Critiques Cinéma

REQUIEM FOR A DREAM (Critique)

SYNOPSIS: Harry Goldfarb est un junkie. Il passe ses journées en compagnie de sa petite amie Marion et son copain Tyrone. Ensemble, ils s’inventent un paradis artificiel. En quête d’une vie meilleure, le trio est entraîné dans une spirale infernale qui les enfonce toujours un peu plus dans l’angoisse et le désespoir.
La mère d’Harry, Sara, souffre d’une autre forme d’addiction, la télévision. Juive, fantasque et veuve depuis des années, elle vit seule à Coney Island et nourrit dans le secret l’espoir de participer un jour à son émission préférée. Afin de satisfaire aux canons esthétiques de la télévision, elle s’astreint à un régime draconien. Un jour, elle le sait, elle passera de l’autre côté de l’écran.

Le temps détruit tout ? comme l’annonçait Gaspard Noé dans Irréversible. Cette citation nous revient souvent lorsque l’on repense à un film qui a changé notre façon de regarder le cinéma, ce film qu’il n’est pas permis de critiquer, cette madeleine de Proust qui, à l’annonce de son titre, nous fait repasser les scènes les plus marquantes du film, la tête des acteurs, la musique et le scénario quasi de manière robotique. Toutefois, lorsque que le temps fait son effet, on entend par ci par là des voix dissonantes sur la qualité de CE film, celui qui vous semblait intouchable, que vous citiez à tout bout de champ à quiconque ne l’avait pas encore vu. La peur vous saisit et vous frissonnez à l’idée de le revoir. Un sentiment de doute s’immisce en vous sachant que ledit sentiment vous était totalement étranger durant votre jeunesse où vous étiez prêts à hausser le ton pour le défendre coûte que coûte. Foutue jeunesse. Il serait peut-être temps de sauter le pas et vous prendre en main pour s’assurer que ce n’était pas juste le film dont tout le monde parlait à l’époque et qui méritait tous les dithyrambes.



Le confinement nous permet malgré tout de faire du rangement dans votre appartement et passant devant votre bibliothèque, vous vous rendez compte que CE film fut un livre. Cela tombe bien puisque vous ne l’avez jamais lu. Faire le chemin inverse ne parait finalement pas si évident. L’imagination carbure à plein régime lors de la lecture d’un ouvrage et on a pu s’imaginer la tête des personnages principaux avant qu’un producteur s’empare de ce livre pour le porter à l’écran. Coïncidence supplémentaire ? Le film fête ses 20 ans cette année. Les étoiles sont alignées, le message est relativement clair : il est temps de se replonger dans ces deux œuvres pour confirmer ce que l’on a toujours pensé ou bien se déjuger un minimum, dix ans au moins après sa dernière vision. Ce livre c’est Retour à Brooklyn de feu Hubert Selby Jr. Son adaptation c’est Requiem For A Dream de Darren Aronofsky. Selby Jr est un écrivain ô combien torturé, ces livres d’une très grande noirceur. Lorsque l’on jette un œil à sa biographie, on note que l’écrivain toucha à la drogue, à l’alcool avant de faire un passage par un hôpital psychiatrique. Peu après ses déboires, il décida de devenir écrivain en 1964 avec son roman : Last Exit to Brooklyn. Retour à Brooklyn fut écrit en 1978 et il aura fallu attendre 22 ans pour voir cette œuvre portée à l’écran. Aronofsky a réalisé trois ans auparavant son premier long-métrage Pi qui a connu un petit succès dans le milieu indépendant. On suivait les errances d’un surdoué des mathématiques qui plongeait petit à petit dans un délire paranoïaque. On peut légitiment penser que ces deux artistes étaient faits pour se rencontrer, d’autant qu’ils sont tous les deux nés à Brooklyn et sont issus d’une famille juive. Ils écriront d’ailleurs à quatre mains le scénario du film.



