SYNOPSIS : Dans une petite ville paisible de Kyushu, une jeune fille de 17 ans, Suzume, rencontre un homme qui dit voyager à la recherche d’une porte. Décidant de le suivre dans les montagnes, elle découvre une porte délabrée trônant au milieu des ruines, seul vestige ayant survécu au passage du temps. Cédant à une inexplicable impulsion, Suzume tourne la poignée, et d’autres portes s’ouvrent alors aux quatre coins du Japon, laissant passer toutes les catastrophes qu’elles renfermaient. L’homme est formel : toute porte ouverte doit être refermée. Suzume s’est égarée où se trouvent les étoiles, le crépuscule et l’aube, une voûte céleste où tous les temps se confondent. Guidée par des portes nimbées de mystère, elle entame un périple afin de toutes les refermer.
Le cinéma d’animation japonais, quand il ne s’exprime pas à travers ses grands classiques, reste relativement rare dans les circuits de distribution français. Depuis quelques années, les exceptions du genre sont principalement des adaptations de manga qui participent à la hype de leurs matériaux d’origine ou à leur envie d’expansion. On pense évidemment aux récents One Piece Red, Demon Slayer : Le Train de l’Infini ou encore le volet final de la saga Evangelion : Thrice Upon a Time. En dehors de ce circuit-là, les sorties imposantes se sont faites rares sur le sol français, et ce jusqu’à la sortie, en 2017, d’un succès qui a fait définitivement date dans l’histoire du cinéma japonais. Galvanisé par un succès populaire monstrueux sur le sol nippon, la nouvelle œuvre du réalisateur Makoto Shinkai (connu pour des réussites plus modestes avec ses premiers films La Tour au-delà des Nuages, 5 Centimètres par Seconde et Voyage vers Agartha) a fait des émules parmi le public et la critique, lui offrant alors son doux surnom du » Nouveau Miyazaki » – lequel paraît moins être un réel héritage qu’un abus de langage gentiment à côté de la plaque. Your Name. est rapidement devenu un classique du genre, mêlant la pureté visuelle de l’animation du studio CoMix Wave Films, la virtuosité musicale composée par le groupe RADWINPS et la magie adolescente et temporelle d’un amour impossible comme trop rarement le cinéma a su en imposer sur les écrans. Cela fera peut-être parti du même genre d’abus de langage que nous évoquions précédemment mais tant pis, soyons fous et disons-le texto : Your Name est un chef-d’œuvre, le genre qu’on n’outrepasse pas même avec toute la bonne volonté du monde. Mais loin s’en faut, Makoto Shinkai a pourtant réussi à transformer l’essai avec Les Enfants du Temps en 2019, une confirmation tout en tendresse du talent de son auteur, bien que beaucoup lui pointe du doigt, comme seul défaut, de ne pas être Your Name.
2023, Shinkai est de retour avec son nouveau film, cette fois attendu par toute une communauté d’amateurs dont l’ampleur dépasse largement les côtes japonaises. Suzume – le nom de son héroïne – raconte l’histoire d’une lycéenne de 17 ans habitant une ville au sud du Japon. Alors qu’elle se rend à l’école un matin, elle croise un jeune homme qui lui indique être à la recherche d’une porte. Intriguée par cet échange, Suzume décide de le suivre et tombe sur ladite porte, plantée en plein milieu d’un bâtiment en ruine. Attirée par elle, la jeune fille l’ouvre et en libère un danger gigantesque. L’étudiant, Sōta, lui vient en aide pour clore la porte, avant de lui confier que sa tâche est de protéger le monde de ce qui est enfermé de l’autre côté de celle-ci. Mais leur aventure ne fait que commencer, car des portes commencent à s’ouvrir les unes après les autres, partout à travers le Japon, préfigurant une catastrophe à venir s’ils ne les scellent pas au plus vite.
Tirant vers le film d’aventure là où les précédentes œuvres de Shinkai mettaient au centre de leur récit l’amour contrarié qui se construisait entre les deux protagonistes de leur histoire respective, Suzume joue la carte du road movie dans une quête au rythme soutenu qui verra la jeune fille faire alliance avec une chaise estropiée pour partir à la poursuite d’un chaton qui parle. Makoto Shinkai oblige, la dimension fantastique de son film fait des ravages à l’intérieur de son récit, s’amusant alors des dispositions narratives qu’il met en place par le biais d’un humour extrêmement bien dosé accompagnant les personnages dans leur rodéo nippon. On y suit alors Suzume, traversant du Sud au Nord les différentes îles du Japon à la recherche des différentes portes plantées par le temps et par les traumatismes des populations locales. Elle rencontre alors, à chaque acte du film, une nouvelle galerie de personnages qui vont faire un petit bout de chemin avec elle. Et le cœur de ce long-métrage tient dans toutes ces âmes que la jeune fille va croiser sur sa route, que ce soit une mère au foyer, une jeune livreuse, le meilleur ami du fameux Sōta, ou encore sa propre tante qui – dans le dernier acte – se lance à sa recherche. Le film porte alors un propos lourd, véhiculé avec beaucoup de tendresse et de subtilité entre les lignes de son récit ; Car Suzume est l’histoire d’un traumatisme purement japonais, et traite alors de son héritage, des nouvelles générations qui vivent avec lui et des souvenirs qui forgent des personnalités entières. Shinkai réussit un coup de maître, et propose un grand spectacle au timbre aventureux, à l’humour saillant et au bestiaire légendaire mirobolant, couvrant sous son esthétique mystique une réflexion intense et quasiment philosophique sur l’impact des traumas sur les questionnements identitaires de la nouvelle génération qui peine à devenir adulte. Suzume est un raz-de-marée émotionnel dans son final, absolument déchirant dans sa symbolique et dans ce qu’il dit du parcours de son héroïne. A sa clôture, le film nous laisse pantois, un peu circonspects également, devant cette (très) dense proposition de cinéma qui vit – à l’instar des grands films – pour être revu, décomposé et analysé avec soin.
Makoto Shinkai continue de se poser comme l’un des tous meilleurs concepteurs d’émotions pures au sein du cinéma contemporain, faisant briller à la fois le cinéma d’animation et la tradition japonaise dans une œuvre imposante, subtile et dévastatrice à la profondeur insoupçonnée. Elle est à la fois produit de divertissement ultime par son récit d’aventure, réflexion intense sur le passage à l’âge adulte dans sa facette teen movie complexe et mystique, mais surtout parcours émotionnel fulgurant sur les traumas du pays qui prennent vie sous la forme d’une créature omniprésente capable de frapper à tout instant et sur la jeune adolescente qui, pour panser les plaies de son pays, doit se connecter avec les âmes perdues attachées à chaque lieu blessé par le temps. Rassemblant à nouveau CoMix Wave Films à la splendide animation et RADWINPS à la bouleversante bande-originale, Suzume est une œuvre rare, précieuse, à la poésie aérienne et à l’ambiance éthérée qui frappe de plein fouet par sa douce violence et la force inarrêtable de sa délicatesse. Un combat d’apparences au service d’une oxymore comme on en fait trop peu au cinéma – signe d’un film qui a lui aussi, pour seul et unique défaut, de ne pas être Your Name.
Titre original: SUZUME NO TAJIMARI
Réalisé par: Makoto Shinkai
Casting: Lévanah Solomon, Nanoka Hara, Benjamin Jungers …
Genre: Animation, Aventure, Drame
Sortie le: 12 avril 2023
Distribué par : Eurozoom
EXCELLENT
Catégories :Critiques Cinéma, Les années 2020