Rencontre avec la star internationale, Monica Bellucci, lors d’une table ronde à l’occasion de la 14ème édition du Festival Lumière à Lyon, avec nos collègues Nastassia Trushkin de S-quive, Anais Calon de Maze.fr et Philippe Hugot de Baz’art. Nous avons échangé avec elle autour du film The girl in the Fountain d’Antongiulio Panizzi, présenté au festival, et qui symbolise la rencontre entre deux mythes du cinéma italien. Monica Bellucci qui enchaînait les interviews, nous a reçu en toute simplicité au cœur du festival Lumière :

Photo : Fabrice SCHIFF
La vie et la carrière d’Anita Ekberg, C’est l’exemple total d’une envie de liberté complètement entravée ?
Monica Bellucci : En effet, cette femme, elle avait un courage hors normes. Aujourd’hui c’est facile de partir de l’Italie ou d’un autre pays, de partir à l’aventure, mais à cette époque, c’était autre chose. Elle était super jeune, elle est allée en Amérique, elle a appris l’anglais, elle est venue en Italie, elle a appris l’Italien. Et quand elle est arrivée, elle avait quand même eu le Golden Globe « Star of the year ». Après, elle a fait La Dolce Vita et est devenue une star internationale. Mais cette liberté, elle l’a payée très cher. Aussi car c’était une époque où on ne pouvait pas être libre comme ça. Et ce qui est intéressant dans The Girl in the fountain, c’est la comparaison entre deux époques. Le star system de l’Italie après la guerre et celui d’aujourd’hui, et entre les femmes de l’époque et les femmes d’aujourd’hui. C’est deux vies en confrontation. Le problème de l’époque c’est que l’image et la personne, c’était la même chose. Quand elle sortait, elle dansait sur les tables, elle faisait la Dolce Vita. C’était très risqué, et je pense qu’elle est tombée dans ce piège. Elle est aussi arrivée dans une époque où en Italie, c’était le plus fort moment artistique qu’on a connu. Il y avait tous les plus grands metteurs en scène, mais il y avait des diktats précis. Après un certain âge, c’était impossible de continuer à travailler. Tu pouvais avoir tout le talent que tu voulais, ta carrière était liée à un moment biologique. Ce film est important aussi car ça raconte un moment magnifique du cinéma, où il y avait des lois très dures pour les femmes. Moi à mon âge, ça aurait fait 20 ans que je n’aurai plus travaillé.
On peut faire le parallèle avec le fait que vous-même, vous avez changé les codes, en venant de la mode, en faisant tomber les à priori. Vous avez permis ce changement ?
MB : Oui, quand on m’a proposé le film, je me disais « qu’est ce que j’ai en commun avec cette femme? ». Je viens de la mode donc bien sûr qu’il y avait des à priori, l’image était forte, les gens parlaient de moi, alors que je n’avais pas encore fait grand-chose. Après, tu travailles pour que ça change mais la vie aussi, et la carrière m’a permis ça. Après, j’ai pu exister dans la durée. Et aujourd’hui quand Tom Volf m’appelle pour faire la Callas, ou Antongiulio Panizzi pour faire Anita Ekberg et plein d’autres projets, ça veut dire que les choses sont en train de changer mais qu’à cette époque-là dans les années 50, c’était impossible.
Parmi les similitudes que l’on peut voir entre vous et Anita Ekberg, il y a le développement de votre carrière à l’étranger, est-ce une forme d’émancipation ?
MB : En effet, moi j’ai pris ça dans la tradition italo-française, avec beaucoup d’acteurs français qui ont travaillé en Italie et beaucoup d’acteurs italiens qui ont travaillé en France. Du coup, il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Je suis venue en France, comme une émigrée culturelle. J’ai toujours eu un grand amour pour le cinéma Français. Je suis venue, j’ai essayé et après, quand j’étais jeune, la France était une de mes bases et tout est parti de là. J’ai un film français L’appartement (1996), qui a gagné un BAFTA, après on m’a vu et tout s’est ouvert. J’ai juste suivi quelque chose, qui était historiquement possible depuis toujours entre la France et l’Italie. Aujourd’hui c’est complètement différent. Il n’y a pas beaucoup de films Italiens qui sortent à l’étranger.
Il y a une scène avec le geste du bras d’Anita Ekberg, où on vous voit répéter ce geste, le décomposer, et ne pas parvenir dans ce qu’on voit, à le refaire. Vous avez finalement réussi à vous le réapproprier ou c’est quelque chose qui lui appartient totalement ?
MB : C’est à elle !! C’est difficile, car ce qui est beau c’est que c’est une manière de se présenter. Ça fait la star, mais je l’assume !! Car aujourd’hui avec Instagram et le reste, on sait très bien que tout ça est faux, que tu peux inventer la vie que tu veux, on sait que c’est une illusion. Mais les stars de l’époque, c’était des êtres tellement distants de notre réalité. Ava Gardner, toutes les actrices de l’époque, c’était une image loin de la réalité, c’était des femmes inapprochables. Aujourd’hui, n’importe qui peut faire de l’image. Mais aussi, j’aime beaucoup les jeunes aujourd’hui, qui n’ont pas peur de dire qu’ils sont fragiles. Il n’y a pas de honte à parler de sa propre fragilité. Avant, même si la femme paraissait magnifique, intouchable, mais la vérité c’était quoi ? On ne pouvait pas la dire la vérité. Aujourd’hui, on a peur de dire « ça ne va pas du tout ».
