LES FEUILLES MORTES (Critique)

Par William François le septembre 18, 2023 • ( Poster un commentaire )

SYNOPSIS : Deux personnes solitaires se rencontrent par hasard une nuit à Helsinki et chacun tente de trouver en l’autre son premier, unique et dernier amour. Mais la vie a tendance à mettre des obstacles sur la route de ceux qui cherchent le bonheur.

Le nouveau film du réalisateur Aki Kaurismäki vient prouver, à celles et ceux pas encore convaincus, que le tampon « Compétition Officielle » du Festival de Cannes n’est pas systématiquement synonyme de sophistication élitiste ou d’assemblage de clichés prétentieux. Avec Les Feuilles Mortes, une comédie romantique douce à souhait, le metteur en scène finlandais propose, l’air de rien, une capsule profondément tendre marquée par son époque pourtant en décalage avec son temps. Le film raconte l’histoire de deux personnages vivants en parallèle à Helsinki. Ansa vit de petits boulots seule dans son petit appartement, et cherche l’amour sans le savoir. Holappa travaille sur un chantier entre deux bouteilles d’alcool, et cherche l’amour sans le savoir. Un soir, lors d’une soirée karaoké, les deux se rencontrent et tentent de construire une relation malgré les coups du sort et les aléas de la vie. Vissé sur un contexte social profondément actuel – les personnages écoutent constamment la radio faire état de la guerre en Ukraine – en racontant les pérégrinations quotidiennes et banales d’un homme et d’une femme aux revenus modestes au cœur de la capitale finlandaise, Les Feuilles Mortes place son axe autour de son duo de tête. De l’autre côté de l’écran, Alma Pöysti et Jussi Vatanen campent les très attachants Alma et Holappa, profondément touchants par leurs imperfections, leurs défauts, leurs maladresses et leurs erreurs.

Dans un chassé-croisé intimiste qui s’amuse à séparer ses personnages par le hasard, pour mieux les rassembler par leurs similitudes, Kaurismäki signe un bonbon de cinéma, un petit grand film à la délicatesse ravissante et à l’humour parfaitement dosé, s’amusant autant de ses situations burlesques que de son récit heurté par les complications respectives qui entravent les deux protagonistes dans leurs vies respectives.

En construisant une mise en scène d’une sobriété à toute épreuve, laissant des couleurs âpres et une photographie granuleuse mettre en relief ses différentes intrigues, Les Feuilles Mortes touche la filmographie de son metteur en scène, tout en évoquant par moment le cinéma de Jim Jarmusch par son traitement de la routine et de la proximité qu’il entretient avec ses personnages – d’ailleurs, sans grand hasard, c’est l’étrange et hilarant The Dead don’t Die de Jarmusch qu’Ansa et Holappa vont découvrir au cinéma lors de leur premier rencard.

Cette magnifique parenthèse en suspens, assemblée d’un cœur débordant, d’un minimalisme très efficace et d’une belle envie de conter le prolétariat sans aucun mépris, résulte en une œuvre délicieuse et enchantée, peut-être trop petite pour être véritablement bouleversante, mais suffisamment pour marquer, le temps de cette doucereuse escapade tragi-comico-romantique d’un esprit sage, d’une intelligence formelle évidente, d’une exploration touchante de l‘universalité, et d’un joli chien savamment nommé Chaplin. Comme quoi le cinéma, à l’inverse des feuilles symboliques de son titre, reste bien vivant et toujours aussi armé à travers les belles et continuelles inspirations de cinéastes comme Aki Kaurismäki.