Critiques Cinéma

THE IMMIGRANT (Critique)

SYNOPSIS: 1921. Ewa et sa sœur Magda quittent leur Pologne natale pour la terre promise, New York. Arrivées à Ellis Island, Magda, atteinte de tuberculose, est placée en quarantaine. Ewa, seule et désemparée, tombe dans les filets de Bruno, un souteneur sans scrupules. Pour sauver sa sœur, elle est prête à tous les sacrifices et se livre, résignée, à la prostitution. L’arrivée d’Orlando, illusionniste et cousin de Bruno, lui redonne confiance et l’espoir de jours meilleurs. Mais c’est sans compter sur la jalousie de Bruno…

Commençons cette critique par une petite mise au point : Ceci n’est pas un flim sur Marion Cotillard (pour les non initiés révisez votre classe américaine). The immigrant n’est en effet pas qu’un film avec et pour Marion Cotillard (qui est de presque tous les plans), actrice qui peut compter sur un « hater club » assez fourni notamment depuis son inoubliable interprétation dans The Dark Knight Rises. Vous auriez tort de vous laisser décourager par sa présence au casting ou d’entrer dans la salle avec une valise pleine d’à priori. L’auteur de ces lignes ne niera pas en avoir gardé quelques uns avec lui et n’avoir ainsi pas pu entrer totalement en empathie avec son personnage, avoir parfois même ressenti un léger décalage entre la puissance de la scène et l’émotion ressentie. Mais, à notre sens, une partie des critiques reprochant au film son manque d’émotion ont probablement aussi souffert du syndrome « Cotillard ». Pour autant et nous y reviendrons, elle est absolument impeccable, très loin du jeu « forcé » dans lequel elle tombe parfois. Cela confirme aussi que si il y a probablement de très mauvaises actrices avec lesquelles il serait impossible de véhiculer la moindre émotion, il y a peut être surtout de mauvais directeurs d’acteurs. Derrière chaque mauvaise actrice se cache souvent un directeur d’acteurs passé totalement à côté de l’émotion d’une scène (plutôt que de blâmer Marion Cotillard pour sa dernière scène dans The Dark Knight Rises et malgré l’admiration que nous avons par ailleurs pour Christopher Nolan, il convient plutôt de se poser quelques questions sur celui qui a pu trouver cette scène réussie)

Contrairement à d’autres grands maîtres, James Gray n’a pas de directeur photo attitré. Il sortait certes d’une double collaboration avec Joaquin Baca Asay ( We own the night et le sous estimé Two Lovers) mais avait d’abord travaillé avec Tom Richmond sur Little Odessa puis l’immense Harris Savides sur The Yards. Pour mémoire, Darius Khondji a quand même un Curriculum Vitae assez flatteur avec notamment La Cité des enfants perdus (Jean-Pierre Jeunet), trois collaborations avec David Fincher (Seven, Alien 3, Panic Room) et La Neuvième Porte (Roman Polanski). La mise en scène très classique et précise de James Gray, son sens de la dramaturgie, sont ici magnifiés par la photographie de Darius Khondji qui apporte la juste émotion à chaque plan, qui souligne et accompagne la mise en scène et l’émotion d’une scène sans jamais en faire trop. Les deux artistes peignent le même tableau, chacun sublimant le travail de l’autre. Si pour son récit et la palette d’émotions qu’il explore, The Immigrant est probablement inférieur à Two Lovers et The Yards, il contient certainement quelques uns des plus beaux plans jamais tournés par James Gray. Sur un plan purement technique et esthétique, c’est à notre sens un accomplissement total et sa plus grande réussite.

Ce cinquième film de James Gray a changé plusieurs fois de titre. Il devait d’abord s’appeler Low life puis The Nightingale mais suite aux avis défavorables des distributeurs, James Gray opta finalement pour un titre qui résume parfaitement le propos de son film qui suit le parcours d’une jeune immigrée polonaise (Ewa) dans le New York des années 20. Le premier plan du film est non seulement magnifique mais plein de sens. En dézoomant sur la statue de la liberté pour dévoiler Joaquin Phoenix, de dos, observant l’arrivée d’un nouveau bateau de migrants à Ellis Island, James Gray pose immédiatement les bases de son histoire. Il retourne cette belle photo qu’on aurait pu retrouver dans les affaires d’un arrière grand parent, pour s’intéresser à ce qu’elle ne montre pas. Le rêve américain d’Ewa (Marion Cotillard) passera par Bruno (Joaquin Phoenix), qui sous ses allures de bon samaritain cache un personnage très complexe, proxénète cynique (profitant de l’arrivée massive de filles de l’est sans famille et sans argent) et néanmoins profondément attaché à « ses filles » et surtout à Ewa. Bruno est moins le bad guy de cette histoire qu’un écorché vif, un type profondément tourmenté essayant de trouver un sens à sa vie. Pour Ewa, la carte postale commence à se déchirer dès l’arrivée à Ellis Island où elle se retrouve séparée de sa sœur Magda qui, souffrant de la tuberculose, est placée en quarantaine et promise à un retour en Pologne.

