Lettre ouverte à...

LETTRE OUVERTE A MICHAEL CIMINO (Hommage)

Cher Michael Cimino,

michael cimino

Il y a des lettres qu’on aimerait ne jamais avoir à écrire, des mots qu’on souhaiterait ne jamais avoir à prononcer, des adieux auxquels on préfèrerait se soustraire. Puis il y a aussi l’évidence, le besoin de remercier, parce que certains cadeaux reçus n’ont pas de prix si ce n’est celui de la force des sentiments qu’on leur porte. Vous voilà venu faire votre facétieux, cher Michael Cimino et emporter avec vous une partie de mon cœur de cinéphile pour votre grand voyage. Quand on a pris sur soi un tel déluge d’opprobre parce que l’on a porté son rêve à maturité et que celui-ci s’est fracassé sur les diktats du business mais que l’on s’en est sorti on ne peut pas vraiment mourir. Même cassé et brisé par une industrie qui ne pardonne rien à ceux qu’elle a pourtant porté aux nues, vous êtes revenus d’entre les morts pour tenter de poursuivre votre œuvre et vous avez dû vous battre corps et âme pour reprendre le droit fil d’un travail dont la cohérence frappe de plein fouet.  En filigrane des chefs-d’œuvre que vous laissez derrière vous, reste la violence crépusculaire qui s’en dégageait en parfait contraste avec la beauté des images que vous offriez en retour. Vous étiez un être paradoxal, ambivalent, impressionnant, tout aussi frêle que vous étiez fort mentalement. Vous étiriez le panorama d’une Amérique sublimé par la poésie qui se dégageait de vos films et dont les plans s’incrustaient dans la rétine et dans l’âme pour y faire leur nid, tout en étant un artiste hors normes, sans concessions, dont l’empreinte sur son art est indéniable. Ce refus de transiger avec les cols blancs qui prenaient les studios pour leur propriété et qu’ils pliaient à leur desiderata vous a valu de devoir vous complaire dans un statut d’artiste maudit tout en nous privant bien trop longtemps de votre talent et de votre œil.

cimino on the set

Mais aviez-vous encore la sève qui coulait dans vos veines, celle qui vous avait permis de passer d’un Voyage au bout de l’enfer avant d’aller pousser La Porte du Paradis qui vous était promis mais qui s’était refermée violemment sur vos doigts ? En deux films, et même si Le Canardeur en portait déjà les prémisses,  vous aviez montré votre Amérique à vous, urbaine et immense qui vous permettait de sublimer ses grands espaces que vous faisiez vôtres. Égrener votre œuvre ne permettrait pas d’en extraire toute la complexité ni d’en saisir toute la texture. Vous parliez des hommes, de leur condition, de leurs fêlures, de leurs rêves, de leurs espoirs et des idéaux fracassés sur les récifs de la bêtise, de l’ignorance et de l’incongruité de ce monde. Vous êtes de ces réalisateurs qui laissent derrière eux trop peu de films mais qui êtes parvenu à nous éblouir par la magie d’un art que vous maîtrisiez à merveille, dont vous aviez saisi tous les codes et que vous avez toujours servi de votre mieux, même après qu’il vous eut tout pris, vos rêves et vos envies. Aujourd’hui, c’est de la tristesse qui prédomine. Car quand on y pense, il n’y aura plus jamais sur un écran la mention « Un film de Michael Cimino ». Sans doute de là-haut vous allez contempler l’Amérique que vous racontiez et nous on sera toujours un peu orphelins. On n’a pas de mots assez forts pour raconter l’immense artiste que vous êtes. Heureusement Il reste vos images, incandescentes, et dont le cœur palpite dans la nuit noire et profonde dans laquelle votre disparition nous plonge. Alors merci monsieur Cimino, merci pour le voyage, même au bout de l’enfer, on vous y a suivi sans rechigner, car on savait que la route serait belle et inoubliable, marquant au fer rouge nos souvenirs de cinéphile. Je ne vous dis pas adieu, je vous chuchote à peine un au revoir, comme une manière de repousser l’inéluctable. Non vraiment vous n’êtes pas mort de toute manière puisque vous êtes immortel.

Votre dévoué serviteur.

Fred Teper

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