Critiques Cinéma

STARMAN (Critique)

SYNOPSIS: Un extra-terrestre est poursuivi par l’armée américaine. Il se réfugie chez une jeune veuve et prend l’apparence de son mari défunt. La jeune femme l’héberge et l’accompagne dans sa fuite…       

Depuis qu’en 1938, Orson Welles fit la lecture sur les ondes de CBS d’un long passage de La Guerre des Mondes de H.G Wells et ainsi fait croire à l’Amérique qu’une invasion extraterrestre était en cours, le cinéma américain n’est que très rarement sorti de la vision binaire des extraterrestres animés d’intentions bellicistes dont l’arrivée sur terre représenterait nécessairement une menace à combattre. Ces récits n’ont cessé de nourrir la représentation des extraterrestres, en particulier à partir des années 50 (It Cames From Outer Space, Invaders From Mars, The Thing From Another World, Earth Vs Flying Saucers  …)  où ils étaient alors aussi l’expression de la peur d’un ennemi bien plus tangible, l’URSS, et de la menace d’un holocauste nucléaire. Le Jour où la terre s’arrêta (Robert Wise, 1951) a ainsi longtemps été le seul représentant notable d’une science-fiction envisageant que des aliens puissent arriver sur terre avec des intentions pacifistes, nous mettant face à nos peurs infondées.  Il aura fallu attendre Rencontres du Troisième Type (1977) puis évidemment ET (1982) pour que Steven Spielberg ouvre la porte à une approche plus connectée à nos rêves qu’à nos peurs, à une vision moins anxiogène de l’altérité et de tout ce qui nous est inconnu, rendant compte de notre désir profond de  comprendre nos origines et de découvrir que nous ne sommes pas seuls dans l’univers. C’est précisément le point de départ du scénario de Starman qui imagine qu’un extraterrestre est envoyé sur terre en réponse aux messages et informations transportés par la sonde Voyager 2 lancée en 1977 pour recueillir des données sur Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune. Produit par la Columbia qui  croyait plus dans le potentiel de ce récit que dans celui d’ET (à l’époque baptisé Night Skies) qu’il avait laissé partir chez Universal, Starman dû attendre plusieurs réécritures et le choix de John Carpenter (succédant à Adrian Lyne et John Badham) pour enfin sortir sur les écrans, 3 ans après le triomphe du film qui couronna Steven Spielberg roi du box office mondial.

Starman a beau être un film de commande, dont Carpenter n’a ni écrit le scénario, ni même composé la musique, il n’en est ainsi pas moins une œuvre personnelle et lumineuse, assumant jusqu’au bout son parti pris de raconter une histoire d’amour impossible, une fuite amoureuse entre deux êtres qui n’auraient jamais dû se rencontrer. C’est aussi sa réponse au douloureux et retentissant échec de The Thing et la traduction de sa volonté de porter un projet radicalement différent qui le remette dans les petits papiers des gros studios. De fait, Starman est aussi lumineux et naïf que The Thing était noir et désespéré. Plus qu’un film de rencontre extraterrestres, Starman est un grand film romantique, celui que John Carpenter n’aurait peut être jamais osé ou pu faire sans le prétexte de cette prémisse de film de genre, lui qui, à l’exception du téléfilm Elvis, semblait jusque là y être cantonné. De même que Terminator (James Cameron, 1984)  est plus qu’un récit de science fiction et que son cœur bat au rythme de l’histoire d’amour entre Sarah Connor et Kyle ReeseStarman repose sur la relation entre cette jeune femme qui pleure encore son mari, vit dans son souvenir et cet extraterrestre qui en est le clone parfait dans le but, d’abord, de gagner sa confiance et d’obtenir son aide.  Starman fait partie de ces films avec lesquels se noue un lien très fort qui dépasse probablement leur qualité objective, quand il est difficile de ne pas voir que les mêmes scènes pourraient tomber à plat si l’on ne capte pas la fréquence sur laquelle émettent son casting et son metteur en scène. Ce n’est pas pour rien que Jeff Nichols s’en est si largement inspiré dans Midnight Special (2016). Même s’il est clairement ancré dans son époque et rend compte de ce que le cinéma américain, s’agissant de ses grands studios, proposait au cœur des années 80, Starman porte aussi en lui quelque chose d’intemporel qui tient au talent de conteur de John Carpenter et sa direction d’acteurs qui emmène le film vers la fable de science fiction emprunte de légèreté, de poésie et de naïveté. Pour un metteur en scène qui avait jusque là principalement exploré la noirceur de l’âme humaine, déconstruit une certaine image de l’Amérique, on comprend et ressent tout au long du film, ce qu’il pouvait y avoir de passionnant pour lui d’adopter le point de vue d’un extraterrestre qui découvre et se confronte à l’hostilité primaire que provoquent son comportement et son arrivée sur terre. On peut aussi y voir, en sous-texte, un conte sur l’arrivée d’un étranger sur la terre promise, répondant à l’appel du rêve américain et se confrontant à l’implacable constat de son dévoiement et de l’hostilité que sa seule présence, sa seule différence, suscite. Avec ce récit, Big John s’éloigne de Howard Hawks pour s’aventurer du côté de Frank Capra (on pense notamment à New-York Miami) sans perdre en route ce qui constitue l’ADN de ses films et en révélant une sensibilité qu’on ne lui connaissait pas.

