Critiques Cinéma

WE BLEW IT (Critique)

4,5 STARS TOP NIVEAU

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SYNOPSIS: Comment l’Amérique est-elle passée d’Easy Rider à Donald Trump ? Que sont devenus les rêves et les utopies des années 60 et 70 ? Qu’en pensent, aujourd’hui, ceux qui ont vécu cet âge d’or ? Ont-ils vraiment tout foutu en l’air ?

Quand le pape français du cinéma américain des années 70 et du nouvel Hollywood, dont les conférences pourraient être récitées comme un mantra par toute une génération de cinéphiles (dont l’auteur de ces lignes fait partie), décide de parcourir l’Amérique pour recueillir les témoignages de quelques uns des réalisateurs les plus emblématiques de cet âge d’or du cinéma américain, on va à la projection de son documentaire comme on va à la messe. S’il en est un qui connaît cette période sur le bout des doigts et peut aujourd’hui comprendre ce qui l’a nourrit, puis ce qui y a mis fin , c’est bien Jean-Baptiste Thoret, dont le passage à la réalisation est une nouvelle étape dans la carrière de l’un de nos plus érudits et passionnants cinéphiles. « We Blew It« : c’est sur cette réplique de Peter Fonda que s’achevait Easy Rider (1969), prophétisant peut être déjà la fin de la révolution contre culturelle qu’accompagnait le film de Dennis Hopper. A l’ère de la présidence Trump et de la standardisation du cinéma américain, on serait tenté de dire « They Blew It », tant il semble ne rien rester de cette époque de libération des mœurs, de création artistique intense, dans laquelle tout semblait encore possible. C’est ce constat que fait Jean-Baptiste Thoret et les raisons de ce changement d’époque qu’il questionne dans son foisonnant et passionnant deuxième documentaire.

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Si on l’attendait sur le fond et qu’il tient toutes ses promesses, c’est sur la forme que son documentaire surprend et impressionne le plus. Accompagné par une bande originale imparable (Sam Cooke, Bob Dylan, Creedance Clearwater, Jefferson Airplane, Bruce Springsteen ….), le documentaire de Jean-Baptiste Thoret, parle de cinéma mais surtout n’oublie pas d’en faire, là ou tant d’autres ne reposent que sur la matière apportée par les témoignages des intervenants. Loin de n’être qu’une succession de « face caméra », We Blew it est une matière vivante qui fait du cinéma à chaque instant, une invitation à la réflexion sur cette époque autant qu’une invitation au voyage. En cinémascope, il parcoure l’Amérique et sa mythique route 66 pour y rencontrer des anonymes dont les témoignages se croisent avec ceux du prestigieux casting qu’il a réuni pour l’occasion : Michael Mann, Bob Rafelson, Jerry Schatzberg, Peter Bogdanovich, Peter Hyams, Paul Schrader

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L’une des excellentes idées de Jean-Baptiste Thoret est d’avoir balisé son exploration de cette période d’arrêts sur des événements présentés comme clés pour comprendre ce qui traversait alors l’Amérique, les mouvements profonds qui traversaient la société et qui ont nourri son cinéma: l’assassinat de John Figtzerald Kennedy au sujet duquel interviennent notamment Peter Hyams et Peter Bogdanovich, le festival de Woodstock avec le témoignage de Michael Lang, le producteur de cet événement mythique, le traumatisme causé par la découverte des crimes de Charles Manson, la guerre du Vietnam avec notamment  le témoignage très fort de Peter Hyams. S’il a une dimension historique, We Blew It a aussi une dimension intime et c’est ce qui le rend aussi passionnant en plus d’être édifiant. D’abord parce que l’on comprend dès les premières minutes qu’il y a dans ce voyage, dans l’éclairage que nous apporte Thoret, quelque chose d’introspectif lié à sa propre fascination pour cette période qu’il interroge à travers ce documentaire. Ensuite parce que les témoignages, qu’il s’agisse des acteurs culturels de cette période comme des anonymes, nourrissent certes le sujet du documentaire mais sont par ailleurs réellement intéressants en eux-mêmes, pour ce qu’ils révèlent de leurs auteurs.

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We Blew It nous aide à mieux comprendre cette période mais imprime aussi durablement en nous des visages et des témoignages : Jerry Schatzberg qui parle de Needle Park et revient dans ce quartier  plus de 40 ans plus tard, Peter Hyams qui se confie sur la façon dont le Vietnam l’a changé à jamais, Angel, ce barbier de 90 ans qui a obtenu que la route 66 soit reconnu comme un site historique et a ainsi ramené un peu de vie dans la petite ville de Seligman (Arizona) … Loin du manichéisme ambiant diabolisant les électeurs de Trump, en faisant principalement des rednecks ou des racistes qu’il faut ignorer, on découvre des anciens électeurs démocrates, des pacifistes, qui se sont sentis complètement abandonnés et ont vu en lui un porte parole, un espoir. Si le cinéma a changé c’est parce que la société a profondément changé, s’est durcie pour les plus fragiles. Sa fonction de divertissement a ainsi progressivement pris le pas sur sa fonction sociale quand le cinéma des années 60-70 accompagnait, reflétait les questions qui traversaient la société et que, comme l’explique Paul Schrader, les spectateurs y trouvaient même des réponses. Quand la passion pour une époque révolue peut parfois enfermer dans une nostalgie vaine et sclérosante, Jean-Baptiste Thoret fait avec ce documentaire la démonstration qu’il n’est pas un de ces historiens du cinéma prisonniers d’une époque, qu’il a sur l’Amérique un regard d’une lucidité et d’une acuité remarquables et que son envie de faire du cinéma est au moins aussi grande que celle d’en parler. Son documentaire nous éclaire autant qu’il nous inspire, restera l’un des très grands moments de cette année de cinéma et continuera encore longtemps de nous accompagner.

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Titre Original: WE BLEW IT

Réalisé par: Jean-Baptiste Thoret

Casting : Michael Mann, Peter Bogdanovich, Paul Schrader

Genre: Documentaire

Date de sortie: 8 novembre 2017

Distribué par: Lost Films

4,5 STARS TOP NIVEAU

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