Justement, par rapport à ça, il est dit dans le film qu’Anita Ekberg n’était peut-être pas une grande actrice, mais qu’elle était elle-même, vous en pensez quoi ?
MB : Ça c’est faux, car même pour être une bonne actrice, il faut être toi-même. Ça revient toujours au même problème, avec la beauté qui crée beaucoup d’apriori, car tout le monde pense que quand tu es belle, tout est accessible et que du coup, tout est facile. Bien sûr, t’es jolie, tu fais l’actrice, c’est ce qu’il y a de plus banal au monde, c’est vrai !! Mais si tu ne dégages pas quelques chose… Et cette femme (Anita Ekberg) avait beaucoup de talent. Mais cette beauté a un peu étouffé ce talent. Sinon, on ne parlerait pas d’elle aujourd’hui.

Photo : Fabrice SCHIFF
On peut imaginer dans ce rôle un processus d’identification plus fort que d’habitude. Et en même temps, qu’est-ce que vous rassemble et vous divise avec Anita Ekberg ?
MB : Ce qui nous divise c’est l’époque, dans le sens où elle a dû terminer sa carrière très tôt, et nous aujourd’hui, quand on est comédienne, on peut durer plus longtemps parce que les idées sur les femmes ont changé, les idées sur l’image, et c’est une grande différence. Après, ce que j’ai en commun avec elle, c’est le risque que l’image te mange, et j’ai risqué ça pour moi, que l’image puisse me manger, mais ce n’est pas arrivé…
Car comme vous le disiez dans une interview, vous n’avez pas confondu amour et désir…
MB : (Rires….) Oui, c’est vrai, je n’ai pas confondu, mais ça on l’apprend, car c’était les premières femmes qui sortaient dans le monde social et du coup c’était facile de confondre l’amour et le désir. Et en effet, on voyait les hommes avec qui elle a été, ils lui avaient tout pris. Mais regardez, Maria Callas, il y a eu la même chose. C’était les premières femmes indépendantes, mais elles ne savaient pas encore gérer ça. C’était le début. C’était des femmes dans un monde d’hommes. C’était compliqué à gérer cette première liberté
Il y a une scène dans le film qui est assez étonnante, vous faites une Masterclass avec des étudiantes et personne ne connaît Anita Ekberg ?
MB : Oui, c’est incroyable, et c’est pour ça que c’est un film important. Même les jeunes à l’université, personne ne savait qui c’était.
Du coup, vous vous êtes dit que vous aviez aussi ce rôle de transmettre ?
MB : Oui car cette femme, elle a vraiment marqué quelque chose de très important, ça va au-delà d’elle. Elle représente un monde et toutes les femmes de son époque, et alors qu’elle a tellement fini dans la tristesse et la solitude, que je pense que ce film va lui redonner la lumière qu’elle mérite.
Il y a un moment quand le réalisateur vous fait la proposition, il y a sur votre visage la peur de ne parler que de la beauté, mais on a le sentiment qu’il existe aussi une forte émotion qui vous traverse où vous vous dites mais pourquoi pas en fait ?
MB : Oui, c’est ça, c’est le contraste, avec « Mais qu’est ce que je vais faire là-dedans ? » Tout en se disant que je peux y faire plein de choses. Et que peut-être je peux parler des arguments qui gênent, et du coup, on me propose un truc où je dois m’ouvrir à quelque chose qui me dérange, et alors, c’est là où je me dis oui je le fais car en effet c’est un propos important
Vous dites que les choses changent, mais aujourd’hui je crois qu’il n’y a que 8% de femmes de plus de 50 ans dans le cinéma Français et…
MB : (Rires bienveillants…) Vous avez fait une étude ?
C’est une réalisatrice qui en parlait récemment et qui voulait le mettre lumière, mais The girl in the fountain contribue à changer le regard justement ?
MB : Oui, j’espère qu’il y contribue, mais c’est vrai qu’en ce qui me concerne, je me retrouve au théâtre, au cinéma, où je viens de faire une comédie américaine avec Toni Collette, qui est aussi une femme de mon âge. Deux femmes adultes qui font une comédie américaine sur la mafia, c’est pas des rôles que l’on pourrait imaginer. Et justement, on se disait avec Toni Collette : « Regarde, on est deux femmes adultes toutes les deux, sur une comédie, ça prouve que ça peut vraiment changer« .
Dernière question, Vous avez appris le tir à l’arc pendant le film ou vous en faisiez avant ?
MB : Ça permet de finir le film sur une métaphore totale. On a appris à se défendre.
Propos recueillis par JM Aubert.
Merci à Philippe Hugot et Fabrice Schiff pour l’utilisation des photos
Merci à Philippe Hugot, Nastassia Trushkin, Anais Calon
Un grand merci à Marie Queysanne et Samuel qui ont permis à cette interview de se faire.
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