Critiques Cinéma

KILLERS OF THE FLOWER MOON (Critique)

SYNOPSIS : Au début du XXème siècle, le pétrole a apporté la fortune au peuple Osage qui, du jour au lendemain, est devenu l’un des plus riches du monde. La richesse de ces Amérindiens attire aussitôt la convoitise de Blancs peu recommandables qui intriguent, soutirent et volent autant d’argent Osage que possible avant de recourir au meurtre… 

Le chiffre parait étrange, mais cela fait effectivement depuis 2016 et son Silence que Martin Scorsese n’avait pas eu les honneurs de la salle de cinéma, son dernier film en date, The Irishman, ayant disposé d’une place discutée au sein du catalogue de Netflix. Le réalisateur continue, pour son nouveau film tant attendu – l’un des plus attendus de l’année, même – sa collaboration avec les plateformes de streaming afin de mettre en boîte avec AppleTv+ Killers of the Flower Moon, adaptation coécrite avec Eric Roth du roman La Note Américaine de David Grann. Ce gros bloc de 3h30 aura posé des questions sur les conditions de sa sortie, mais c’est finalement par la case salles de cinéma que le film se dévoilera – en tout cas, en France. Martin Scorsese y convoque deux de ses acteurs fétiches, Robert de Niro (dont c’est la dixième collaboration avec le réalisateur depuis Mean Streets) et Leonardo DiCaprio (sixième fois pour lui, après notamment Les Infiltrés, Shutter Island et Le Loup de Wall Street), et met en lumière la comédienne Lily Gladstone (révélée par Kelly Reichardt dans Certaines Femmes et First Cow) dont la performance fait déjà l’objet de rumeur quant à une éventuelle nomination aux prochains Oscars – alors même que le film n’est toujours pas sorti. Les rumeurs enflent, mais le fait est que, en réalité, Killers of the Flower Moon est effectivement une œuvre massive, tant par l’ambition de la narration, la méticulosité stupéfiante de sa mise en scène, le travail prodigieux de l’interprétation de son casting et la force vitale de l’histoire tragique qu’il convoque à l’écran.


Le film raconte, au début du XXe siècle, au retour des troupes américaines de la Première Guerre Mondiale, les mouvements au sein du Comté d’Osage en Oklahoma. Les blancs, venus chercher le pétrole sur le sol des tribus locales, ont transformé la ville en un nouvel eldorado de l’or noir, créant une richesse commune, sans distinction de couleur de peau. Ernest Burkhart, « jeune » soldat rentré de la guerre, se rend chez son oncle, William Hale, mécène et ami des Osage du Comté. Ce dernier lui offre un job de taxi, l’amenant à rencontrer Molly, fille d’une famille Osage nombreuse et aisée, dont il tombe instantanément sous le charme. Alors que leur relation se forme petit à petit, des tragédies bouleversent la ville quand des meurtres d’américains autochtones révèlent une machination qui se trame dans l’ombre… Par sa durée étirée, son multiple propos massif et son assemblage hétéroclite d’ambitions narratives, il est clair que Killers of the Flower Moon se fait vestige d’un cinéma en perdition, raccrochant Martin Scorsese à une volonté limpide de laisser la puissance du grand écran et de la grammaire visuelle parler pour elle-même plutôt que de mâcher le travail du spectateur. En ça, le long-métrage est certes exigeant à plein d’égards, mais témoigne de la confiance aveugle que fait le metteur en scène en son sens de l’image, du son et de son écriture ultra dense qui se complait dans les méandres et dans le poison infusant lentement dans sa colonne vertébrale. Killers of the Flower Moon est un objet rare, précieux, un simili-western crépusculaire cruellement vénéneux, jamais complaisant ni prétentieux, offrant un récit constamment assuré par l’évidente réussite de la mise en scène de Scorsese. Il ne cherche ni à prouver ni à convaincre, ne charge pas ses 3h30 de machinerie tape-à-l’œil ni de violence voyeuriste ; il se concentre sur l’essentiel d’une histoire vraie qui parle pour elle-même, celle d’un génocide ignoré, aujourd’hui comme à l’époque des faits. En focalisant le point de vue sur le personnage d’Ernest, proposant à Leonardo DiCaprio un rôle étrange, morcelé, aussi trouble qu’il est difficile d’accès, le film tend à brouiller les pistes, à mettre le loup au milieu des agneaux entre les lignes de son scénario, permettant à la tragédie de lentement prendre forme au milieu de sa galerie de personnages. Car c’est Molly, interprétée brillamment par Lily Gladstone, pourtant souvent absente de l’image ou en périphérie de la narration, qui campe le cœur de cette plongée à l’intérieur des drames de la naissance de l’Amérique moderne, faisant d’elle une figure sacrifiée, aussi souffrante qu’elle est déchirée, façon pour son réalisateur de mettre en scène avec brio la puissance bouleversante des traumatismes sur l’entièreté d’une communauté prise pour cible. C’est aussi le propos du personnage de Hale, grand Robert de Niro, qui sert une partition complexe et redoutable, imageant à la fois le deuxième côté de la pièce et la menace invisible qui se dresse au cœur de cette histoire.



Car, s’il emprunte au Western, au récit de gangster, à la peinture historique et au drame social quelques traits appuyés au service de son propos, Killers of the Flower Moon s’avère plus proche du thriller démesurément toxique, laissant infuser le poison dans ses veines pour révéler en cours de route les machinations qui provoquent les meurtres et les assassinats des Osage. Dans une plongée viscérale, devant au travail splendide des décors de Jack Fisk et des costumes de Jacqueline West un sens affuté de la reconstitution riche en détails, Martin Scorsese compose du grand cinéma, aussi massif qu’il est possible, dont la lecture âpre et les embranchements narratifs multiples pèsent tout de même légèrement le déroulé du récit, mais finit par, de manière saisissante, imprimer la réalité d’une tragédie humaine colossale, fruit d’un massacre froid et inconnu conclu dans la fermeture du film par un bilan donné au spectateur directement par son réalisateur.

Killers of the Flower Moon est un colosse brut de décoffrage, dans tous les sens de lecture, radical dans ses embouchures, impeccablement emballé par la photographie de Rodrigo Prieto, la musique tentaculaire composée par Robbie Robertson et le montage toujours aussi ébouriffant de Thelma Schoonmaker (collaboratrice constante du réalisateur), et magistral dans sa manière de représenter les traumas d’une communauté par la destruction d’une famille Osage. Martin Scorsese, fidèle à son talent, fournit avec ce nouveau morceau de cinéma une œuvre singulièrement fascinante, à l’orée des drames de la réalité, classique mais indubitablement moderne, qui joue avec son poison pour emmener le spectateur à travers une peinture saisissante de la destruction.

Titre original: KILLERS OF THE FLOWER MOON

Réalisé par:  Martin Scorsese

Casting: Leonardo DiCaprio, Lily Gladstone, Robert De Niro  …

Genre: Thriller, Drame, Historique

Sortie le: 18 octobre 2023

Distribué par : Paramount Pictures France

EXCELLENT

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