Critiques Cinéma

SILENCE (Critique)

3,5 STARS TRES BIEN

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SYNOPSIS: XVIIème siècle, deux prêtres jésuites se rendent au Japon pour retrouver leur mentor, le père Ferreira, disparu alors qu’il tentait de répandre les enseignements du catholicisme. Au terme d’un dangereux voyage, ils découvrent un pays où le christianisme est décrété illégal et ses fidèles persécutés. Ils devront mener dans la clandestinité cette quête périlleuse qui confrontera leur foi aux pires épreuves. 

Avec Silence le réalisateur mène ici à bien un projet de presque trente ans portant à l’écran le roman de l’écrivain (catholique) japonais Shūsaku Endō qui lui avait été recommandé par un révérend protestant libéral à la sortie de s08Dernière tentation du Christ dont Silence est en quelque sorte le prolongement. Co-écrit avec Jay Cocks son collaborateur sur Le temps de l’innocence et Gangs of New York , le film a failli se monter avec un casting différent allant de Daniel Day-Lewis à Gael García Bernal en passant par Benicio Del Toro. Ce sont finalement finalement Liam Neeson, Adam Driver et Andrew Garfield qui vont incarner ces missionnaires catholiques portugais partis à la recherche de leur mentor dans le Japon du XVIIe siécle …

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1633: Les pères Rodrigues (Andrew Garfield) et Garrupe (Adam Driver) jeunes missionnaires jésuites portugais partent vers le pays du Soleil Levant après avoir entendu des rumeurs affirmant selon lesquelles leur mentor le père Ferreira (Liam Neeson) dont ils sont sans nouvelles depuis des années aurait renoncé à sa foi et vivrait « comme un Japonais. » Le père Valignano (Ciaran Hinds) tente de décourager cette entreprise extrêmement périlleuse. En effet le shogunat des Tokugawa interdit le christianisme et les paysans convertis kirishitan qui le pratiquent en secret sont soumis à de terribles tortures et des exécutions s’ils sont pris par les autorités portant ne serait-ce qu’une simple croix sur eux. A son premier contact avec ces kirishitan, Rodrigues, qui est aussi le narrateur du film à travers les lettres qu’il adresse à Valignano, est à la fois enthousiasmé par le courage de ces convertis dont la pratique cachée lui rappelle celles des premiers chrétiens et dérangé par leur adoration des objets du culte tels des totems. Il se montre particulièrement dédaigneux pour leur guide Kichijiro qui a si souvent abjuré sa foi. La plupart des jugements qu’il va porter au long de son aventure vont s’avérer trompeurs. A l’inverse de La Dernière Tentation du Christ, parcours d’un prophète qui devait accepter sa divinité, Silence est celui d’un personnage qui se voit tel un saint (il voit même dans son reflet dans une flaque une image de Jésus) et réalise qu’il n’est qu’un homme, faillible.

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Le spectateur, témoin dans la première partie des tortures infligées par les troupes de l’Inquisiteur aux chrétiens – dont une séquence à la fois éprouvante et magnifique de crucifixion face à l’océan – s’attend au pire quand Rodrigues lui est livré (contre deux cents pièces d’argent là ou Judas en reçu trente). Mais Scorsese n’a pas l’approche doloriste de Mel Gibson dans La Passion du Christ. Le supplice auquel est soumis Rodrigues est plus psychologique que physique, l’enjeu étant pour son geôlier de faire de lui une figure de l’apostasie pour dissuader les conversions. A l’image du Christ dans le désert, Rodrigues va être tenté par différentes figures qui vont essayer de faire vaciller sa résolution mais aussi par son doute intérieur face au silence de Dieu. Cette deuxième moitié de Silence se présente ainsi comme une série de conversations dialectiques avec l’Inquisiteur (un Issei Ogata reptilien) qui incarne la force écrasante des traditions japonaises et son traducteur Tadanobu Asano (vu dans Ichi the Killer et Thor) dont le seul sourire semble être un acte de violence. Dans cette seconde partie, Scorsese abandonne le point de vue purement occidental et confronte le jeune padre aux aspects colonialistes, ethnocentré de sa mission évangélique ouvrant le champ de son questionnement au delà de la question de l’absence ou de la présence de Dieu. Quelle est cette arrogance qui incite les hommes blancs à se rendre dans des pays inconnus et à infliger leurs croyances aux pauvres dont ils ne veulent même pas apprendre la langue?

