Un hôtel de luxe niché au cœur de la capitale au lendemain du triomphe de Whiplash au Festival de Deauville. Damien Chazelle, avant même la sortie du film collectionne les récompenses et les compliments. D’une simplicité et d’une gentillesse sans pareille, il nous parle de Whiplash, notre coup de cœur 2014 qui sera dans les salles le 24 décembre:
Pouvez-vous nous raconter l’origine de Whiplash et quel a été votre parcours avant de pouvoir monter le film ?
J’étais un batteur de jazz quand j’étais plus jeune et j’étais dans un orchestre de jazz très compétitif avec un prof très dur et j’avais des souvenirs de ce milieu. Quand j’ai écrit ce scénario c’était le scénario le plus personnel que j’ai jamais écrit. Je l’ai écrit assez rapidement mais ça a pris du temps pour trouver l’argent. A Los Angeles, à Hollywood aujourd’hui, un film qui parle d’un batteur de jazz ce n’est pas exactement la norme de ce qui peut séduire les investisseurs. Donc avec les producteurs nous avons eu l’idée de faire un petit court-métrage, de trouver une séquence, une scène dans le scénario et de la monter comme un court métrage. On a fait ça durant l’été 2012 et nous avons montré le court métrage à Sundance 2013 et ça nous a aidé à trouvé l’argent, les financiers et l’année d’après on a tourné le long métrage. Le court métrage a vraiment montré qu’un film sur la musique pouvait aussi être un thriller, un film vraiment viscéral.
Pourquoi le choix de cette chanson en particulier ?
C’est une chanson que je jouais plus jeune et je me souviens que la chanson Whiplash c’était comme dans le film c’était mon premier jour dans l’orchestre. Avant j’étais dans un orchestre débutant et quand je suis entré dans le grand orchestre, j’avais déjà l’angoisse et Whiplash c’était la chanson qu’ils jouaient. Je me souviens avoir vu les partitions et Whiplash c’est une chanson très dure pour un batteur, le tempo change beaucoup, j’essayais de suivre la musique et je n’y arrivais pas. Je me sentais déjà complètement perdu et c’est cette sensation de peur, d’angoisse, de se sentir perdu dans la musique que je voulais capturer dans le film. Pour moi Whiplash ça symbolise l’angoisse.
On dirait que votre mise en scène est rythmée comme la chanson. C’était prévu dès la préparation du film, dès l’écriture ?
Peut-être pas dès l’écriture, mais après l’écriture j’ai fait des dessins, des story-board pour chaque plan, j’ai tout dessiné, tout préparé, j’aime bien faire ça et là en plus il le fallait, parce qu’on n’avait pas beaucoup de temps pour tourner le film. On n’avait que 19 jours pour le tournage principal et quelques jours pour les inserts et donc il fallait vraiment être hyper préparé. Mais c’était comme ça, le style, je voulais que ce soit un film très rythmé, très précis comme si les personnages principaux l’avaient fait.
Comment avez-vous choisi J.K Simmons et Miles Teller ? Avez-vous écrit le script pour eux où bien les avez-vous choisi sur casting ?
Quand j’écrivais le scénario j’ai vu Miles Teller dans un film qui s’appelle Rabbit Hole, c’est son premier film et je l’ai adoré dans ce film et j’ai immédiatement pensé que je voulais travailler avec lui et qu’il serait parfait pour le rôle mais ça a pris quand même un peu de temps pour trouver l’argent. Et J’ai eu beaucoup de chance que ça se fasse. Pour J.K Simmons c’était un peu différent. C’est une idée de Jason Reitman qui est producteur sur le film et qui m’a aidé. Dès que j’ai entendu l’idée j’ai adoré, je trouve que J.K Simmons est un acteur formidable et on lui a donc donné le scénario. Lui il a fait le court-métrage avec nous et pendant le tournage j’ai vraiment vu Fletcher. Il est devenu le personnage, je n’ai pas fait grand-chose. Après le court-métrage devant les investisseurs nous avons imposé J.K Simmons, mais de toute manière lorsqu’ils voyaient le court-métrage, il n’y avait aucun doute, il fallait que ce soit lui.
On entend beaucoup parlé depuis que l’on parle du film de références à l’instructeur de Full Metal Jacket ou même à Docteur House. Est-ce que ce sont des références que vous aviez où bien est-ce simplement un ressenti du public ?
Pas House mais Full Metal Jacket oui bien sûr, je me souviens que lorsque j’étais dans cet orchestre je regardais beaucoup de films sur la musique et je ne voyais rien qui correspondait pour moi et en fait la première fois que j’ai vu Full Metal Jacket, c’était je crois ma deuxième année dans l’orchestre et je me suis dit enfin il y a quelque chose qui correspond. Et maintenant je trouve cela ironique qu’il ait fallu trouver un film de guerre pour trouver quelque chose qui corresponde et c’est ça ce que je voulais montrer dans ce film, le côté guerrier, ce côté violent, ce côté compétitif et dur de la musique. Il y a beaucoup de films qui parlent de la joie de la musique et là je voulais vraiment quelque chose d’autre parce que c’était comme ça pour moi, oui il y a eu des moments de joie, mais j’avais tellement peur de mon prof, j’avais tellement peur de la scène, de la batterie, que quelque chose qui m’amusait bien avant l’orchestre est devenu anxiogène et c’est ça qui m’intéressait. On n’était pas dans la guerre, et ce n’était pas une question de vie ou de mort, c’était la musique, c’était le jazz, normalement rien qui doive créer de l’angoisse.