C’est avec Bruno que renaîtra l’espoir : c’est lui qui négocie avec la police pour permettre à Ewa de ne pas être renvoyée en Pologne. Puis c’est lui qui lui offrira un travail devant lui permettre de gagner assez d’argent pour payer les soins de sa sœur et peut être obtenir sa sortie. C’est avec Bruno que prendra corps le cauchemar et que l’envers du rêve américain se dévoilera : c’est lui qui la manipulera subtilement pour la rendre dépendante de lui. Bruno est un marchand de misère déguisé en marchand d’espoir. Ce personnage nous ramène immanquablement à l’actualité, au sort réservé aux migrants parcourant des milliers de kilomètres pour fuir la misère, obligés de mettre leur vie entre les mains de personnes qui n’ont d’autre but que de s’enrichir. D’un travail de couturière, il poussera ensuite Ewa à danser légèrement vêtue dans un cabaret et finalement se prostituer. La scène où elle finit enfin par céder et accueille dans sa chambre le fils d’un vieil homme influent est l’une des plus belles du film. Étendue sur son lit, dans une semi obscurité, à demi inconsciente sous les effets de l’alcool, Ewa laissera finalement cette main se poser sur elle, Gray refermant ensuite la porte pour nous laisser subtilement imaginer la suite… (ce qui confère encore plus de force à cette scène qui n’aurait rien gagné à dévoiler le corps nu d’Ewa subissant les assauts de son client). Le reproche a été fait à James Gray de traiter de la prostitution sans montrer une scène de sexe, d’être finalement assez frileux (reproche souvent entendu sur ses précédents films). Mais de même que les films d’horreur qui en montrent le moins sont souvent les plus efficaces, nous pensons que le trouble s’installe plus efficacement en faisant confiance au spectateur et en le laissant imaginer ce qui se passe « derrière la porte ».

Sur son parcours, Ewa rencontrera Orlando (impeccablement interprété par Jeremy Renner), un magicien qui entrera rapidement en rivalité amoureuse avec Bruno. Avec ce personnage (en apparence) solaire et uniquement animé par le désir d’aider Ewa, Gray semble traiter une nouvelle fois d’un thème assez central dans sa filmographie : le triangle amoureux (évidemment au centre de Two lovers mais aussi très important dans The Yards). A ceci près que si Ewa est convoité par deux hommes, elle n’a de sentiments que pour l’un d’entre eux. La rivalité avec Orlando va mettre en lumière l’extrême complexité de la personnalité de Bruno, magistralement interprété par Joaquin Phoenix, devenu l’acteur fétiche de James Gray chez lequel il donne toujours la pleine mesure de son talent et explore toute la palette de son jeu. Si Ewa est le personnage central, Bruno est le personnage le plus intéressant et le plus complexe du film, acteur du malheur des autres et spectateur du sien. Il se révèle possessif, cruel et enfantin, presque un « bad guy » malgré lui, loin du personnage caricatural de proxénète sans cœur qu’il semblait être et serait resté sous la plume et devant la caméra d’un autre réalisateur. Bruno semble tout avoir: argent, femmes et pouvoir et pourtant il n’est rien. Il dirige la vie de ces filles mais ce petit empire est en réalité bien fragile (plusieurs scènes le montrent tel un petit garçon colérique dépassé par les événements). L’arrivée d’Orlando laisse apparaître sa face la plus sombre mais met aussi à nue sa très grande fragilité. Joaquin Phoenix l’interprète avec beaucoup de subtilité, de sobriété, avant de progressivement laisser éclater toute l’intensité de son jeu dans plusieurs scènes mémorables. L’épilogue du film atteignant un « climax » rarement atteint dans la filmographie de James Gray.

Ce qui frappe et fascine chez Phoenix c’est cette fragilité qui pointe toujours derrière ses accès de folie. Ce regard d’une intensité folle, cette rage intérieure qui menace d’exploser à tout moment contre les autres mais aussi contre lui. Il était déjà prodigieux dans The Master dont le personnage était dans une dynamique inverse à celui de Bruno. Ces rôles sont probablement écrits pour lui mais Phoenix a une capacité unique à apporter un sous texte à son personnage. Dans The Master, Il donnait de l’épaisseur et de la complexité à ce personnage de déserteur paumé et colérique qui ne paraissait devoir être que le pantin de Lancaster. Dans The Immigrant, il apporte une extrême instabilité et fragilité à ce personnage qui, de par son pouvoir, devrait être inébranlable. En sortant de la salle, nous nous interrogions encore mais le temps passant nous en sommes aujourd’hui convaincus. Comme ses précédents films, The Immigrant a quelque chose d’intemporel et d’universel, un classicisme apparent qui peut laisser indifférent ou ennuyer. Il se classe dans cette catégorie de films qui continuent de vivre dans l’inconscient du spectateur et qui émeuvent un peu plus à chaque nouvelle vision.

Titre Original: THE IMMIGRANT

Réalisé par: James Gray

Casting : Joaquin Phoenix, Marion Cotillard, Jeremy Renner…

Genre: Drame, Romance

Sortie le: 27 novembre 2013

Distribué par: Wild Bunch Distribution

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