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D’excellents comédiens humanisent ces débats philosophiques leur donnant une dimension plus émotionnelle et digestible par le spectateur. Andrew Garfield incarne une figure récurrente chez le réalisateur, déchiré entre le sacré et le profane, tentant de concilier les rites de l’Église, la douleur de la transcendance avec l’iniquité de la réalité. Son jeu retranscrit parfaitement les tourments intérieurs du jeune prêtre et son passage de l’exaltation au doute. Adam Driver émacié, quasi spectral, qui partagera le martyr des villageois, matérialise la culpabilité de Garfied et ses arrangements avec la foi. Tadanobu Asano incarne parfaitement cette figure typique des films de prison (la deuxième partie se déroule quasiment à huis-clos) où le tortionnaire le plus haineux est aussi le plus souriant et le plus proche de sa victime. Si il maîtrise sa langue on perçoit chez le traducteur un réel mépris pour les actions de son prisonnier. Yōsuke Kubozuka incarne son personnage de Kichijiro dans la veine comique de Toshiro Mifune dans les films de Kurosawa – mais se dévoile peu à peu comme un personnage tragique du film , à la fois Judas et Pierre (le premier apôtre qui renia pourtant le Christ) du père Rodrigués. Liam Neeson démontre avec le personnage ambigu de Ferreira, le « Colonel Kurtz » du film qu’il est un acteur bien plus subtil que l’image monolithique de Charles Bronson 2.0 que lui a construit sa filmographie d’action. Sa confrontation intense avec Garfield est l’une des scènes les plus fortes du film.

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Magnifiquement photographié par Rodrigo Prieto (Argo, Brokeback Mountain, Le loup de Wall Street) Silence ne ressemble pas au style qu’on associe à Scorsese, il abandonne les acrobaties visuelles rockn’roll devenues sa marque de fabrique, la caméra garde une distance respectueuse dans des plans impeccablement composés , à l’immobilité déconcertante. Il n’y a même pas de musique, le «score» crédité à Kim Allen et Kathryn Kluge se compose principalement de sons naturels comme le stridulement strident et monotone des cigales. Dépouillé de tout artifice Silence apparaît austère et direct. Le montage expert de Thelma Shoomaker permet malgré tout de ne pas rendre écrasante les deux heures quarante du film. Seul bémol, Scorsese aurait pu faire l’économie de quelques séquences façon Don Camillo détonnant dans l’ascétisme du propos. La forme rejoint le fond dans les derniers moments du film , qui s’écartent de la perspective de Rodrigues et montrent l’ancien Père brisé, dépouillé de tous les titres de l’Église et de ses accoutrements. C’est dans ces moments – devenu l’ égal de ce «misérable» Kichijiro – que Rodrigues réalise que le silence est aussi celui dans lequel se réfugie la foi. Conclusion : Avec ce film théologique aride qui doit davantage aux crises spirituelles des films de Bergman ou au cinéma austère de Robert Bresson qu’à ses sagas pop de gangsters et de traders, Martin Scorsese signe un film religieux qui distille les thèmes avec lesquels il se débat depuis 40 ans. D’excellent comédiens avec en tête un Andrew Garfield christique apporte une vraie humanité à ces affrontements dialectiques.

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Titre Original: SILENCE

Réalisé par: Martin Scorsese

Casting : Andrew Garfield, Adam Driver, Liam Neeson,

Tadanobu Asano, Yōsuke Kubozuka, Issei Ogata

Genre: Drame, Historique

Sortie le: 08 février 2017

Distribué par: Metropolitan FilmExport

3,5 STARS TRES BIENTRÈS BIEN

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