SYNOPSIS: Le Chef, monstre sacré de la cuisine française, réserve chaque année une place dans sa brigade à un jeune délinquant en probation. Romain, tombé pour escroquerie, débarque dans l’univers de la gastronomie et de l’excellence. C’est le début de son éveil au monde, à l’art culinaire, à l’amour, ainsi que le récit initiatique de son intégration, d’abord difficile, puis de son ascension fulgurante…
Tout commence par un générique! Classique, élégant, à la mélodie envoutante, un générique comme la télévision d’antan savait nous en offrir et qu’elle a peu à peu délaissée au profit de cartons informatifs qui plongeaient certes au cœur de l’action mais nous privaient de cette mise en condition nécessaire. La promesse d’un rendez-vous régulier, la répétition d’un air qu’on se prendrait bien à siffloter si la série ne nous plongeait directement dans son ambiance et ne nous happait en son sein avec force. Chefs, nouvelle série de France Télévisions montre que le service public sait changer de braquet et éviter de ressortir toujours le même type de fiction et, qu’en dehors du polar, genre fédérateur roi s’il en est, il existe des terres fertiles où aller chercher un oasis de différence. Non pas que Chefs bouleverse l’équilibre de la fiction française ou que son traitement diffère énormément de ce que l’on peut voir à longueur de temps, mais force est de constater que le sujet traité emprunte un aspect socio-culturel très important de notre société que la télévision s’ingéniait à cantonner jusqu’à présent à la télé-réalité. Créée par Arnaud Malherbe et Marion Festraëts, Chefs prend donc racine au cœur de la brigade d’un grand restaurant menée par Le Chef, dénué de patronyme et qui représente la figure tutélaire du restaurant qu’il dirige avec une autorité matinée de bienveillance. Belle idée de départ que de centrer son intrigue dans ce lieu mystérieux et fascinant qu’est la coulisse d’une cuisine d’un grand restaurant, théâtre idéal pour développer une dramaturgie intense. Si en 1983, le film Garçon réalisé par Claude Sautet nous avait initié quelque peu aux mœurs et brimades qui pouvaient avoir cour dans une grande brasserie parisienne (le Chef Bernard Fresson passait notamment ses nerfs sur le serveur Jacques Villeret), le cœur du sujet n’en était pas la vie de la cuisine mais plutôt celles des serveurs et du ballet de précision qu’ils devaient réussir pour que leur service ne connaisse pas de ratés et le film était une comédie dramatique et non pas comme ici un drame aux accents de thriller. Et c’était il y a plus de trente ans. Désormais les grands chefs font la une des magazines et sont devenus des stars des médias à part entière, et la série a le mérite de s’intéresser à un sujet trop peu prisé des scénaristes.
Au-delà d’un scénario astucieusement agencé, dévidant ses révélations avec économie sans avoir recours à trop d’artifices narratifs, Chefs bénéficie d’un casting impressionnant et réellement remarquable. De Clovis Cornillac au charisme puissant, qui récite d’excellents dialogues avec truculence, les mots coulant avec gourmandise dans sa bouche à la fougue d’une Anne Charrier déchainée, en passant par le romantisme torturée d’un Hugo Becker intense ou la grandiloquence d’un Robin Renucci mystérieux et la rancœur exacerbée d’un Nicolas Gob parfait en second détestable, Chefs et sa galerie de personnages sonne juste et bien. Chaque rôle, chaque personnage existe, même lorsqu’il n’est esquissé et la série bénéficie du coup d’une humanité palpable représentée par toutes ces personnalités dissemblables qui évoluent dans et autour du restaurant. On citera encore pèle mêle Annie Cordy qui démontre qu’elle en a toujours sous le pied en campant avec une belle sensibilité la grand-tante garante du passé, Joyce Bibring qui dévoile une personnalité plus complexe qu’il n’y parait, la chanteuse Juliette étonnante en agent de probation ou encore Zinedine Soualem en maître d’hôtel précieux…
Mais Chefs ne se cantonne pas à un récit linéaire classique et se permet parcimonieusement quelques séquences nimbées d’un certain onirisme. Cela ne fonctionne d’ailleurs pas toujours mais saluons l’audace de la tentative. La série sait aussi faire preuve d’émotion et également d’humour et se pare d’une esthétique léchée, montrant un Paris rétro comme bloqué dans un passé révolu avec ses cours pavées et sa brume matinale mais d’une grande beauté. Le montage concourt à un rythme délié quasiment jamais pris en défaut et qui explique sans doute l’éviction sans ménagement de certains personnages secondaires au fil de l’histoire. Alors oui il y a quelques bémols par ci, par là comme une mise en route délicate et certaines facilités pour boucler le tout en six épisodes. De même l’évolution de certains personnages est très rapide, sans doute le résultat de coupes intempestives, ce qui peut gêner quelque peu. Mais ce serait faire la fine bouche car la mise en images d’Arnaud Malherbe est des plus réussies et la lumière et la photographie subliment un récit qui n’est pas des plus sympathiques au premier abord. Avec en sous-texte la paternité sous toutes ses formes (personnelle et professionnelle), le refus puis l’acceptation de son don, la trame de Chefs se double d’un aspect thriller avec mise sous tension qui évite brillamment de tomber dans la caricature. Le résultat final est donc de très bon goût et conseillé aux « pupilles gustatives » averties qui sauront y déceler une fiction qui sort du lot en mixant les ingrédients d’une excellente série, à la fois populaire et exigeante! Une réussite!
Titre Original: CHEFS
Casting: Clovis Cornillac, Hugo Becker, Nicolas Gob,
Robin Renucci, Zinedine Soualem, Anne Charrier,
Annie Cordy, Joyce Bibring,…
