ENTRETIENS

TABLE RONDE AVEC ALBERT DUPONTEL (Entretien) « Quand je vois Barton Fink, je comprends tout de la création »

A l’occasion de la sortie de Neuf Mois Ferme son nouveau film, dans les salles depuis le 16 Octobre, Albert Dupontel nous a reçu dans les locaux de sa maison de production. Dans une atmosphère détendue, il a évoqué non seulement son dernier bébé, mais également le cinéma qu’il aime voir et celui qu’il veut faire! Entretien à bâtons rompus:

neuf mois ferme 1

Pas trop d’appréhension au moment de la sortie du film ?

Un peu de résignation, ça nous échappe, c’est comme un ado qui quitte la maison ! On a un peu d’appréhension sur ce qu’il va devenir mais ça ne nous appartient plus !

Est-ce que vous avez écrit le rôle de la juge pour Sandrine Kiberlain ?

Pas du tout! J’avais commencé le film pour le faire en anglais avec Emma Thompson, on avait commencé des pourparlers, des débuts de répétitions mais le projet ne s’est pas fait comme prévu, c’était compliqué, je suis revenu en France, j’ai vu d’autres actrices auxquelles je pensais, mais je ne trouvais pas ma juge bref ça a pris plusieurs mois et en mai 2012 exactement j’ai dit à la productrice « je laisse tomber , je ne trouve pas ce que je veux » et elle m’a dit « Sandrine l’a lu » par je ne sais quel biais et elle voulait me rencontrer mais je ne vous cache pas que j’étais parti en me disant pourquoi pas,  mais sans réelle conviction et j’ai dit à Sandrine « on va faire des essais »! Donc on a fait des essais et la scène c’était l’auto-jugement du ventre quand elle accuse ce pauvre Bob Nolan de tous les faits divers depuis dix ans dans un moment de colère, et Sandrine au-delà de son talent d’actrice, ce qui ressortait très fort c’est ce qu’elle dégageait, car la caméra ne s’intéresse qu’à ce qui vous échappe, et donc son humanité, sa tendresse, son émotion… Parce qu’en fait bizarrement elle n’a pas de rôles comiques à jouer, elle est dans un registre purement dramatique et voilà c’était parfait, elle a fait la soudure avec tout ce que je cherchais. Il a fallu que je la filme pour m’en rendre compte ce qui en dit long sur mon intuition de casting director. Aujourd’hui je n’arrive pas à imaginer quelqu’un d’autre dans le rôle.le créateur affiche

Vous étiez parti sur un casting anglais au départ, après Le Créateur vous étiez déjà parti aux Etats-Unis, est-ce que c’est une vraie envie de travailler là-bas ?

Oui oui, mais sauter le pas n’est pas évident avec les américains. Ils ouvrent les bras mais ils ne les referment jamais. Après Bernie, Robin Williams m’a appelé, je suis allé à Hollywood, j’ai été reçu comme si j’étais Spielberg, c’est très flatteur, mais en pratique il ne se passe rien. Après Le Créateur qui n’a pas marché, ce qui n’est jamais bon signe pour eux, si ça marche ou pas c’est plus important que le film, j’ai reçu des scénarios par les studios américains, mais le metteur en scène là-bas à part les très grands c’est surtout un technicien, donc j’ai refusé poliment. Après j’ai voulu refaire Enfermés dehors avec des indépendants car je me sens plus proche d’eux, donc je suis allé à New-York pour l’écrire et à titre d’anecdote, je me suis arrêté 15 jours durant après avoir vu Memento en me disant « Putain il est super fort Nolan ». Et finalement j’ai des prérogatives qui sont les miennes, c’est-à-dire je n’ai pas beaucoup de sous mais je fais ce que je veux pendant deux ans et faire un film là-bas c’était perdre ça ! Je finirais par y arriver car je souffre un peu de me répéter en France. Le problème d’une production franco-anglaise mais en langue anglaise, c’est que je perds tous les investissements que j’ai en France et qui ne sont déjà pas nombreux donc en gros si France 2 vous donne de l’argent, si c’est en anglais ils divisent par deux, c’est le cahier des charges ce qui est assez logique finalement.

Que préférez vous comme phase entre l’écriture, le tournage, le montage ?

