Festival de Cannes, Saison 4 épisode 9
Good Time des frères Ben et Josh Safdie. Voilà le nom du film projeté ce matin au Grand Théâtre Lumière. Sous influence de Martin Scorsese (After Hours principalement ici), de Paul Schrader, d’Abel Ferrara, et même de Nicolas Winding Refn, James Gray ou encore Joe Carnahan, les frangins Safdie entraînent un jeune voleur de banques dans un trip halluciné et infernal pour un doux rêve de liberté avec son frère autiste. BO hypnotique d’Oneohtrix Point Never, performance habitée de Robert Pattinson, scènes de nuit magnifiques, virée so fucked up avec un récit touchant de liens fraternels éprouvés par le système, Good Time réveille la croisette et se positionne comme sérieux challenger au palmarès. De notre côté, on imagine aisément Robert Pattinson repartir avec le prix d’interprétation masculine en poche.
Enchaînement sans temps mort sur Brigsby Bear, le premier film de Dave McCary qui fait office de clôture pour la Semaine de la Critique.
SYNOPSIS: Après 25 ans de vie avec ses parents dans un maison isolée James décide d’aller vivre sa vie. Il emménage à Cedar Hills et apprend que personne – excepté lui – ne connaît l’émission Brigsby Bear Adventures, qui s’est d’ailleurs arrêtée sans jamais se terminer. Pour affronter sa nouvelle vie le jeune homme décide de mettre en pratique les leçons de Brigsby et de lui donner une fin.
Première grosse surprise du festival et immense coup de cœur pour ma part. Charles Tesson, le programmeur de la Semaine de la Critique, nous a pourtant averti, à juste titre, avant la projection : Brigsby Bear, qu’il a eu la chance de découvrir en exclusivité mondiale lors de son passage remarqué au festival de Sundance, est un feel good movie indispensable, une réussite totale qu’il tenait à présenter dans sa section. Bonne pioche dira-t-on ! 2h plus tard, nous lui donnons raison ! Produit par Lonely Island, le crew à la barre du déjanté Popstar Never Stop Never Stopping l’année dernière, mais aussi par le tandem Chris Miller et Philip Lord, rois actuels de la comédie US et auteurs de quelques pépites ces dix dernières années (le premier volet Tempête de boulettes géantes, 21 Jump Street et sa suite, La Grande Aventure Lego et bientôt le spin-off Star Wars centré sur la jeunesse d’Han Solo & Chewbacca), Brigsby Bear met en scène le jeune Kyle Mooney dans la peau de James, un personnage un peu naïf et gauche qui, après avoir été enlevé dès la naissance et élevé toute sa vie par de faux parents (dont le père est joué par Mark Hamill) dans une maison isolée, revient un jour brutalement à la vie « normale », se mettant alors en tête de tourner une fin, avec ses propres moyens, pour son show télévisé préféré, Brigsby Bear Adventures. Brigsby quoi ? Brigsby Bear Adventures, une série fauchée entièrement conçue pour lui (par ses ravisseurs), n’existant pas dans la vie réelle, et constituée d’un nounours géant (le fameux Brigsby Bear du titre) qui sauve le monde des griffes d’un ennemi au nom imprononçable, à grands renforts de pistolets lasers, d’équations mathématiques impénétrables et de messages pédagogiques destinés à tous. Prenant pour point de départ une trame rocambolesque proche de celle de Room, le retour à la réalité de James étant néanmoins cette fois un ressort à la fois tragique ET comique, Brigsby Bear est un excellent premier film, une œuvre beaucoup plus dense qu’il n’y paraît, qui, derrière ses airs de comédie sundancienne plutôt basique, réserve une mélancolie douce et surprenante.
