SYNOPSIS: Dans les années 30 à Paris, Madeleine Verdier, jeune et jolie actrice sans le sou et sans talent, est accusée du meurtre d’un célèbre producteur. Aidée de sa meilleure amie Pauline, jeune avocate au chômage, elle est acquittée pour légitime défense. Commence alors une nouvelle vie, faite de gloire et de succès, jusqu’à ce que la vérité éclate au grand jour…
Film après film, genre après genre, enchaînant aussi bien les réussites que les déceptions, François Ozon continue de brouiller les pistes tout en restant fidèle à une cinéphilie qui le conditionne bien plus qu’il ne voudrait le reconnaître. A ceux qui en douteraient, l’année dernière avait déjà apporté, avec un Peter Von Kant pourtant assez déceptif, la confirmation d’une solide charpente cinéphile à partir de laquelle le cinéaste de Swimming Pool ne cesse de rabattre les règles du jeu à sa façon. Non pas un cinéaste qui puiserait dans un matériau de quoi le remixer et le remodeler à des fins décalées – c’est le pré-carré de Michel Hazanavicius – mais plutôt un qui se coulerait dans un genre codifié pour y injecter sa sensibilité féministe, son obsession pour le thème du désir au sens large, son art du décalage situationnel (par truchement du réel avec une forme variable de duplicité) et bien entendu – ne lui en déplaise – un goût de la provocation qui honore en tous points son nom de famille. A peine un an plus tard, Mon crime apporte lui aussi sa pierre à l’édifice en s’imposant comme l’ultime épisode d’une sorte de trilogie officieuse consacrée aux femmes. Un opus a priori récréatif, mais qui, à bien des égards, mérite nuance et effet de loupe au-delà d’un emballage des plus savoureux.
Là où 8 femmes et Potiche n’ont pas su faire en sorte que leurs faiblesses prennent de belles rides au fil des années (les numéros musicaux ultra-kitsch de l’un et le ripolinage naphtaliné à la sauce Maguy de l’autre ont pris un sacré coup de vieux), ce troisième film nous semble plus apte à résister au temps qui passe. Pour quelle raison ? Deux, à vrai dire : son intrigue plus élaborée et son décalage plus frontal. Si l’on rembobine un peu le temps, et en faisant abstraction de ce qu’on peut encore leur reprocher, 8 femmes et Potiche avaient su donner le » la » d’un point de vue piquant et (plus ou moins) moderne sur les femmes, l’un en cristallisant la fin du patriarcat sous la forme d’un vrai-faux suspense à la Agatha Christie, l’autre en actant le début du matriarcat par torsion-pastiche des codes du vaudeville. Avec, à chaque fois, un double point commun : un style théâtral en lien direct avec le matériau d’origine (le film se voulait à chaque fois l’adaptation d’une pièce existante) et un curseur temporel rembobiné suffisamment loin pour que la résurgence du point de vue féministe fasse office de grain de sable dans une mécanique sociale trop rance. Mon crime ne fait pas qu’honorer chacun de ces partis pris, il les explicite encore plus, et pas toujours avec la plus grande subtilité, reconnaissons-le. Au fond, pour ne pas être déçu, il convient simplement de prendre son mal en patience pendant au moins les trois premiers quarts d’heure. La surprise n’en sera que plus belle par la suite.
Disons-le tout de go : la première moitié du film nous fait craindre le pire, ne serait-ce qu’en raison d’une facture si forcée de partout – surtout dans le jeu over-dialogué de son casting et le déroulement mollasson de son récit – qu’on en vient à se demander si le cinéma et le théâtre n’auraient pas encore été confondus. Et c’est peu dire que les arguments ne manquent pas. Avec déjà deux jeunes actrices (Nadia Tereszkiewicz et Rebecca Marder) qui se bornent à réciter un texte très (trop ?) écrit en surjouant la diction, la gestuelle et les mimiques comme dans un mauvais Feydeau, on ne met pas cinq minutes pour faire la grimace (au mieux) ou serrer les dents (au pire). Avec une direction artistique qui mise sur la crédibilité du décorum – merci Jean Rabasse et Pascaline Chavanne – au détriment de toute faculté d’immersion, on est constamment mis à distance comme devant un livre d’images que l’on se contenterait de feuilleter sans affect. Avec une mise en scène qui limite ses audaces à quelques résurgences décalées du cinéma muet (riche idée pour habiller les flashbacks subjectifs et peut-être mensongers d’une pointe d’ironie bienvenue), on en vient à se dire que le film passerait aussi bien sur une télévision. Et surtout, côté casting, avec un très large avantage accordé à deux représentants de la vieille garde masculine (un Luchini impérial dans le burlesque punchy et un Dany Boon grandiose dans l’imitation de Fernandel avec l’accent pastis !), on se dit que le point de vue féministe – ici ressassé à grands coups de sentences pompeuses lors d’une scène de procès plus embarrassante qu’hilarante – risque bien de finir lettre morte dans ce » whodunit » qui n’en est pas un.
Oui, mais… Il suffit qu’un personnage absolument monumental débarque sans crier gare à l’exact milieu du récit pour que le sens de la courbe s’infléchisse alors de la meilleure manière qui soit. Maquillée comme une voiture voilée, relookée comme une tapisserie versaillaise et jouisseuse d’un dialogue très littéraire qu’elle réussit à rendre crédible par un génie de l’actorat dont elle reste seule dépositaire, notre Isabelle Huppert adorée prend alors le contrôle du scénario et surtout du film. Parce que grâce à elle, la petite mécanique crypto-revendicatrice à laquelle on pensait assister révèle soudain son double – voire triple – fond jouissif, qui fait passer tout un chacun pour le dindon de sa propre farce. La normalité qui pousse au crime, le crime qui rend célèbre, la célébrité qui rend fou, la folie qui devient normalité : ce cercle vicieux, Ozon le fait alors tourner à plein régime au travers d’un tricotage scénaristique des plus jubilatoires, autant perfusé au burlesque sociétal d’un Sacha Guitry qu’à tout un pan de la » screwball comedy » à l’américaine (Leo McCarey et Ernst Lubitsch en tête). Et le scénario peut ainsi révéler sa nature de piège, conçu de manière à user de tout ce qui semble » forcé » (jeu d’acteur, gestuelle excessive, ambiguïté sexuelle, décalage musical, artificialité du décor) pour s’imposer in fine en espace scénique à la fausseté revendiquée, peuplé par tout un tas d’acteurs qui » jouent » les marionnettes de leur propre théâtre. Il fallait bien tout cela pour que ce jeu du vrai et du faux sur les notions de culpabilité et d’innocence atteigne un relief autre que celui du pur » whodunit » tel qu’il se pratique ad nauseam, et là-dessus, quoi qu’on dise, François Ozon mérite un joli coup de chapeau. On prend d’ores et déjà les paris sur le fait que Mon crime ne passera jamais pour son meilleur film aux yeux d’un jury. Cela dit, pour ce qui est de donner chair à une récréation hilarante et tout à fait délicieuse, il gagne son procès les mains dans les poches, emporte l’acquittement à l’unanimité et chope le cœur de son spectateur par-dessus le marché. C’est déjà très bien.
Titre Original: MON CRIME
Réalisé par: François Ozon
Casting : Nadia Tereszkiewicz, Rebecca Marder, Isabelle Huppert …
Genre: Comédie dramatique, Policier, Judiciaire
Sortie le: 8 mars 2023
Distribué par: Gaumont Distribution
BIEN
Catégories :Critiques Cinéma, Les années 2020
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