Jenny Hayden (Karen Allen) et le Starman (Jeff Bridges) n’ont que  trois jours pour traverser l’Amérique, du Wisconsin à l’Arizona, en échappant aux fédéraux lancés à leur trousse. Adossé à ce contre la montre, le récit file sans temps mort tout en adoptant le tempo caractéristique des films de Carpenter qui trouve là aussi l’occasion de tourner en scope dans des paysages majestueux. On se trouve à la fois dans un road movie dans la plus pure tradition mais aussi dans une échappée, une quête de liberté, tant pour le Starman qui doit échapper aux fédéraux pour rejoindre son vaisseau que pour Jenny qui comprendra que cette rencontre peut faire basculer le cours d’une vie devenue morne depuis son deuil.  Carpenter, dans un registre qu’on ne lui connaissait pas encore,  arrive remarquablement à laisser poindre l’émotion, à rendre compte de ce qui traverse chacun de ses deux fugitifs, de ce qu’ils s’apportent l’un à l’autre. Les scènes entre ce Mister Chance venu de l’espace (par rapport au personnage éponyme du film d’Hal Ashby) et cette jeune femme hyper sensible sont d’une simplicité, d’une douceur qui dégagent un charme imparable. Il faut dire qu’au delà de ses mérites, il est particulièrement aidé par une Karen Allen en état de grâce, merveilleuse, qui nous donne l’impression d’être assise là à côté de nous tant son regard traverse l’écran pour exprimer la douceur, les espoirs et la douleur de cette jeune femme bouleversée de se retrouver en présence du clone de son défunt mari. Jeff Bridges n’est pas en reste et a pris de vrais risques dans son choix d’interpréter cet extraterrestre comme un oiseau tombé du nid, observant son environnement avec des petits mouvements de tête saccadés, se déplaçant encore maladroitement. Il a notamment pris les conseils d’un ami danseur et s’est beaucoup investi dans ce rôle qui lui valu de recevoir une nomination aux oscars, chose exceptionnelle pour un film de science fiction, encore plus pour un tel rôle.

Starman avance avec l’évidence des grands films qui magnifient la simplicité de leur histoire, la rendent évidente, palpable et transforment les scènes les plus anodines en moments suspendus durant lesquels on ressent toute l’émotion de personnages terriblement attachants et inoubliables. On sourit et on tremble avec le Starman quand il se confronte avec toute sa candeur à la noirceur de l’âme humaine. On ne lâche pas la main de Jenny durant tout ce périple qui va profondément l’apaiser, venir combler tout le manque laissé par la mort si injuste et subite de son mari. On court avec eux pour échapper à l’absurdité de la réaction des autorités qui ont envoyé une bouteille à la mer et se mettent immédiatement en chasse, quitte à le tuer, de celui qui a simplement répondu à leur appel. Condamné à vivre dans l’ombre des sommets de la filmographie de son metteur en scène, enfermé dans un sous-genre préempté par Steven Spielberg, Starman est comme ces objets précieux abandonnés au fond d’une malle qu’on aura vidé de son contenu le plus clinquant. Celui qui saura le trouver, en voir la beauté , être touché par son histoire, ne pourra jamais s’en séparer.

Titre original: STARMAN

Réalisé par: John Carpenter

Casting: Jeff Bridges, Karen Allen, Charles Martin Smith …

Genre: Science-Fiction

Sortie le: 03 juillet 1985

Distribué par : –

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