Sorte de croisement insolite entre The Truman Show (pour le principe d’un univers factice, spécialement bâti autour et pour un personnage), Be Kind Rewind (pour la célébration du cinéma comme art de la bricole) et Captain Fantastic (pour la vie en marge de la société et la confrontation d’un personnage avec les impératifs et conventions de la civilisation), Brigsby Bear interroge intelligemment notre rapport au monde, à la solitude, aux rêves, à la nostalgie et à la fiction. Sur un sujet grave et un peu casse-gueule, mais traité avec un humour libérateur et une écriture chaleureuse et bienveillante, Dave McCary, ancien scénariste du Saturday Night Live, véhicule en effet une réflexion à la fois fondamentale, pertinente, optimiste, métatextuelle et émouvante sur le pouvoir de la fiction, imaginant la pop culture et la création artistique comme moteurs possibles de résilience d’un traumatisme refoulé et comme remèdes à la solitude profonde. Une ode au 7ème art, à sa fonction cathartique et sa capacité de rapprocher les êtres. Brigsby Bear réserve évidemment son lot de gags amusants et de scènes cocasses (notamment lorsque James se trouve contraint d’embrasser le monde externe et qu’il s’agit pour McCary de nous montrer la découverte de la malignité du monde par un brave innocent emprunté à Frank Capra), mais aussi de moments profondément tristes. Il faut voir la violence de la collision entre l’utopie vécue par James et les structurations sociétales auxquelles il doit désormais obéir, pour le croire. De même lorsqu’il découvre que son existence toute entière ne reposait, en fait, que sur un mensonge et qu’il est, en réalité, l’unique fan des aventures de l’ours Brigsby, possédant toutes les VHS et tous les produits dérivés. On se console néanmoins avec le constat suivant : cet individu, en apparence isolé et déphasé, n’opère jamais seul cette déconstruction de la réalité. Exalté par une soudaine notoriété, il ne lutte pas seul contre le conformisme hostile qui l’entoure et procède en collectivité, soutenu par un enthousiasme partagé, à son désir ardent d’achever l’histoire de Brigsby Bear. C’est en effet par l’amitié qu’il noue avec son entourage, dont un apprenti vidéaste éminemment sympathique, et par le lien qu’il crée avec ses « nouveaux » parents (son père et sa mère biologiques, sa sœur charitable) que James parviendra à s’épanouir et accepter le « trucage » dont il a fait les frais. La fiction apparaissant alors comme un moyen utile de ne jamais sombrer dans son coin. La morale est un peu mielleuse mais nécessaire à l’heure où l’individualisme gagne autant de terrain. On se réjouit, au passage, de l’universalité du propos – conserver son âme d’enfant pour continuer à se renouveler et s’accomplir – transmis par McCary. Côté formel, la photographie est travaillée, la musique ajustée aux images, l’univers visuel assez foisonnant et gentiment coloré, et le casting soigné. Dans la peau de James, l’acteur Kyle Mooney, aperçu l’an dernier dans Nos Pires Voisins 2 et Zoolander 2, est une authentique révélation, apportant d’infinies nuances à un ensemble déjà fort complexe. D’abord innocent abusé, puis être en crise, James est campé par un Kyle Mooney concerné et particulièrement touchant. Le fait qu’il ait lui-même écrit le scénario du film joue sans doute pour beaucoup, on sent en effet, à travers sa performance, qu’il maîtrise à la perfection son sujet et son personnage.
A ses côtés, les acteurs sont très bien dans leurs rôles, que ce soit les personnages principaux ou secondaires. On salue ainsi la bonne humeur communicative de Greg Kinnear, génial en flic étonnamment geek, et surtout la chouette prestation de Mark Hamill, vraiment attendrissant en pseudo-survivaliste et père substitutif de James. Le célèbre Luke Skywalker offre aussi son délicat timbre de voix pour doubler l’ours et narrer les faux-films crées pour James, cet élément donnant d’ailleurs lieu à une vanne particulièrement drôle à un moment donné. D’aucuns reprocheront au film d’emprunter trop souvent le chemin balisé de la Sundancerie calibrée, dont Little Miss Sunshine fut le fer de lance au début des années 2000 et dont on retrouve ici le comédien Greg Kinnear, ou de renvoyer l’image d’un « cinéma doudou », dont le ressort principal de fonctionnement serait la nostalgie, mais ce serait salaud de ne pas applaudir les thèmes et sous-textes envisagés par Brigsby Bear, de ne pas voir qu’il met à égalité, au fond, passé, présent et futur, criant avec joie que le bon temps n’est pas passé, qu’il est là et à venir. Avec son propos unanimiste et accueillant, Brigsby Bear est aussi un film sur la communauté et la nation, sur la manière dont se forme la croyance collective en une fiction commune. Plaidoyer pro domo pour le cinéma comme art du bricolage, Brigsby Bear est un film immanquable, drôle et bouleversant, qui regorge d’imagination et touche par son message bienveillant et fédérateur sur l’intrication entre réel et imaginaire, entre vie et fiction.
Pour clôturer cette belle journée cinématographique, direction la salle du 60ème anniversaire, derrière le Palais des Festivals, pour découvrir 12 Jours, le documentaire réalisé par Raymond Depardon et tourné au Vinatier, hôpital psychiatrique de Lyon. Une série d’interviews de patients hospitalisés sans leur consentement, filmés au moment de leur audience auprès du juge des libertés et de la détention, qui doit statuer sur la poursuite ou non des soins réalisés sans leur aval. Pour des raisons assez personnelles, je décide de ne pas évoquer mon avis ici. Peut-être plus tard, au sein d’une critique étoffée.
Fin du 9ème épisode avec l’inégalable soirée de clôture de la Semaine de la Critique, accueillie comme chaque année sur la Plage Nespresso. De bons cocktails au Cointreau sont proposés, le cadre est superbe, la journée s’achève ainsi sur une belle note.
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