Critiques Cinéma

SECRET HONOR (Critique)

4 STARS EXCELLENT

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SYNOPSIS: Contraint à la démission, le Président des Etats-Unis Richard Nixon se confie à un magnétophone et à une caméra vidéo.

Dans un grand bureau vide dans lequel sont affichés des portraits d’anciens présidents des États-Unis, Abraham Lincoln, Georges Washington, Woodrow Wilson mais aussi d’Henry Kissinger, apparaît à travers des écrans de surveillance, un homme qui s’avance dans un couloir jusqu’à pousser une porte et entrer dans le champ. Sans un mot, il se sert un vert d’alcool, sort un revolver de la petite boîte qu’il transportait avec lui, enlève sa veste pour enfiler une robe de chambre, puis s’assoit et commence à enregistrer un long message qu’il destine à un certain Roberto. Cet homme qui ne semble plus avoir toute sa raison et qui bientôt soliloque, s’interrompt, laisse exprimer toute sa rage, sa fébrilité et son désespoir, était il y a encore quelques jours, l’homme le plus puissant du monde. Le programme est posé en quelques minutes: Robert Altman nous convie à un huis clos avec Richard Nixon, brisé par le scandale du Watergate qui mena à sa démission et humilié par le pardon public accordé par Gerald Ford qui lui succéda à la présidence. Secret Honor est l’adaptation d’une pièce de Donald Freed et Arnold M. Stone, dans laquelle Philip Baker Hall se livrait déjà à un seul en scène, électrique de 2h30. Robert Altman, reconnu comme l’un des grands maîtres du film choral (Nashville, Mash, Short Cuts), se livre ici à l’exercice opposé, Secret Honor reposant entièrement sur les épaules de celui qui deviendra l’un des acteurs fétiches de Paul Thomas Anderson.

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Seul à l’écran, dans ce grand bureau, Philip Baker Hall trouve son plus grand rôle et livre l’une des performances les plus extraordinaires et intenses qu’il nous ait été donné de voir. Contrairement au Nixon interprété par Anthony Hopkins pour Oliver Stone (1995) et plus généralement aux autres films sur des grands personnages historiques, le propos n’est pas ici de recréer un personnage, de créer l’illusion de sa présence à l’écran, grâce au maquillage et à une interprétation millimétrée. Il s’agit ici d’imaginer ce qui a pu traverser Nixon après le scandale du Watergate et, plus précisément, le discours de Gerald Ford qui en lui accordant son pardon public le désignait d’une certaine façon comme indiscutablement coupable. Ce seul en scène tourné dans un décor unique est une plongée aussi passionnante qu’éreintante dans la psyché d’un homme dépressif et paranoïaque dont l’ego a été brisé, dans l’esprit duquel bouillonne une rage folle. Il faut imaginer le même procédé appliqué à Nicolas Sarkozy que l’on retrouverait plusieurs mois après sa défaite, ressassant seul dans son bureau, un revolver à portée de main, les raisons de son échec, les affaires qui ont entaché sa présidence, revenant sur les grandes dates de sa carrière et dézinguant, les uns après les autres, ses grands adversaires politiques mais aussi ses prédécesseurs en s’adressant à leur portrait accroché aux murs de son bureau.

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Le postulat est donc passionnant mais sa limite, pour la plupart d’entre nous qui ne sommes pas des historiens de la politique américaine, est que plusieurs des événements ou noms évoqués (notamment Alger Hiss, le Bohemian Grove) nous sont quasiment inconnus. Il est donc difficile d’appréhender toute la dimension politique du film qui n’en reste pas moins très intéressante. Notamment par son propos extrêmement féroce sur la politique étrangère de Kissinger et en particulier le bombardement massif du Cambodge qui n’est pas pour rien dans l’arrivée au pouvoir du sinistre Pol Pot. Mais aussi sur le rôle que Nixon attribue à la Chine dans la poursuite de la guerre du Vietnam. On ne peut donc que conseiller de se documenter, à minima sur les grandes dates de la présidence Nixon pour pouvoir appréhender le film dans toutes ses dimensions. Il faut par ailleurs le recontextualiser et préciser que l’idée de mettre en scène Nixon dans cet état, enregistrant ce qui commence comme un argumentaire de défense et se transformant en un long testament politique, n’est pas une simple installation. Les rumeurs sur son alcoolisme et son caractère instable ont rapidement circulé et les témoignages sur son état durant les derniers jours de sa présidence ont fini de dresser le portrait d’un homme ronge par ses démons et le sentiment d’injustice. Par ailleurs, il avait été découvert qu’il a enregistré pendant plusieurs années l’ensemble des conversations tenus dans le bureau ovale qui était truffé de micros, jusque dans les chandeliers. Ce sont même ces enregistrements et son refus de les communiquer intégralement dans le cadre de l’enquête sur le Watergate qui ont rendu certain le vote de sa destitution et l’ont ainsi contraint à démissionner.

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Pour s’inspirer du titre du chef-d’œuvre de Jerry Schatzberg, l’exercice de mise en scène et d’interprétation auquel Robert Altman et Philip Baker Hall nous convient pendant 1h30, aurait pu être sous-titré: Puzzle of a downfall man. Plus qu’un film politique, Secret Honor est en effet un film sur un homme en morceaux, essayant vainement dans cet enregistrement de rassembler les pièces de sa vie, de concilier ses personnalités antagonistes et d’expliquer sa chute, allant jusqu’à dire qu’il l’a orchestrée pour se protéger d’une disgrâce bien plus grande (d’où le titre du film) si devaient être révélée l’étendue de sa corruption et de sa trahison. Secret Honor est ainsi en quelque sorte un film choral à une voix, composé des multiples personnalités et secoué par les brusques accès de colère et de désespoir de son seul personnage. Avec une telle matière, Altman se retrouve ici en terrain connu et joue habilement des moniteurs présents dans son unique décor pour offrir un contrepoint/contrechamp à ce long monologue. Il dédouble le point de vue sur cette scène surréaliste d’un ancien président abandonné à ses démons et aère ainsi un exercice qui se révèle parfois étouffant et épuisant. Sa mise en scène d’abord en retrait s’affirme au fil du récit, par de légers zooms, des mouvements de caméra et des contrechamps plus nombreux. Elle recrée de la distance avec les longs et confus monologues de son personnage. Elle signifie que ce qu’il dit ne doit pas être pris au mot comme des vérités, pour certaines explosives, mais comme sa vérité, celle qui lui permet encore de tenir debout après l’affront qu’il a subi, celle qui lui donne la rage de se battre, de ne pas commettre l’irréparable et résister à utiliser ce revolver qu’il garde près de lui. Dans la glorieuse filmographie de Robert Altman, les années 80 sont incontestablement sa période la plus mineure, mais Secret Honor, tourné alors qu’il était professeur de cinéma à l’université de Michigan, a toute sa place dans la liste de ses plus grandes réussites.

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Titre Original: SECRET HONOR

Réalisé par: Robert Altman

Casting : Philip Baker Hall

Genre: Drame

Sortie le : 29 janvier 1986

Distribué par : –

4 STARS EXCELLENT

EXCELLENT

 

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