SYNOPSIS : Ils sont sept, ils se sont connus à l’université de lettres de Lyon : Phyl, Clarisse, Aurélia, Titi, Marie, Gérard, Solange. Leur chef de bande était Ben. Pendant dix ans, la maison d’Aurélia, qui surplombe le lac de Montriond, cachée dans les montagnes, a abrité leurs attentes, leurs joies, leurs peines. Mais depuis la mort de Ben, le groupe a perdu ses repères. Aurélia, fantasque et provocante, invite ses amis et ses nombreux ex pour fêter son départ définitif pour les États-Unis. Elle espère que Phyl saura enfin lire en elle le désir qu’elle garde secret depuis toujours. Solange et Gérard annoncent pour la énième fois leur prochaine séparation. Pendant cette nuit, ils vont revivre leurs souvenirs, s’avouer leurs secrets, retrouver leurs fous rires et leur complicité et peut-être assumer en douceur leur nouvelle trajectoire.
Petite considération tout à fait subjective : très peu nombreux sont les films sur l’amitié dont on a très envie qu’ils deviennent nos amis, au sens où un film-compagnon peut parfois réussir à pointer une zone sensible de soi-même et nous accompagner au fil du temps à la manière d’une figure bienveillante. En voici pourtant un que l’auteur de ces lignes place en très haute estime dans cette catégorie, et ce en dépit d’une réception critique et publique au mieux confidentielle, au pire carrément boudeuse. Signalons d’entrée que ce film méconnu du réalisateur du Cœur à l’ouvrage part avant tout d’un souvenir personnel – et pourtant si universel – de son scénariste Alain Layrac : une fête entre amis trentenaires où la sensation de décalage par rapport à ce qui a été autrefois vécu s’avère si prégnante que de nouveaux sentiments, en particulier une irrépressible mélancolie, finissent par prédominer. Le genre de sensation qui parlera à coup sûr à quiconque s’est déjà retrouvé dans une telle situation de bascule décisive, signant la fin d’une époque et le début d’une autre. Si l’on doit vraiment suivre le troupeau en lâchant la connexion (discutable) avec Le Péril jeune de Cédric Klapisch, ce serait uniquement à l’aune de la disparition d’un personnage-clé qui fait figure de fantôme au gré des interactions et des discussions entre plusieurs potes trentenaires, ici réunis » une dernière fois » dans un lieu symbolique – le chalet montagneux de l’un d’eux, bientôt mis en vente. Reste que le beau film de Laurent Dussaux tient moins sur la hantise du passé que sur l’incertitude du futur.
Tourné dans une villa savoyarde au bord du lac de Montriond (les cinéphiles à l’œil attentif auront sûrement reconnu la maison de La Classe de neige de Claude Miller !), Avant qu’il ne soit trop tard fait valider son titre par plusieurs enjeux liés à chacun des amis : l’ami fidèle qui s’est tué autrefois dans un accident de voiture, son ex désormais clouée dans un fauteuil roulant et à la veille d’une amputation, l’allumeuse qui va bientôt prendre la poudre d’escampette aux Etats-Unis, la cruche qui pleurniche trop pour ne pas laisser présager un chagrin de plus en plus morbide, et même le centre de gravité cynique et mélancolique (impeccablement joué par Frédéric Diefenthal) dont on sait d’entrée qu’il désire voir une dernière fois ses amis avant de se suicider, inconsolable depuis la mort de son meilleur pote. La soirée entre amis dans ce chalet tout molletonné de neige a donc valeur de moment-clé, laissant l’effet de groupe entamer une dernière danse avant l’ombre et l’indifférence (désolé pour la référence…) tout en sachant que rien ne sera plus pareil le lendemain matin. Et comme toute confrontation amicale digne de ce nom, les masques vont tomber un à un et les caractères se révéler frontalement, faisant se fissurer la carapace d’un groupe davantage soudé par les non-dits que par la franchise. Les mauvaises langues auront bon dos de prétendre se retrouver là face à une caricature de vaudeville rajeuni ou une banale sitcom à la facture plus téléfilmesque qu’autre chose. Deux lectures qui, à bien des égards, relèvent de la mauvaise foi (au mieux) ou de l’injure (au pire).
Si le réalisateur embrasse sans honte le fondement même du récit choral (à savoir l’idée de confronter des caractères unilatéraux pour en faire craquer l’enveloppe et en extraire une lecture inattendue), il fait en sorte que l’image et le son soient ici les principaux moteurs du récit, de la dramaturgie et de l’émotion. Dès le générique de début, où se juxtaposent les noms des acteurs et de l’équipe technique le temps d’un fulgurant travelling aérien sur les reliefs alpins, on se réjouit de tomber enfin sur un film qui exploite intelligemment la chanson Again d’Archive, c’est-à-dire autrement que pour accompagner un coup de foudre – les paroles de cette merveille musicale illustrant avant tout quelque chose qui relève de la rupture et de la tristesse. Le choix du plan-séquence est tout aussi redoutable, et pas seulement parce qu’il donne une vraie identité à un genre en général réduit à enchaîner les plans fixes et les champs-contrechamps : ce parti pris sert la charpente narrative (tout est ici découpé en gros blocs de scènes), accompagne les interactions constantes et fluctuantes entre les personnages (on passe de l’un à l’autre, d’une pièce à l’autre), et confère à la caméra le relief d’un partenaire de danse. Même chose pour d’autres moments qui contribuent à relancer l’énergie au sein du huis-clos, tel ce match de baby-foot qui se change en règlement de compte ou ces quelques seconds rôles satellites (dont un taré sous acide et une cagole sarcastique) qui font vriller plus d’une fois des situations sujettes à la lourdeur. Et bien que les enjeux sont simples et basiques (machine a couché avec untel, truc confesse qu’il a déjà sucé tartempion, bidule fait des révélations douloureuses à trucmuche, etc…), le talent des acteurs et l’énergie du filmage font qu’on y croit jusqu’au bout. Et qu’on s’y sent bien.
Parce qu’ils font toujours en sorte de transcender leur partition de névrosé au lieu de la bétonner ad nauseam, les acteurs pèsent très lourd dans la réussite du film. Outre deux transfuges de la saga Taxi qui font montre d’une sacrée aisance dans un registre plus dramatique (Frédéric Diefenthal et Edouard Montoute), on retient surtout la folie zinzin d’Elodie Navarre, la compassion chaleureuse d’Oliver Sitruk, l’émouvante fragilité de Vanessa Larré (si si, l’interprète de Renate dans L’ours Mathurin et la famille Wallace !) et surtout l’aisance avec laquelle la prodigieuse Emilie Dequenne laisse percer un désenchantement à fleur de peau sous une carapace de bimbo nymphomane. Et parce qu’une telle smala se devait de finir la fête par un climax émotionnel de premier ordre, tout finira par converger sur une ultime danse, un moment de grâce sur fond du sublime End & Start Again de Syd Matters. Une scène devant laquelle l’émotion est trop forte pour ne pas nous chuchoter l’envie de saisir son téléphone afin d’appeler ses propres amis pour prendre de leurs nouvelles. Il n’est jamais trop tard. Y compris pour ce film oublié qui, on insiste, fait presque office de médicament apaisant en cette période de plus en plus troublée.
Titre original: AVANT QU’IL NE SOIT TROP TARD
Réalisé par: Laurent Dussaux
Casting: Frédéric Diefenthal, Emilie Dequenne, Olivier Sitruk …
Genre: Comédie dramatique
Sortie le: 4 mai 2005
Distribué par : Mars Distribution
EXCELLENT
Catégories :Critiques Cinéma, Les années 2000