Le découpage du film, le tournage et le découpage parce que ça devient concret. L’écriture c’est manipuler des concepts. Écrire c’est regarder les étoiles et se dire « Putain ça me donne une idée ! » et quand on se penche sur sa feuille on dessine un point. Souvent c’est laborieux, faut réécrire, réécrire… Pour moi ça m’est de plus en plus difficile, les dialogues, les gags c’est relativement facile mais la structure en entier, le plan en entier, l’histoire en entier, le mouvement de tout ça, aujourd’hui j’en suis à un stade où je me méfie beaucoup de moi, ça a commencé sur Neuf mois ferme d’ailleurs. Donc j’ai du mal à écrire, je passe près de l’ordinateur et je me dis « je sais déjà les conneries que tu vas faire donc tu passeras plus tard ». Alors j’ai un petit coffre à jouets, ce sont des cahiers de notes, où je prends plein plein de notes, des idées qui n’ont rien à voir avec l’histoire mais qui vont définir un univers. Au début on a le sentiment qu’on se réinvente même si ce n’est pas le cas. La structure c’est juste le plan, c’est un truc qui est froid et mathématique et c’est long à mettre en place. Mais une fois que c’est mis en place, que ça tient à peu près la route, que je peux raconter le film relativement simplement par oral, après je l’attaque scène par scène, et là je commence un petit peu à peupler le film des choses que j’aime bien, ce que j’appelle le grand guignol !

Est-ce que vous utilisez un story board ?

Quand j’ai tout le film découpé, je storyboarde, mais pas tout, tout ce qui est scène de comédie, je laisse la liberté aux acteurs aux répétitions, pas sur le plateau, de chercher ce qui marche le mieux. Le meilleur moyen pour communiquer avec les techniciens c’est de montrer des dessins !

Est-ce qu’il est facile d’être à le fois, acteur, réalisateur, scénariste, de porter toutes ces casquettes ?

C’est laborieux. Tout à coup l’acteur va remettre en question ce qu’a écrit le scénariste, donc il y a une sorte de nœud perpétuel dans la tête, en même temps c’est un plaisir. Sans me comparer à eux, j’ai toujours admiré les « vrais classiques » de Orson Welles à Chaplin, et au moins le film fini, c’est entièrement de ma faute, si on ne l’aime pas c’est ma faute, y’a pas un truc qui m’a échappé de l’affiche au montage en passant par les bandes annonces, j’ai mon avis sur tout. Une fois le film fini, sous couvert de master-class, je voulais le montrer aux gens et voir leur qualité d’écoute. Suite à cette quinzaine d’avant-première, il y a encore 2mn30 du film qui ont été rabotées. C’est fou comme de voir quelque chose tout seul et de le voir à plusieurs ce n’est pas pareil.

chaplin charlot

 Vous êtes beaucoup allé à la rencontre du public ?

Ce n’était pas de la curiosité intellectuelle mais j’ai un vrai plaisir à ça ! Ce n’était pas des fans mais c’est justement ce qui était intéressant et je le referais. On peut le faire maintenant avec le numérique ce qui n’était pas possible avec le 35 mm. Ce n’était pas des screenings tests, mais je me glissais dans la salle dès que le noir se faisait et je prenais des notes tout simplement. On redécouvre le film. Toutes ces séances m’ont confortées dans une radicalité d’écriture. Pour les scènes où ils vont au Palais de Justice, je me suis embêté à chercher comment ce mec qui est recherché par la France entière, comment est-ce qu’il peut rentrer au Palais de Justice comme ça ? Bah en fait c’est impossible, sauf qu’on s’en fout !

Avec le recul, y’a-t-il des choses que vous feriez différemment avec vos précédents films ? Est-ce que vous avez des regrets ?

Non et pourtant j’ai une nature à regrets. La seule chose que je referais aujourd’hui c’est que je recommencerais beaucoup plus tôt, je commencerais à faire du cinoche dès le bac, même avant. Le mec que j’étais à cette époque là n’a rien à voir avec celui que je suis aujourd’hui en tout cas en apparence, donc c’est un songe un peu stupide, mais je commencerais plus tôt tout simplement.

Quels conseils donneriez vous à quelqu’un qui veut devenir réalisateur ?

Qu’il ne se laisse pas se décourager, qu’il fasse ce qu’il a envie, qu’il étudie les règles de façon à les transgresser et surtout qu’il fasse son cinéma et pas du cinéma. Et rien que ça c’est difficile à faire. Trouver vraiment ce qu’on aime, ce qu’on a envie de faire, c’est compliqué. Si je devais parler au moins jeune d’il y a vingt-cinq ans, je lui dirais, « Trouves ton cinéma et apprends à sélectionner dans tout ce que tu vois ce que tu aimes et ce que tu n’aimes pas. » ! Aujourd’hui quand j’aime Blue Jasmine je me dis qu’il faut que je comprenne pourquoi j’ai aimé alors que je n’aime pas Woody Allen. Affiner le goût comme ça le plus possible, c’est le meilleur progrès qu’on puisse faire.

