SYNOPSIS: Nathalie Adler est en mission pour l’Union Européenne en Sicile. Elle est notamment chargée d’organiser la prochaine visite de Macron et Merkel dans un camp de migrants. Présence à haute valeur symbolique, afin de montrer que tout est sous contrôle. Mais qui a encore envie de croire en cette famille européenne au bord de la crise de nerfs ? Sans doute pas Albert, le fils de Nathalie, militant engagé auprès d’une ONG, qui débarque sans prévenir alors qu’il a coupé les ponts avec elle depuis des années. Leurs retrouvailles vont être plus détonantes que ce voyage diplomatique…
La dérive des continents (au sud) était présenté à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes 2022. On y parle de difficulté de l’Europe à être un continent uni par des valeurs communes, mais aussi en symétrie, de cette relation mère/fils si âpre. Avec cette affirmation en ellipse, que communément, tout est toujours la faute de la mère, comme tout est toujours la faute à l’Europe… C’est un film subtil sur les contradictions et les impossibles. Comme le dit son réalisateur, Lionel Baier : L’Europe ne fonctionne que s’il y a du désir : a-t-on envie d’être ensemble ou pas ? Le parallèle est évidemment tout entier entre Nathalie et son fils, Albert. Quand il faut choisir un migrant qui accueillera Emmanuel Macron et Angela Merkel à l’entrée du camp, le conseiller spécial de Macron glissera : « Une femme, c’est plus paritaire ». Une réplique qui finalement donne le ton à ce qui va traverser l’ensemble du film : un cynisme ordinaire, pas forcément outrancier, mais suffisamment démonstratif d’une autre dérive que celle des continents, celle de la politique, engloutie par la communication, les médias, les micros, les caméras, le net… Au sujet de l’utilisation de cet humour en mode doux-amer, le réalisateur dit : « Les seules choses qui se prêtent vraiment à la comédie sont les sujets épouvantables ! Il faut vraiment que la situation soit désespérée pour qu’on puisse en rire de façon intelligente. Le rire est une vraie forme d’intelligence. (…) En pariant sur l’humour, je me dis que je pourrais parler aux gens d’une façon un peu différente. L’humour permet de parler aux gens à un endroit plus sensible. »
A propos toujours de l’arrivée de Macron sur le camp, toujours l’insupportable conseiller : « Il hume la situation, il retrousse ses manches, et y’a pas de problèmes, le mec de BFM est au courant« . Le président est clairement comparé à un vendeur de téléshopping. Il existe dans La dérive des continents (au sud) une singularité dans la mise en scène. En effet, très régulièrement, la caméra se perd sur des petites images insignifiantes, le tapis roulant du supermarché, le cycliste que l’on double, une main qui se tend qu’on ne saisit pas… Évidemment, rien n’étant jamais le fruit du hasard, Lionel Baier glisse du symbolisme et des métaphores un peu partout.
Au-delà des dérives continentales, entre misère humanitaire d’une partie du globe et l’immorale impudeur des dirigeants européens, c’est constamment en parallèle la dérive du lien mère/fils, qui s’est délité au point de l’abandon, par notamment un choix de vie, un choix de femme, celui de partir avec une autre. C’est toute la question de la liberté, notamment celle de l’émancipation féminine, de l’envie de vivre autrement que dans l’assignation du statut maternel. Si les dialogues font très souvent mouches, les situations burlesques s’enchaînent dans un rythme pour le moins déconcertant. C’est justement plutôt un faux rythme qui donne une narration parfois difficile à suivre, et pour le moins décousue. C’est clairement un choix, un geste scénaristique, qui s’il n’empêche aucunement de prendre un malin plaisir cinéphile, vient parfois freiner une dynamique et occulter une profondeur, que l’on perçoit, mais qui n’aboutit pas toujours, c’est donc par moment presque frustrant !! Car l’irrévérence est là, mais n’allant pas au bout de la démonstration, c’est comme si l’ensemble demeurait parfois un tantinet trop sage.
Pour autant, dans son rythme de comédie très à l’Italienne, La dérive des continents (au sud) se manifeste par une prise de risque qu’il convient de saluer dans cet audacieux mélange des genres, ponctuées d’étrangetés souvent bien sidérantes. Isabelle Carré est impériale, comme toujours. Ce rôle de femme forte qui justement étale ses fragilités comme qui rigole, lui va à ravir. Elle sublime tout ce qui passe dès qu’elle est à l’écran. Autant drôle que très touchante, sa palette est interminable. Elle porte le film avec passion et engagement, c’est un plaisir de chaque instant, un total régal. Face à elle, Théodore Pellerin est impeccable dans l’agacement que son personnage peut générer chez le spectateur. La scène notamment de rap est un moment immense, qui permet à l’acteur de prendre une dimension impressionnante dans un flow à la Eminem totalement éclatant. Ursina Lardi est particulièrement émouvante dans ses apparitions, entre douceur et complexité. Une présence forte. Au final, La dérive des continents (au sud) aurait pu continuer son mouvement vers encore davantage de subversif, mais clairement c’est une œuvre particulièrement originale, qui se regarde avec curiosité et plaisir.
Titre Original: LA DÉRIVE DES CONTINENTS (AU SUD)
Réalisé par: Lionel Baier
Casting : Isabelle Carré, Théodore Pellerin, Ursina Lardi …
Genre: Drame
Sortie le: 24 Août 2022
Sortie en DVD le: 7 Février 2023
Distribué par: Blaq Out
BIEN
Catégories :Critique DVD, Critiques Cinéma, Les années 2020, Sorties Vidéo