Critiques Cinéma

THE SQUARE (Critique)

SYNOPSIS: Christian est un père divorcé qui aime consacrer du temps à ses deux enfants. Conservateur apprécié d’un musée d’art contemporain, il fait aussi partie de ces gens qui roulent en voiture électrique et soutiennent les grandes causes humanitaires. Il prépare sa prochaine exposition, intitulée « The Square », autour d’une installation incitant les visiteurs à l’altruisme et leur rappelant leur devoir à l’égard de leurs prochains. Mais il est parfois difficile de vivre en accord avec ses valeurs : quand Christian se fait voler son téléphone portable, sa réaction ne l’honore guère… Au même moment, l’agence de communication du musée lance une campagne surprenante pour The Square : l’accueil est totalement inattendu et plonge Christian dans une crise existentielle. 

Snow Therapy (Force Majeure dans son pays natal, la Suède), film réalisé par Ruben Östlund, était une bombe à retardement, progressivement exécutée. Le cinéaste suédois parvenait, à travers un film obsessionnel et à la mécanique implacable, à dévoiler, lentement mais sûrement, les tourments d’une famille en apparence saine, suite à l’arrivée imminente d’un trauma qui, en pratique, n’avait jamais véritablement lieu. Alors qu’ils déjeunent tranquillement en terrasse d’un restaurant d’altitude, un couple et leurs enfants assistaient en effet à une avalanche qui bouleverse tout par la suite. Mise en scène minutieuse et puissante (mécanique de la narration : répétition de la séquence journée de ski/nuit dans l’hôtel pour illustrer la routine d’un couple, et progression mécanique au sens littéral : les remontées de la station de ski pour représenter les rituels des vacances au ski), symboles constructifs (la neige comme allégorie de la pureté, mais aussi de la déliquescence familiale), atmosphère anxiogène et malaisante qu’il arrive à nous faire ressentir à la perfection (la neige comme vecteur d’oppression latente, la femme du ménage embarrassée par une dame volage qui vient briser ses croyances sur le mariage, l’erreur sur l’identité du « plus beau gars de la terrasse »), dénonciation d’une forme d’austérité moderne, triplée d’un questionnement existentiel sur la lâcheté et l’égocentrisme des êtres humains et d’un discours décalé mais piquant sur le couple, Östlund a surpris tout le monde et s’est fait un nom, bénéficiant à cette occasion d’un prix du jury dans la section Un Certain Regard au festival de Cannes 2014, de louanges dithyrambiques de la part de la presse et d’une sélection pour représenter la Suède aux Oscars 2015. Ruben Östlund, aussi auteur de plusieurs bijoux avant le carton de Snow Therapy (dont l’étonnant et très recommandable Play, mais aussi du célèbre happening où on le voit en train d’écouter en direct les nominations de l’Oscar du meilleur film étranger et qui possède en son sein tous les éléments narratifs et rythmiques pour faire partie intégrante de sa filmographie), connaît aujourd’hui l’honneur de figurer, pour la première fois de sa vie, en compétition officielle du festival de Cannes avec son nouveau film, The Square, ajouté à la dernière minute à la sélection par Thierry Frémaux et son équipe. A la sortie de la première projection presse, The Square, titre faisant référence à l’Agora de la Grèce Antique, a divisé. Qu’en pensons-nous ?

Une franche réussite ! Toujours aussi redoutable avec son humour corrosif et sa mise en scène précise (le travelling arrière rotatif respectant la montée des comédiens au sein d’un escalier circulaire vaut le détour), toujours aussi imparable avec ses malaises grinçants (on dirait du Lars Von Trier ou du Yorgos Lanthimos par moments), toujours aussi venimeux avec son message persuasif, Östlund dresse, à nouveau, un portrait psychologique caustique d’homme flasque et irresponsable, en l’occurrence celui de Christian, un conservateur de musée d’Art contemporain qui voit sa vie basculer le jour où il se fait voler son smartphone et son portefeuille dans la rue. Concernant le fameux « square » du titre, Östlund le relate ainsi : « Christian est un artiste qui a l’idée d’un lieu symbolique : une place carrée délimitée par des lignes blanches, au cœur de la ville, où l’on peut se diriger si l’on a besoin d’aide, les passants ayant obligation d’aider, et où l’on peut aussi déposer des objets avec l’assurance qu’ils ne seront pas volés. C’est un espace philosophique, qui interroge sur la notion de limite » *. Avec pour point de départ ce dispositif invraisemblable, le réalisateur suédois dévoile le miroir tendu entre l’œuvre d’art et la société pour livrer, en profondeur, une satire sociale mordante, quoique peut-être un poil trop moralisatrice et sans doute pas assez originale aussi, sur le monde du « modern art », un environnement souvent taxé d’être élitiste, vaniteux et arrogant. Ruben Östlund tourne ainsi en ridicule les travers et les vices de cet univers, à grands renforts de séquences ou répliques mal aimables et d’humiliations en tout genre, certain que tout le monde en prendra pour son grade.