Évidemment, le premier sentiment qui revient sur ce film est le traitement de l’addiction comme on l’avait rarement vu à l’écran. Notre cinéphilie nous ramène à des films comme Panique à Needle Park de Jerry Schatzberg réalisé en 1971 ou Trainspotting réalisé en 1996 par Danny Boyle. Alors que les deux films cités précédemment étaient axés sur la drogue, Requiem/Retour veulent traiter de toutes les addictions même si la drogue restera le cœur de l’œuvre littéraire et cinématographique. La puissance du livre est directement dans sa scène d’ouverture : Sara, une veuve vivant dans un appartement totalement quelconque, s’enferme volontairement dans un placard de son appartement car elle ne veut pas affronter son fils Harry qui lui soutire sa télévision pour la mettre en caution chez un revendeur et ainsi toucher l’argent pour pouvoir s’acheter de la dope. Harry lui hurle dessus en lui demandant de sortir de ce placard et qu’elle n’a pas à s’inquiéter de sa télé. Cette scène constitue déjà un véritable crève-cœur tellement Sara parait paralysée devant son fils unique. C’est Ellen Burstyn qui interprète Sara. Ayant un peu disparu des écrans depuis le début des années 90, c’est bien dans ce rôle que Burstyn va réapparaitre sur les radars hollywoodiens. Elle fut d’ailleurs nommé à l’oscar de la meilleur actrice cette année-là. A noter que c’est durant cette même année qu’un autre jeune réalisateur lui confia un autre superbe rôle, en l’occurrence James Gray dans The Yards. Dans le rôle du fils de Sara, on retrouve Jared Leto aperçu à l’époque dans des seconds rôles remarqués comme La Ligne Rouge, Fight Club ou encore American Psycho.



On se rend rapidement compte que le film ne dérogera quasiment jamais au livre de Selby jr. Le cœur de l’intrigue, le rise and fall des personnages sont respectés à la lettre. Évidemment qu’un film de cinéma n’a pas vocation à retranscrire scène par scène un livre, si génial soit-il. Cela ne représente fondamentalement que peu d’intérêt. On peut même carrément s’en éloigner comme le fit Shinning de Stanley Kubrick en 1980 et en faire une réussite. Comme dit précédemment, le scénario fut co-écrit par Selby Jr. himself et donc en tout état de cause, le film ne s’éloigne quasiment pas du livre. Ce faisant, le livre et le film sont épuisants tellement ils mettent nos nerfs à rude épreuve. A la lecture du roman, c’est le caractère répétitif de l’intrigue qui épuise le lecteur. En effet, Sara, dont la vie solitaire est terne et monotone, vient d’être joint au téléphone pour participer à une émission de télévision. C’est un rêve pour elle qui passe la plupart de son temps devant l’écran à fantasmer une autre vie. Cette nouvelle inespérée lui redonne une joie intérieure. Le seul bémol est qu’elle voudrait s’habiller avec cette magnifique robe rouge dans laquelle elle rentrait dans sa jeunesse. Il faut définitivement qu’elle perde du poids. Pour cela, une amie lui conseille d’aller voir un docteur qui aurait une solution miracle. Le cauchemar peut commencer. Avec cette nouvelle vision du film, on s’attache finalement plus à ce personnage que précédemment. On est en empathie totale pour cette mère qui n’a plus rien à attendre de la vie. Cette solitude merveilleusement décrite dans le livre nous saute à la figure lorsque l’on voit Ellen Burstyn à l’écran. La prestation de ce point de vue de Burstyn est assez phénoménale. Dans le sens inverse, Harry a plein de projets, une grande foi en l’avenir. D’autant qu’il vient de rencontrer la superbe Marion (Jennifer Connelly) et que leur coup de foudre est immédiat. Aronofsky ne se penche pas sur cet aspect. Le couple est déjà ensemble dans le long-métrage. C’est probablement le personnage de Marion qui est le plus développé dans le livre de Selby Jr. C’est une jeune issue d’une riche famille qui a régulièrement parcouru le monde. C’est une artiste qui rêve d’ouvrir une galerie pour être enfin libre et se débarrasser de ce carcan familial. Sa famille lui donne encore de l’argent pour qu’elle aille voir un psy. On comprend toute cette frustration qui s’est accumulée chez elle. Elle a d’ailleurs commencé la drogue avant de rencontrer Harry mais c’est bien cette rencontre qui scelle la prise hautement plus régulière de diverses substances : joint, somnifères, héroïne. Aronofsy a voulu couper le film en trois parties (été, printemps, hiver) pour accentuer la rapide descente aux enfers des protagonistes sur une année civile. C’est vraiment ces deux personnages qui nous avaient marqué lors des précédentes visions. Cet amour qui parait indestructible. C’est fortement souligné dans l’œuvre de Selby Jr où on sent deux êtres qui sont totalement l’âme sœur l’un de l’autre. C’est toujours en se remémorant cette première partie que le film nous avait profondément perturbé. La chute est d’autant plus brutale.  On se souvenait également du film grâce à la musique entêtante de Clint Mansell entre électro et musique classique et la mise en scène d’Aronofsky. Écouter la bande originale de Requiem for A Dream dans l’année qui a suivi la sortie du long-métrage vous hérissait le poil tellement elle marquait durablement l’ouïe et permettait instinctivement de se remémorer les scènes chocs du film. Malheureusement en 2020, cette bande originale et surtout le thème principal au violon furent tellement pillés et repris qu’il est désormais compliqué de s’extasier devant une telle œuvre. La seconde chose qui nous revient aussi instinctivement est la mise en scène ultra découpée d’Aronofsky avec l’utilisation régulière du split screen. Certains y verront surement une façon de faire de petit malin (la prise de drogue avec cette ligne de drogue, ce billet d’un dollar, les globules qui bougent, et la pupille qui s’ouvre restent une des scènes les plus connus du film) mais à la lecture du livre c’est bien ce qu’on ressent. Le style de Selby Jr. est très saccadé. Les dialogues sont entremêlés avec les descriptions ce qui donne un style hyper dynamique et très poisseux. C’est surtout avec les dialogues de Tyrone (Marlon Wayans) que son style explose avec ces monologues pleins de furie. Tyrone, le meilleur ami d’Harry est dans le même d’esprit que le jeune couple. Il veut seulement faire un coup puis se retirer en ouvrant un commerce. On a parlé précédemment de la prestation de Burstyn mais il faut également souligner le travail fantastique des trois autres jeunes acteurs qui participe à la qualité du film.



