douglas, Martin Sheen …
Genre: Drame
Sortie le: 10 février 1988
Distribué par : –
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Catégories :Critiques Cinéma