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TRANSFERTS (Critique Saison 1) L’esprit d’équipe…

SYNOPSIS: Dans un futur proche, le transfert de l’esprit d’un corps à un autre est devenu possible, suscitant espoirs, fantasmes et trafics inédits. Florian, un père de famille dans le coma, se réveille ainsi dans le corps d’un policier, Sylvain, chargé de lutter contre les «transferts» illégaux. Un thriller d’anticipation qui interroge la notion d’identité, les dérives de la science et la soif d’immortalité.

Faire de la fiction de genre en France est devenu au fil des années une espèce de rêve insaisissable pour les créateurs, une sorte de graal qu’ils sont peu à conquérir faute de pouvoir emprunter la voie qui pourrait les y mener. La frilosité des chaines évidemment mais celle des auteurs eux-mêmes, confortés par des programmateurs peu enclins à leur offrir des perspectives, ont réduit à peau de chagrin les velléités de s’y frotter. Heureusement, émergent de ci, de là, des aventuriers prêts à tenter le pari quitte à se planter et à essuyer les quolibets de ceux qui eux n’essayeront jamais de sortir de leur zone de confort. Cela donne des œuvres de différente nature, aux qualités disparates qu’on aime un peu (Le chalet à venir sur France 2), beaucoup (Section Zéro, Missions) ou pas du tout (Trepallium). Mais quel que soit notre ressenti vis-à-vis de ces séries on ne peut pas nier aux auteurs qui s’y sont collés, une ambition et un culot qu’ils sont trop peu à avoir. Passé ce postulat sur la fiction de genre, la série d’anticipation est encore plus casse-gueule et peut rapidement virer au kitsch et faire rire aux dépens d’un traitement qui se voulait sérieux. Si Trepallium s’était à nos yeux planté dans les grandes largeurs et que la magnifique Section Zéro avait été incomprise et rejeté par la majorité, on attendait de découvrir Transferts avec curiosité et appréhension sachant que flirter avec autre chose que du polar ou de la comédie familiale en France équivaut à jongler avec un briquet près d’un bidon d’essence. La série créée pas Claude Scasso et Patrick Benedek a pour elle de s’appuyer sur une histoire forte, un scénario épuré jusqu’à l’os pour restituer la substantifique moelle de sa singularité. Car Transferts crée un univers, explore une thématique, déploie un questionnement philosophique et n’oublie pas la notion de divertissement qui permet d’empêcher à une œuvre qui voudrait se prendre trop au sérieux d’avoir une trop haute idée d’elle-même.

Si Transferts parvient à se démarquer et à transformer l’essai avec cette première saison (diffusée en 2 soirées de 3 épisodes comme de coutume sur Arte), c’est qu’elle s’est dotée d’un univers foisonnant où les possibilités multiples permettent à l’imagination débridée des auteurs de nous offrir quelque chose de trop rare: Une série avec une identité. Une série qui prend des risques mais qui sait où elle va (ou du moins semble le savoir), une série qui prend le temps de poser son postulat sur deux premiers épisodes où la narration semble étirée mais qui en fait participe à l’équilibre de l’ensemble. Car Transferts, au-delà de prendre son temps pour que le téléspectateur ne soit pas trop désorienté par ce qu’il découvre, se dote d’une colonne vertébrale qui permet à tout l’édifice de tenir. On n’est pas gêné par l’histoire que l’on nous expose, on n’a pas envie de rire lorsque des situations dramatiques sont présentées, en bref la série séduit par son sérieux et sa cohérence et on ne tombe jamais dans ce travers franco-français qui consiste à se dire que puisque c’est français justement on n’y croit pas. Non seulement on y croit, mais cette histoire nous harponne, nous prend aux tripes et nous plonge dans un monde terrible où le transfert d’âme est ce qu’est le trafic d’organes dans nos sociétés. Soulevant des questions relevant de l’éthique, du rapport à la religion, à la politique, au bien et au mal, à l’amour ou à l’apparence, Transferts est une plongée sans concessions dans un monde brut de décoffrage qui saisit par sa diversité et sa puissance d’évocation. Si le terreau philosophique interpelle, Transferts on l’a dit sait ménager ses effets et évite avec brio le cliché auteuriste qui pourrait lui coller à la peau. Car non seulement il y a une tension qui monte crescendo, une enquête et des personnages qui entrent en conflit, mais la grande force de Transferts c’est de savoir mixer son questionnement autour des dérives d’une société avec un suspense haletant et des rebondissements surprenants jusqu’à une issue qui laisse pantois. Parvenant à parler du monde d’aujourd’hui à travers un postulat scientifique et de nombreuses analogies, traitant de l’identité au sens large, Transferts détonne fortement et séduit par l’audace qui en résulte. Formellement si la série n’est pas tape à l’œil (ce qui ne l’empêche pas de proposer des effets visuels très efficaces et de créer ses propres codes vestimentaires ou technologiques (les uniformes de la BATI, la confession virtuelle…), elle bénéficie d’une mise en images soignée où le rythme est autant impulsé par la réalisation d‘Olivier Guignard et d’Antoine Charreyron que par le récit distillé par Claude Scasso et Patrick Benedek. A noter également un soin tout particulier apporté aux dialogues et à certaines punchlines jamais gratuites mais extrêmement savoureuses.

Transferts permet de doubler la mise grâce à sa distribution quasi parfaite. Si Arieh Worthalter impressionne par son intensité, sa fragilité et sa détermination mêlées et que Brune Renault séduit sans peine en déployant en quelques secondes un charisme explosif qui ne fait que se confirmer au fil des épisodes, on ne tarira pas d’éloges sur la jeune Pili Groyne qui est une graine de star, capable de jouer des situations très périlleuses avec une maturité impressionnante (ses scènes avec Juliette Plumecocq-Mech sont particulièrement réussies) . Autour de ces trois visages emblématiques, avoir réuni rien moins que Thierry Frémont, Toinette Laquière, Sébastien Chassagne, Patrick Raynal, Xavier Lafitte, Patrick Descamps, Marie Kremer ou Edith Scob relève d’un sacré flair.

Forcément Transferts ne pourra pas séduire tout le monde. La tâche est encore rude pour convaincre qu’en France nos auteurs sont tout à fait capables de créer des mondes étendus et riches desquels découlent des interrogations profondes et viscérales. C’est pourtant cette gageure que cette série relève. Tout n’est pas parfait peut-être, le propos est très riche et semble parfois contrit dans cette limite de six épisodes, mais c’est fait avec les moyens du bord, une insouciance, un cœur, une fraicheur et une envie qui se ressentent. Et comme à l’issue du sixième épisode on est prêts à vendre notre âme pour savoir ce qui va se passer en saison 2, c’est plutôt bon signe pour l’avenir.

Crédits: Arte / Panama Productions

2 réponses »

  1. Je suis surpris par votre critique, tant point par point je pense l’inverse :
    La « Photo soignée » est surlignée par des ralentis de mauvais goût et des mouvements de caméra parfois agaçants.
    Le scénario est lourd comme une enclume.
    On est plus dans le polar que dans la fiction.
    Malheureusement, c’est un peu raté.

  2. excellente fiction avec de multiples entrées allant de la simple émotion face au suspense et aux beaux personnages à de passionnantes réflexions philosophiques.Un petit hic à signaler, des portions de dialogues sont plus postillonnées que dites et même en réécoutant plusieurs fois elles ne me sont pas compréhensibles…dans ces cas là ou vous mettez des sous titres juste sur ces petits moments (cela fait ‘live’ !) ou vous revoyez la prise de son.
    encore bravo!
    invivo

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