Critiques Cinéma

CREEPSHOW (Critique)

SYNOPSIS: Un père confisque à son petit garçon un magazine d’épouvante et le jette dans la poubelle. Le vent fait tourner les pages et cinq histoires s’en échappent: « La fête des pères », « La mort solitaire de Jody Verrill », Un truc pour se marrer », « La caisse » et « Ca grouille de partout ». 

Si George A. Romero est surtout connu pour avoir offert ses lettres de noblesse à la figure moderne du zombie, en jetant un regard critique sur les discriminations, la consommation de masse, ou encore la sur-médiatisation, on a trop souvent tendance à oublier que le regretté réalisateur américain a aussi mis en boîte d’autres œuvres, plus ou moins notoires, plus ou moins attirantes, plus ou moins réussies. Si Martin reste en mémoire pour sa puissante et fascinante relecture du mythe vampire et que Knighriders vaut le détour pour l’originalité de son univers (un tournoi de chevalerie avec des joutes médiévales … mais où des motos façon Mad Max remplacent les chevaux), c’est de Creepshow, sorti en 1982, dont on va parler aujourd’hui. Transposition en film de 2 nouvelles (Weeds, alias Mauvaise Herbe, parue en 1976 dans le magazine Cavalier, et The Crate La Caisse en VF – parue en 1979 dans le magazine Gallery) et trois scénarios originaux (Father’s Day, sobrement titré La fête des pères en français, Something To Tide You Over, aka Un truc pour se marrer, et enfin They’re Creeping Up On You, Ca grouille de partout dans l’hexagone) signés Stephen King, avec qui George A. Romero a failli collaborer à la fin des 70’s puisqu’il était pressenti pour réaliser l’adaptation en film du roman Les Vampires de Salem (avant que celui-ci finisse par devenir une mini-série), Creepshow fait partie d’un genre cinématographique un peu à part, celui que l’on appelle « film à sketches ». Il s’agit en fait pour les auteurs de relier plusieurs histoires entre elles par le biais d’une même figure ou d’un même thème, quel qu’il soit. Dans Creepshow, le fil rouge des 5 récits horrifiques présentés par Romero et King est ainsi double : des intermèdes animés entre chaque sketch d’une part, pour offrir un cachet comic-bookish à l’entreprise, et le personnage récurrent du squelette d’autre part, qui rappelle la Mort en tant que figure anthropomorphe (vêtue d’une robe, une toge noire avec capuche, et armée d’une grande faux) et se charge d’ouvrir chaque épisode pour susciter d’emblée la frayeur en convoquant le pouvoir imaginatif des spectateurs. Mais sous le vernis du film à sketches, introduit et conclu par le biais d’un ado à qui le père rigide confisque sa BD Creepshow, la démarche de Romero et King est en réalité plus profonde : Creepshow se veut en effet un véritable hommage à l’esthétique et l’esprit des E.C. Comics, ces bandes-dessinées horrifiques des années 50 et 60 dont ils raffolaient quand ils étaient gosses et qui ont nourri l’imaginaire de plusieurs milliers de jeunes garçons avides, comme eux, de fantastique et de science-fiction – le plus éminent représentant des EC Comics s’appelant bien sûr Les Contes de la Crypte et ayant lui aussi été adapté plus tard en fiction (une série TV culte).

 

Pour mettre en images l’effroi des récits d’épouvante inventés par Stephen King, George A. Romero s’est adjoint les services de son ami Tom Savini, maquilleur, spécialiste des effets gore et acteur (il fait d’ailleurs une micro apparition ici, en tant qu’éboueur dans l’épilogue), du célèbre Paul Hirsch au montage, de Michael Gornick, fidèle directeur photo du cinéaste depuis Martin, de John Harrison à la musique et ceux d’une troupe de comédiens en jambe (Tom Atkins, Adrienne Barbeau, Hal Holbrook, tous trois échappés du Fog de John Carpenter, mais aussi les confirmés Ed Harris et Ted Danson, ainsi que le tout jeune Joe Hill – rejeton de Stephen King IRL). Tourné entre Philadelphie et Pittsburgh pour un maigre budget de 8 millions de billets verts, Creepshow agite donc ensemble un prologue, cinq segments [le premier se consacre à un vieillard qui sort de sa sépulture pour aller chercher son gâteau de fête des pères, le second imagine un fermier simplet, joué par King en personne (il avait d’ailleurs déjà tenu le rôle d’un crétin dans KnightRiders), recouvert sur tout le corps d’une herbe vorace, le troisième voit un mari jaloux noyer avec sadisme sa femme et son amant, le quatrième dévoile les meurtres d’un monstre glouton qui a croupi pendant plus d’un siècle dans une caisse sous la cage d’escaliers d’une université, et le dernier révèle un riche, exécrable et obsessionnel businessman en proie avec d’immondes cafards dans son local immaculé] et un épilogue pour bâtir un tout. Mais qu’est-ce que vaut ce Creepshow à l’arrivée ?