Vous citez souvent Brazil comme un film qui a changé votre vie. Quelle est l’influence de Terry Gilliam encore aujourd’hui sur vos films ?

Influence inconsciente certainement, j’ai ma propre gamberge par rapport à la façon de faire des films. Quand je l’ai rencontré sur Le Créateur, il m’a demandé comment j’avais fait certains plans, j’étais presque au bord des larmes.

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Dans la presse, certains vous ont surnommé le Terry Gilliam français…

C’est réducteur pour Terry Gilliam, moi je m’en fous ! La critique ne sait pas comment me juger en fait, moi j’ai un pied dans le cinéma, un pied dans la distraction, quelque part y’a un No Man’s land ! Pour le critique c’est soit Cannes, soit Astérix et Obélix mais entre les deux y’a pas alors que j’ai biberonné à un cinéma indépendant américain qui justement est là dedans, les films des frères Coen, les films de Verhoeven aux États-Unis, les films de Terry Gilliam oui ce sont des films qui sont dans l’indépendance pure et l’iconoclastie qu’il y a dans ces films là donne un sentiment de vie très très fort. Ce que je ressens de l’existence ce sont ces films là, c’est pas Thor, c’est pas La pierre est dans la cuisine, Palme d’Or à Cannes ! Moi je m’y retrouve ! J’ai consommé du cinéma dit de genre quand j’étais môme, mais dès que mon goût s’est affiné justement, je l’ai retrouvé dans ces films là. Quand je vois Barton Fink, je comprends tout de la création ! Ça me parle mais monstrueusement, quand je vois Miller’s Crossing, quand je vois Arizona Junior, ça me parle de l’enfance, de la difficulté à avoir un enfant, et quand je vois Brazil, tous mes rêves et tous mes cauchemars sont dans ce film. Et puis y’en a d’autres comme ça, y’en a plein d’autres que j’ai vus comme ça, des polars de Friedkin, Police Fédérale, Los Angeles, Requiem pour un massacre de Klimov. Cette période là de 85 à 90 il y avait un vrai cinéma indépendant américain qui depuis a été phagocyté par les majors, qui compte tenu que ça marchait à récupérer ce cinéma-là. Et puis j’étais à l’âge où j’absorbais ça enfin avec un peu d’analyse.

barton-fink couv

Vous parlez beaucoup des travers de la société dans vos films. Est-ce que faire du cinéma c’est un engagement politique quelque part ?

Y’a des cinéastes plus engagés. Un vrai cinéaste engagé c’est Depardon ou Ken Loach. Moi  je considère que la société n’a pas besoin de moi pour avoir des travers ou être grotesque. Je n’ai pas le sentiment de dire que je vais faire un film pour dénoncer la justice, ce n’est pas le propos du film. Le propos du film, c’est vouloir faire rencontrer deux personnages complètement improbables qui à priori sont totalement en opposition mais qui ont plein de choses à se dire, mais ils ne le savent pas ! Faut passer par l’ivresse, faut passer par l’oubli, par la confusion mentale de l’un des personnages pour que ces personnages là se rencontrent. Le prochain c’est pareil, je suis sur un film sur la peur de vivre, qu’est-ce que c’est que la peur de vivre, pourquoi quelqu’un tout à coup n’aurait plus peur de vivre, ce sont ces thèmes là qui m’obsèdent.

Comment s’est passée la rencontre avec Camille qui a fait la chanson originale du film ?

Très simplement, Camille je l’ai sollicitée par agent interposé, pour savoir déjà si elle viendrait voir le film. Elle est venue et après je lui ai demandé si ça lui dirait de faire une chanson et elle m’a dit oui. Je crois que la veille de son accouchement elle m’a envoyé cette chanson et Noir Désir sur Bernie c’était pareil, j’étais allé à Bordeaux j’étais très admiratif de leur travail et Camille c’est pareil, j’écoutais son album en boucle. Faut être très simple, soit ils veulent soit ils veulent pas, personne t’oblige à quoi que ce soit.

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Dans un entretien vous avez dit regarder certaines séries télé. Est-ce que c’est un domaine qui vous intéresserait  pour raconter des histoires ?