On a souligné le découpage du film mais il faut noter que le metteur en scène sait aussi prendre le temps lorsque que cela est nécessaire. Là encore, il ne fait que reprendre la structure du livre : les personnages prennent rarement le temps de se parler sans s’exciter ou sans être totalement stone. La scène la plus marquante du livre/film est ce dialogue entre Harry et Sara dans l’appartement de cette dernière. Cette scène en champ/contrechamp est vraiment bouleversante car Harry comprend que sa mère est devenue une droguée aux amphétamines. Ce faisant, il implore sa mère d’arrêter mais cette dernière lui parle de sa solitude, de sa vie : Qu’est-ce qui m’oblige à faire le lit, la vaisselle ? Je le fais mais qu’est qui m’y oblige ? Je suis seule. Harry se rend probablement compte qu’il est passé à côté de la vie de sa mère et qu’il est malheureusement trop tard pour l’aider. En lui achetant une nouvelle télé, il pensait faire acte de contrition mais c’est finalement l’amour de son fils qu’elle cherchait avant tout. Elle recherchait de l’attention depuis la mort de son mari que son fils n’a pas pu lui apporter. C’est vers ce moment où Harry, Marion et Tyrone voient leur affaire décoller que le roue va dramatiquement tourner pour eux. Il est évident qu’Aronofsy a dû faire des choix scénaristiques en enlevant certains passages du livre (on ne peut pas retranscrire 300 pages en 1h40) L’auteur nous parle de cette période dans les bas-fonds new-yorkais où les dealers et les camés ne trouvaient plus de quoi se fournir. Cette ambiance totalement glauque digne d’un film de fin du monde est très détaillé : chaque individu croisé est potentiellement un drogué en manque ou un assassin qui veut devenir le leader sur le marché. Ce passage est assez fascinant de par l’authenticité de sa description. En pensant être plus astucieux que tout le monde et se faire des shoots de temps en temps, Marion, Harry et Tyrone sont devenus au fur et à mesure des très gros consommateurs totalement accros à l’héroïne et en manque. Ils font partis de ces zombies qui n’ont qu’une obsession au quotidien : trouver de quoi se piquer. Adieu l’Italie, la boutique d’art, le commerce et les voyages, place à la prostitution, la prison, les disputes, les rancunes. Le style du film comme le livre devient épileptique avec une musique assourdissante et répétive jusqu’à l’épuisement. C’était dans cette dernière partie qu’un doute subsistait sur la qualité du film avec ce trop plein mais on se rend compte que c’est bien ce que voulait l’auteur du livre. On ressent dans un premier temps les conséquences dévastatrices sur le moral, cet état psychologique fait d’hallucinations et de sensibilité exacerbée, puis on ressent ces conséquences néfastes sur l’organisme directement. Les dernières images du film, là aussi très connues avec les 4 personnages repliés en position de fœtus viennent achever ce voyage absolument cauchemardesque.