Si on apprécie immédiatement le style unique du célèbre romancier-scénariste (son sens de la narration, son talent de conteur hors pair capable d’immerger l’audience à travers une histoire rendue très rapidement intéressante, son humour noir savoureux) et la mise en scène de Romero, éminemment chaleureuse avec ses contours comic-bookish (le choix de l’animé pour les transitions entre les différents segments, le split-screen, l’excentricité des personnages, les couleurs éclatantes à dominante rouge et bleue lors des scènes horrifiques, le découpage en planches de BD avec des bordures d’écran dessinées comme des cases), c’est peut-être la trop forte inégalité du contenu qui reste malheureusement en tête in fine. Creepshow offre indéniablement son lot de frousse réjouissante par ci par là, comme la sortie du macchabé de sa tombe pour goûter à son gâteau de fête des pères dans le premier segment, le one-man show délicieusement malaisant de Stephen King en paysan solitaire et benêt dans le second morceau, le retour des morts-vivants aquatiques dans le troisième échantillon, la bête affamée de La Caisse et les indénombrables cafards du cinquième et dernier sketch (assurément le meilleur !), mais certains éléments font, hélas, tâche (le rythme en dents de scie, le ton parfois coincé entre pure frayeur et humour noir distancié, certains dialogues au ras des pâquerettes) et ont très mal vieilli. Et on peine malheureusement à conférer à l’œuvre un « discours » cohérent, même si l’on retrouve un besoin commun de divertir et, en toile de fond, une critique travaillée, quoique sage, de l’humanité (il est vrai que la plupart des personnages martyrisés sont des pêcheurs et des capitalistes). Il manque en fait un petit grain de folie, et surtout une véritable force politique à ce Creepshow pour emporter complètement le morceau. Un peu étonnant d’ailleurs venant de la part de Romero, lui qui a lancé sa carrière avec des œuvres zombiesques chargées de messages à forte connotation sociale. Et si la majeure partie du casting assure efficacement le job (mention spéciale pour Leslie Nielsen, truculent en infâme cocu, et E.G. Marshall, excellent en travailleur acariâtre obsédé par la propreté de son bureau), le reste de la distribution (surtout les rôles secondaires) manque clairement de métier pour provoquer la passion du public. Sur le plan formel, Creepshow s’avère heureusement soigné. Si l’on a déjà abordé les atouts de la mise en scène de Romero, on peut aussi féliciter l’artisan Tom Savini pour ses incalculables maquillages particulièrement convaincants (applaudissements pour la création de la mystérieuse créature loup-garouesque de La Caisse qui a nécessité les conseils d’un maître en la matière, le cultissime Rob Bottin), et le travail de lumière de Michael Gornick.

Sorti au cinéma en 1982, Creepshow connaîtra un certain succès commercial, récoltant environ 21 millions de dollars rien qu’aux États-Unis, et s’offrira deux suites (seul Creepshow 2 mérite le coup d’œil pour son adaptation réussie du Radeau, nouvelle tout à fait recommandable de King), ainsi qu’un récent reboot sous forme de série TV créée par Greg The Walking Dead Nicotero. Quant à la collaboration entre George A. Romero et Stephen King, elle subsistera bien au-delà de ce Creepshow puisque le cinéaste passera plus d’un an par la suite à bûcher sur l’adaptation filmique de Simetierre avant de finalement lâcher l’affaire lorsque les producteurs lui imposèrent d’en modifier la fin, et signera surtout dix ans plus tard La Part des Ténèbres, transposition assez médiocre de la célèbre et excellente nouvelle éponyme.

Titre Original: CREEPSHOW

Réalisé par: George A. Romero

Casting : Ted Danson, Ed Harris, Leslie Nielsen …

Genre: Epouvante-horreur

Sortie le: 22 juin 1983

Distribué par: AM FILMS

BIEN

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