Critiques Cinéma

LOVING (Critique)

4 STARS EXCELLENT

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SYNOPSIS: Mildred et Richard Loving s’aiment et décident de se marier. Rien de plus naturel – sauf qu’il est blanc et qu’elle est noire dans l’Amérique ségrégationniste de 1958. L’État de Virginie où les Loving ont décidé de s’installer les poursuit en justice : le couple est condamné à une peine de prison, avec suspension de la sentence à condition qu’il quitte l’État. Considérant qu’il s’agit d’une violation de leurs droits civiques, Richard et Mildred portent leur affaire devant les tribunaux. Ils iront jusqu’à la Cour Suprême qui, en 1967, casse la décision de la Virginie. Désormais, l’arrêt « Loving v. Virginia » symbolise le droit de s’aimer pour tous, sans aucune distinction d’origine. 

Shotgun Stories marquait les débuts de Jeff Nichols en qualité de réalisateur. Déchirante histoire de bras de fer fratricide, ce « petit » film fut en son temps le gage d’une carrière prometteuse pour le cinéaste américain. Avec Take Shelter, sa mouture suivante, Nichols eût l’audace de sortir des sentiers battus en livrant un récit simple mais au traitement original et poignant, centré autour des angoisses d’un père de famille subitement obsédé par l’imminence de la fin du monde et la nécessité de protéger les siens en les mettant à l’abri. Une belle allégorie de l’Apocalypse, un film d’une puissance émotionnelle et philosophique inouïe, portée par l’interprétation magistrale de l’impérial Michael Shannon et la performance plus qu’honorable de l’excellente Jessica Chastain. Take Shelter provoqua un tel raz-de-marée à Cannes lors de son passage à la Semaine de la Critique que le film suivant de Nichols (Mud – Sur les rives de Mississipi) reçut l’honneur d’être présenté en compétition officielle en 2012, devant le jury présidé à l’époque par Nanni Moretti. Relecture moderne et passionnante de Tom Sawyer (un Tom Sawyer qui aurait été biberonné à la cultissime Nuit du Chasseur de Charles Laughton), Mud marqua un tournant dans la carrière de Nichols, en bénéficiant d’une reconnaissance critique mondiale et en signant, au passage, le come-back inattendu d’un acteur immense, jusqu’alors boudé par la presse, le grand Matthew McConaughey, dont la suite de parcours – au hasard, True Detective – fut nul doute en partie dirigée par ce rôle.

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Cette année, c’est Midnight Special qui fit sensation à la Berlinale, puis lors de sa sortie en salles en mars dernier, avec son beau et intime message sur le deuil et la famille – un enfant est un dieu pour ses parents – ses vérités religieuses et sociétales, ses personnages insolites (Adam Driver, excellent), ses choix esthétiques anticonformistes couillus et son univers SF inspiré, rendant hommage aussi bien à Starman de John Carpenter qu’à Rencontres du 3ème type de Spielberg. Si on devait résumer le cinéma de Nichols, nous dirions ainsi qu’il s’agit d’un cinéaste passionnant, influencé par de grands artistes (Terrence Malick, John Ford, Joel Sternfeld, Steven Spielberg, Clint Eastwood, Charles Laughton), capable de s’approprier différents genres (drame, SF, biopic) par la force d’un story-telling habile et d’une mise en scène toujours pertinente pour leur insuffler sa délicatesse, sa sensibilité touchante, son souffle poétique original et ses riches obsessions (une famille contrainte de faire face à un monde externe souvent menaçant et violent, l’anxiété face à une fin du monde approchante, la crainte de la différence), articulées autour d’un propos formant un tout cohérent. Bref, un auteur au sens le plus noble du terme.

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Loving, son nouveau long-métrage, a été présenté en compétition au festival de Cannes 2016. Sur le tapis rouge, Nichols évidemment, mais aussi le casting principal composé du confirmé Joel Edgerton et de la révélation féminine Ruth Negga, comédienne aperçue furtivement à la télé dans quelques séries (Agents of SHIELD, Preacher). Reparti bredouille de la croisette, Loving a divisé la critique. A la sortie de la projection du Grand Théâtre Lumière, nous faisions partis du camp des réservistes, même si nous lui avions évidemment attribué d’indénombrables qualités. Mais aujourd’hui, plus le temps passe et plus ce futur grand film reste en fin de compte bien en mémoire. L’histoire, inspirée de faits réels, est tout simplement bouleversante : en 1958, dans l’État de Virginie, les couples mixtes sont illégaux. Pour ce délit, les époux Loving, formés par Mildred, femme noire, et Richard, homme blanc, risquent la prison. Poursuivis comme des hors-la-loi, forcés à s’exiler dans un autre État, les Loving sont devenus des symboles pour la lutte des droits civils, dans une Amérique encore majoritairement raciste. Leur cas exemplaire, porté devant la Cour suprême des USA, a changé les manuels d’Histoire.