Vingt ans après sa sortie, on est donc toujours aussi satisfait à la vision de Requiem For A Dream. Le livre nous a permis d’élargir la connaissance de certains personnages et d’approfondir certains enjeux mais le film est tellement fidèle au roman qu’on est finalement peu surpris par les péripéties de l’intrigue. Le film/livre reste d’une absolue noirceur où aucun espoir ne peut émerger. La solitude et l’addiction sont remarquablement traités, des thèmes finalement très contemporains. La solitude occidentale est régulièrement pointée du doigt, la consommation d’opioïde aux US a explosé avec un scandale qui aura tué plus de 52 000 personnes au cours des années 2010, et l’addiction aux réseaux sociaux aura remplacé la télévision. Un petit détail qui nous relevons également est que Selby Jr. a voulu inscrire son roman dans le milieu juif new-yorkais en ayant recours régulièrement à de nombreux noms communs hébreux, à des fêtes religieuses juives (ainsi la bar-mitsvah d’Harry est souvent évoquée) ou encore des références culinaires juives. Aronofsky n’évoque que très peu cette caractéristique dans son film même s’il a gardé le nom-prénom des personnages qui ont une consonance juive. La suite ? Darren Aronofsy connait une carrière faits de hauts et de bas et son œuvre fait régulièrement débat. Son film suivant The Foutain sorti en 2006 avec Hugh Jackman est considéré par certains comme une véritable catastrophe industrielle. Mother ! son dernier long-métrage avec Jennifer Lawrence sorti en 2017 a été soit encensé soit haï par la critique ciné. Requiem est un des rares à avoir fait l’unanimité. Selby Jr. décéda en 2004 après avoir rapidement calmé son rythme de vie de jeunesse, son dernier roman Waiting Period datant de 2002.

Titre Original: REQUIEM FOR A DREAM

Réalisé par: Darren Aronofsky

Casting: Jared Leto, Ellen Burstyn, Jennifer Connelly 

Genre: Drame

Sortie le: 21 mars 2001

Distribué par: Sagittaire Films

4,5 STARS TOP NIVEAUTOP NIVEAU

1 réponse »

  1. Bonjour, je ne savais pas que ce film était l’adaptation d’un livre ! Je suis allée voir « Requiem for a dream » l’année de sa sortie, en 2000, donc ça date un peu, mais je me souviens de l’excellente interprétation des acteurs. Mais, je me souviens aussi avoir pensé quitter la salle à cause de scènes difficilement supportables. Aronofsky est vraiment parvenu à créer un profond malaise, quelque chose de très éprouvant psychologiquement. D’ailleurs, je ne comprends pas pourquoi il n’a pas été interdit aux moins de 16 ans au lieu de 12 ans. Il n’est clairement pas à mettre devant tous les yeux !

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