Je n’en serais pas capable. En tant que spectateur, j’ai pris beaucoup de plaisir à regarder Breaking Bad, The West Wing, House of Cards… Il y a une innovation dans ce secteur là qui est extraordinaire, ils sont inventifs, ils sont insolents, ils sont amoraux, ils sont un peu tout ce que le cinéma des années 70 a été. Aujourd’hui ça passe sur les chaines cryptées comme HBO . Modicité de moyen donc une liberté totale de pouvoir agir… Parfois c’est à désespérer le cinéma américain… Là je retrouve les émotions que j’avais avec les films d’il y a un peu plus de 20 ans dont je vous parlais. Je ne sais pas si je pourrais écrire une série, mais diriger un épisode ou deux ça pourrait être intéressant. Fincher quand il fait House Of Cards c’est très sobre. Je pense qu’ils refont Richard III ,  Kevin Spacey, c’est Richard III  qui parle à la caméra, c’est une idée super rigolote. Une série télé anglaise que j’ai trouvée super aussi c’est Downton Abbey, pourtant c’est le décorum avec plein de personnages mais l’écriture est vachement bien. C’est là en fait où j’ai eu des émotions, beaucoup plus qu’au cinoche.

Si Canal Plus par exemple  vous proposait de développer une série ?…

Non je veux faire du cinoche moi ! Tant que j’ai du jus et que je peux faire des films, je vais essayer d’en faire le plus possible jusqu’à la fin de mes jours, je ne peux pas dire mieux. Je vais essayer d’arriver à 10, j’attaque un sixième, je vais peut-être faire l’acteur de ci de là en fonction des projets…

Chez Gilliam ?

Non je lui ai dit un jour « je te demanderais jamais de faire l’acteur chez toi » il m’a dit « Ba tu fais bien » (Rires) Il m’a dit « au lieu de faire des petits films intelligents, tu ferais mieux de faire star internationale, on pourrait travailler ensemble ! » (Rires)

 Vos envies de réalisateur se focalisent uniquement sur la comédie ?

J’estime faire plus des drames rigolos plutôt que de la comédie, d’ailleurs c’est un terme que je trouve très péjoratif en ce moment, la comédie tel qu’on l’entend en France c’est un casting de comédie, une histoire de comédie et un budget de comédie et ce film n’a aucun de ces critères là donc je préfère parler de drame rigolo. Une fois que le drame est posé, la question est pourquoi vous n’en restez pas là et bien c’est parce que je trouve beaucoup plus élégant de restituer l’émotion que j’ai eue, de la restituer sous forme de farce grand guignol.

Le budget était de combien pour Neuf Mois Ferme ?

Entre 4,5 et 5, je parle des coûts de fabrication, il aurait dû être plus important mais comme certains acteurs principaux ne se payent pas (Rires)

Vous ne vous sentez pas seul dans ce genre de cinéma en France ?

Je me sens toléré en France, c’est pour ça que je ne veux pas qu’on  attaque le cinéma français parce que les premiers films qui vont sauter c’est moi, ce ne sera pas Astérix et Obélix , ce sera moi , donc je suis toléré, ça me va très bien ! Le clair obscur dans lequel je suis me permet à la fois de ne pas être trop sous les spots et en même temps me permet de faire ce que j’ai envie de faire. Bernie et Le Créateur ont été durs, depuis Enfermés Dehors, Le Vilain et celui là, il faut juste que j’aille un peu plus vite, donc je vais moins faire l’acteur et je vais aller plus vite. Je ferais peut être l’acteur dans mes films mais moins chez les autres. Là on me propose un film avec Cécile De France qui est une artiste que j’aime bien , le scénario est joli, donc si j’ai bien avancé dans mon travail, j’irais me défouler chez un autre. Peut-être au printemps.

Vous écrivez donc en ce moment votre prochain film ?

Oui, ça va s’appeler Adieu les cons ! C’est un film sur la peur de vivre. C’est l’histoire d’une femme à qui on annonce qu’elle n’a plus beaucoup de temps à vivre, elle se met en quête d’un enfant qu’elle avait abandonné quand elle avait quinze ans, donc encore un thème récurrent, elle va se heurter à la machine administrative qui n’en a rien à foutre d’elle quelle que soit sa souffrance et elle va croiser pour son bonheur ou son malheur, un fonctionnaire dépressif qui a raté son suicide parce qu’il n’a pas été nommé directeur adjoint. Entre cette femme qui voudrait vivre mais qui peut plus et cet homme qui pourrait vivre mais qui veut pas, y’a forcément des choses à se dire…

 Remerciement à l’agence le K

Remerciements aux autres participants de cette table ronde Christopher de Oblikon.net et Erwan de L’imaginarium du Docteur Cinéma

 

3 réponses »

  1. salut vraiment tres tres bien !!!! c’est vachement interressant on decouvre albert dupontel !!!! encore !! bizzz

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