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Certains redoutaient un « film à Oscars » ; en pratique, ce n’est pas tout à fait vrai : Loving est un drame touchant et puissant, qui évite judicieusement l’écueil de certains genres (mélo, film de procès) pour s’attarder sur ce qui importe le plus dans la vie : la famille et le désir qu’on a de protéger les nôtres. Orienté par une réalisation sobre mais toujours efficace, Loving a le bon goût de ne jamais sombrer dans le pathos, alors que les thèmes développés (ségrégation, droits fondamentaux de l’homme, combat judiciaire) et le genre abordé (biographie historique potentiellement sirupeuse) pouvaient aisément précipiter Nichols dans le piège tendu par l’académisme puant et la quête parfois cynique des statuettes dorées amassées sur la cheminée. Nichols, futé et humble, n’en finit plus de démontrer l’étendue de son talent, croyant au pouvoir évocateur de son récit et jouant d’une économie maline. Tout en délicatesse, à distance de tout violon ou misérabilisme, Nichols se passe des clichés pour se concentrer sur son sujet, faisant preuve d’une maîtrise scénaristique indéniable : qu’il s’agisse des personnages parfaitement caractérisés, de l’enchaînement ajusté des péripéties, ou des enjeux dramatiques, limpides et solides, Nichols offre là une véritable leçon de story-telling.

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En se concentrant sur les époux Loving, Nichols assure par ailleurs l’essentiel : provoquer l’empathie instantanée chez le spectateur. On suit ainsi avec admiration Mildred et Richard dans leur histoire d’amour inter raciale, leur quête de justice et le fondement d’un foyer. Le désir de mettre sa famille à l’abri d’une menace (bêtise humaine, violence du monde) était déjà l’une des thématiques de cœur de Take Shelter, elle est ici superbement considérée, via le personnage de Richard, courageux mari qui cherche à tout prix à construire, au sens propre comme au figuré, pour aller de l’avant dans cette Amérique profonde. Mildred incarne, quant à elle, une femme d’époque forte et militante, aimante et bienveillante. Tous deux sont campés avec pudeur et dignité par un tandem évident à l’écran : Joel Edgerton et Ruth Negga forment un magnifique couple de cinéma, dont on se souviendra certainement encore longtemps. Au-delà de leur alchimie incontestable, c’est la tendresse des regards échangés entre eux, la discrétion de leurs paroles, la beauté de leurs gestes et leur dévouement l’un à l’autre qui marquent frontalement les esprits, avec des nuances de jeux impressionnantes, presque gracieuses (émotions à la fois intériorisées et externalisées), rappelant celles du duo parental formé par Michael Shannon et Kirsten Dunst dans Midnight Special. De Midnight Special, il est d’ailleurs souvent question dans Loving : narrativement (la « différence », traquée par d’indéboulonnables mécréants, le père et la mère proches de leur(s) enfant(s)) et visuellement (le somptueux plan nocturne qui dévoile une voiture cavalant plein phares pour échapper à quelqu’un). Outre l’autoréférence, Nichols convoque de nouveau Spielberg (Amistad/Lincoln et l’humanisme dans un contexte ségrégationniste, la famille triomphante), mais aussi ce bon vieux Clint (le sentimentalisme inhérent aux amours contrariés de Sur la route de Madison), l’extraordinaire Malick (la contemplation des paysages de l’Americana) et tant d’autres. La réalisation apparaît ici épurée et simple, allant à l’essentiel et gommant tout effet. Des cadrages soignés (ceux serrés sur les visages et les regards sont à tomber) à la douce luminosité du chef op’, en passant par le travail réussi de reconstitution, la jolie composition musicale de David Wingo et le sens ingénieux de l’ellipse, Loving fait souvent mouche. D’aucuns reprocheront au récit d’être cousu de fil blanc et/ou trop étiré en longueurs infernales et/ou trop illustratif dans sa seconde partie, nous traverserons de notre côté ces quelques défauts sans réelle difficulté. Au total, la pudeur et la modestie de Loving contribuent à en faire une œuvre non pas singulière mais émouvante.

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Titre Original: LOVING

Réalisé par: Jeff Nichols

Casting :  Joel Edgerton, Ruth Negga, Marton Csokas,

Nick Kroll, Jon Bass, Christopher Mann …

Genre: Drame, Romance

Sortie le: 15 février 2017

Distribué par: Mars Films

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