Nous avons aussi pensé à une autre référence en voyant la caractérisation du personnage d’Andrew et votre façon de filmer ses séquences d’entrainement, c’est Rocky Balboa. Y avez-vous songez et peut-on dire d’Andrew qu’il a l’œil du tigre ?
J’aime bien ça, ce que je peux dire c’est que c’était fait exprès de faire un film sur la musique comme si c’était un film sur le sport et surtout la boxe. Pour moi c’était plutôt Raging Bull que Rocky, j’adore les deux mais je connais mieux Raging Bull et je n’ai pas revu Rocky depuis que j’étais enfant. Ce qui m’intéressait c’était de rentrer dans un genre, en l’occurrence le film de sport et d’essayer de le transcender, et ça aussi je trouvais que c’était intéressant, parce que la batterie, bien sûr c’est la musique, c’est l’art mais c’est aussi très physique, et ce côté physique je trouve qu’on ne l’a pas vraiment vu dans les films de musique. Je me souviens que mes mains saignaient comme ça, que mes doigts saignaient, que j’avais toujours mal aux bras et aux jambes et je voulais que le film montre ça d’une façon très claire et très précise. Et ce que j’adore avec Miles Teller, c’est qu’il a un côté guy next door mais si l’angle est différent on dirait un boxeur. J’aime bien ce côté physique et j’aime bien qu’au début du film ce soit un petit gars qui est très timide et fragile et qu’à la fin il devienne quelqu’un d’autre. Pour moi c’était un film sur le combat, c’était un film violent, comme un match de boxe entre deux grands athlètes qui se mettent à fond mais le milieu ce n’est pas le milieu du sport c’est le milieu de la musique. Le climax c’est un combat.
Comment s’est fait le choix de Paul Reiser pour le rôle du père d’Andrew ? Comment avez-vous pensé à lui pour ce rôle ?
J’adore Paul Reiser, je pense que j’aime les acteurs comiques dans des rôles dramatiques, il y a une espèce de tristesse en eux, et Paul Reiser il y a quelque chose dans ses yeux, de très doux, de très paternel et on sent que c’est quelqu’un de bien avec beaucoup de bienveillance et comme beaucoup de comédiens, il sait quand ne pas surjouer. Et là il fallait que le père soit beaucoup plus dans la mesure que Fletcher. C’est un acteur que j’ai adoré depuis Diner, mais ça faisait longtemps que je ne l’avais pas vu dans un film, et récemment ce qui m’a aidé à penser à lui, c’est qu’il avait un tout petit rôle dans Ma vie avec Liberace de Steven Soderbergh, où il interprète un avocat et il est formidable. Il est naturel, il est réel.
Est-ce que vous pensez à l’avenir pouvoir travailler avec un grand studio et par exemple vous mettre au service d’un blockbuster ?
Je ne vais jamais dire jamais, mais ce n’est pas ce que je veux faire dans l’immédiat. Ça me fait un peu peur. J’habite à Los Angeles, je vois ça tout le temps, c’est très séduisant et ça arrive souvent que des jeunes réalisateurs passés par Sundance se fassent manger par les studios. Et souvent le résultat ce sont des films qu’on dirait réalisé par le studio, et ça ce ne m’intéresse pas beaucoup. Le prochain film que je vais faire c’est dans un studio mais c’est un film que j’ai écrit avant Whiplash et qui est personnel. Mais on ne sait jamais, c’est vrai que parfois comme avec Batman et Nolan et Le Parrain avec Coppola il y a des combinaisons qui fonctionnent.
Et pour ce prochain projet, vous avez déjà les comédiens ?
J’ai quelques comédiens. C’est Miles Teller qui va jouer le premier rôle masculin et le premier rôle féminin ce sera Emma Watson. C’est une histoire d’amour, c’est une comédie musicale entre un gars et une fille à Los Angeles dans la tradition de Jacques Demy et on va le tourner l’année prochaine.
Pourquoi avez-vous finalement opté pour la réalisation plutôt que pour une carrière musicale ?
Moi le cinéma c’était mon premier amour, je savais ce que je voulais faire. La batterie c’était temporaire, ça a commencé comme quelque chose que je faisais comme ça pour m’amuser et ce n’est qu’en entrant dans l’orchestre et avec ce prof que ça a viré à l’obsession. Ça a duré quatre ans et après je suis allé à l’université et je suis revenu au cinéma.
Vous êtes franco-américain. Est-ce qu’il y a des comédiens avec qui vous aimeriez tourné en France ?
Il y en a beaucoup ! Mon père est français, j’ai passé quelques années ici et j’adore la France. Ce serait un rêve pour moi de pouvoir tourner ici et de faire un film en français avec des acteurs français.
Comment avec tous les prix que reçoit le film, avec tous les louanges qui vous sont adressés, comment gérez vous toute cette pression ?
Ça me rend très heureux, car quand on faisait le film on se demandait si le grand public serait touché. Le grand bonheur c’est de voir que le film peut marcher sur le public même si je sens toujours la pression et l’angoisse, c’est dans ma nature, je suis comme ça, je suis toujours prêt à tout. Mais tout ce parcours avec le film, avec les festivals, c’est émouvant pour moi, c’est très beau.
Propos recueillis par Cliffhanger
Remerciements à Michel Burnstein et Yuki de l’Agence Bossa Nova
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