Avec ses passages super zinzins, volontairement étirés en longueur jusqu’à la déraison, avec ses personnages mesquins et bas, avec sa structure proche de celle de Snow Therapy (des réactions en chaîne suite à un micro-événement en apparence anodin) et son expression à travers des images perpétuellement en mouvement, avec sa liberté de ton assez jouissive intégrant plusieurs ruptures improbables et avec son rythme crescendo jusqu’à un climax h-i-l-a-r-a-n-t mettant en scène une performance artistique incommode et mémorable au cours d’un dîner chic, The Square fait feu de tout bois et fait du bien. The Square est, en réalité, un film désopilant, souvent absurde, dans lequel défilent des passages hautement saugrenus : Christian et sa compagne d’un soir se disputent pour savoir lequel des deux ira jeter une capote usagée à la poubelle après avoir fait l’amour, un Question & Answer ultra sérieux est périodiquement interrompu par les cris obscènes d’une personne souffrant d’un Gilles de La Tourette, un bonobo fait son apparition dans un appartement bobo, une SDF est moquée pour ses goûts alimentaires, un clip internet met en scène une petite mendiante blonde qui explose (on retrouve, au passage, l’attrait du cinéaste pour les buzz viraux et les vidéos YouTube, mais aussi pour le motif du transport en commun), les boîtes d’un immeuble où réside le voleur du fameux téléphone portable sont remplies de lettres de menaces … et ainsi de suite.

Sur un plan plus technique, on applaudit les cadrages millimétriques et réussis (en tête tous les plans au musée, ou la séquence, vers la fin, de la parade des gymnastes sur fond de musique techno), les trouvailles sonores plutôt rafraîchissantes, la direction d’acteurs intéressante et le découpage du métrage, alternant vide et remplissage pour mieux dénoncer, via une intéressante mise en abîme, le narcissisme de son personnage (et du public cannois?). Parallèlement, on salue l’écriture cinématique assez remarquable d’Östlund, qui reprend, en le déjouant un peu, son gimmick de faire monter la sauce vers une catastrophe, inévitable, jusqu’à ce que, finalement, rien (ou presque) ne se passe. Quoique tous les épiphénomènes du récit entraînent son personnage central vers une prise de conscience finale (gentiment induite par ses deux bambines) de son individualisme et de sa vision du monde dogmatique, avec à la clé une remise en cause de ses principes et une ambition d’être plus altruiste. On reconnaît aussi sans difficulté la qualité du casting, avec un rôle principal parfaitement sélectionné en la personne de Claes Bang. Il s’en donne à cœur joie pour susciter le rire ou l’embarras et ça fonctionne à tous les coups. Mention enfin pour Terry Notary, dont la prestation bizarre et impassible dans la peau d’un performer fera date. The Square a toutes les qualités requises pour conquérir les zygomatiques du jury et choper, pourquoi pas, un prix au palmarès. On le voit bien repartir avec le trophée du meilleur scénario de la compétition. C’est tout le mal qu’on lui souhaite en tout cas.

* issue d’une interview de Ruben Östlund parue sur le site Accreds.fr

Titre Original: THE SQUARE

Réalisé par: Ruben Östlund

Casting : Dominic West, Elisabeth Moss, Terry Notary,

Claes Bang …

Genre: Drame

Date de sortie : 18 octobre 2017

Distribué par: Bac Films

EXCELLENT

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