Critiques Cinéma

SORRY TO BOTHER YOU (Critique)

3 STARS BIEN

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SYNOPSIS: Après avoir décroché un boulot de vendeur en télémarketing, Cassius Green bascule dans un univers macabre en découvrant une méthode magique pour gagner beaucoup d’argent. Tandis que sa carrière décolle, ses amis et collègues se mobilisent contre l’exploitation dont ils s’estiment victimes au sein de l’entreprise. Mais Cassius se laisse fasciner par son patron cocaïnomane qui lui propose un salaire au-delà de ses espérances les plus folles…

Boots Riley aura attendu l’âge de 47 ans pour réaliser son premier film, véritable objet filmique non identifié, lui qui vient du rap (chanteur, compositeur, producteur) et n’avait jusqu’alors réalisé qu’un documentaire sur le groupe The Coup dont il est le MC. Contrairement à ce que pourrait faire croire le titre de son film, le MC de l’un des groupes de rap les plus politisés et respectés de la scène américaine n’a pas perdu sa verve en enfilant la veste de metteur en scène et n’a aucune intention de s’excuser de sa charge contre la société américaine et en particulier son ultra capitalisme et ses dérives. Au delà des qualités et défauts de ce premier long métrage en forme de manifeste sous psychotropes, Boots Riley a réussi ce qui est sans doute le plus difficile pour tout metteur en scène débutant: imposer une identité visuelle et des thématiques qui font qu’il est impossible d’imaginer le film réalisé par quelqu’un d’autre. Sorry To Bother you est de ces films qu’on ne peut ranger dans une case, rattacher à un genre précis,  tant il se révèle être une matière vivante au service des thématiques et des expérimentations formelles d’un metteur en scène complètement habité par son film et le message qu’il entend faire passer.

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Sorry To Bother You propose un cocktail étonnant dans lequel on retrouve des ingrédients du cinéma militant du Spike Lee des débuts et d’autres du cinéma inventif, transcendant les genres, d’un Spike Jonze ou d’un Michel Gondry (auquel un hommage explicite est rendu dans une scène). Le premier mérite de Boots Riley est de ne pas s’être laissé emporter par la virulence de la charge sans équivoque que renferme son récit et la colère qu’on sent en lui et, ainsi, de ne pas avoir réalisé l’un de ces films militants tellement énervés et premier degré qu’ils finissent par devenir excluants pour une bonne partie du public. Avant de faire passer un message, Boots Riley n’en oublie pas de raconter une histoire, celle de Cassius Green (Lakeith Stanfield) un jeune travailleur afro-américain qui va se confronter à l’ultra capitalisme, ce qu’il peut avoir d’attirant vu de loin pour un jeune homme qui veut sortir de la galère et d’implacable dès lors qu’on en voit les rouages. Cassius va notamment se confronter à l’un de ces CEO sans scrupules (interprété par le décidément épatant Armie Hammer), guidés par le seul appât du gain, au sujet desquels Boots Riley écrivait et rappait, il y maintenant 17 ans,  qu’il y avait 5 millions de façon de les tuer (Party Music, 2001).

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Si la satire est mordante et la dystopie pertinente avec ces travailleurs prêts à devenir des esclaves consentants contre la garantie d’un emploi et d’un toit, elle ne s’impose pas au spectateur qui a tout aussi bien le choix de ne voir que le film inventif, décalé et drôle que Sorry To Bother You est avant tout. La démarche de Boots Riley est semblable à celle qu’il peut avoir en tant qu’auteur compositeur. La musique vient en premier, elle est la base d’un bon morceau, même si celui-ci a des paroles fortes et entend faire passer un message. Celui qui l’écoute pourra aussi bien danser dessus que méditer sur son contenu et c’est, à nos yeux, exactement ce qu’est Sorry To Bother You dont le flow contraste avec la radicalité du message, ce qui peut même dérouter par instant. Pour incarner le héros de cette fable SF « West Coast »,  Lakeith Stanfield apparaît de fait comme un choix évident, tant il émane de lui ce mélange de nonchalance et de folie qui sied parfaitement au personnage de Cassius. Ce choix n’est par ailleurs pas totalement neutre au regard de sa filmographie et en particulier du rôle qui l’a révélé. Après avoir été un vieil homme blanc qui poursuit sa quête d’immortalité dans le corps d’un jeune homme noir (Get Out, Jordan Peele), Lakeith Stanfield est cette fois-ci un jeune homme noir qui doit adopter la voix d’un homme blanc pour gravir les échelons de la société de télémarketing qui l’emploie.

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Le fait que Boots Riley ait choisi de doubler la voix de Lakeith Stanfield plutôt que de lui demander de transformer sa voix est d’abord déstabilisant mais, à nos yeux, plutôt opérant en ce qu’il introduit un élément comique cohérent avec le ton du film, l’humeur de son personnage et vient également souligner l’absurdité de cette situation. Toutefois, si l’intention se comprend, ce gimmick s’essouffle quelque peu sur la durée et finit par devenir lassant, faute d’être suffisamment drôle et décalé. Par ailleurs, Cassius n’est pas le héros infaillible et parfait de cette fable. Alors que sa petite amie (Tessa Thompson) est une artiste militante, lui aspire juste à sortir de la galère et prendre l’ascenseur social, même s’il doit pour cela gommer ses différences et s’asseoir sur un certain nombre de principes, tout du moins jusqu’à la découverte du sombre projet de la société WorryFree.

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On pourra juger la satire un peu appuyée mais la fantaisie qu’elle s’autorise rend le propos beaucoup plus digeste. Il est par ailleurs très appréciable de ne pas se trouver face à un personnage principal vertueux, dont l’ambition et la lâcheté nous en dit plus sur les dérives de nos sociétés et ses perspectives. Ce que traduit le film avec Cassius c’est que si les dérives de l’ultra libéralisme sont possibles, ce n’est pas que le fait de CEO et d’actionnaires sans scrupules, c’est aussi le signe d’une époque beaucoup plus individualiste, dans laquelle on s’accommode volontiers de ce système, tant qu’on pense qu’il peut nous être profitable. C’est en poussant la logique de ce système qui prospère sur la docilité et la productivité des salariés que Boots Riley fait basculer le récit dans une SF flirtant avec le gonzo, qu’on aurait souhaité aller encore un peu plus loin mais qui n’en est pas moins assez réjouissante dans un film dont le fond est aussi militant. Si l’on sourit et prend du plaisir plus qu’on ne s’enthousiasme devant Sorry To Bother You, cela est aussi probablement dû au gros problème de distribution dont il a souffert. Beaucoup trop tardive, le film nous arrive précédé de plusieurs mois d’échos très positifs de nos confrères américains, dont beaucoup l’ont classé dans leur top 2018. A trop devoir patienter pour voir un film encensé de l’autre côté de l’atlantique, on s’encombre d’attentes trop élevées et se prive du plaisir pur de la découverte d’un film qui a pourtant beaucoup de qualités.

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Titre Original: SORRY TO BOTHER YOU

Réalisé par: Boots Riley

Casting : Lakeith Stanfield, Tessa Thompson, Armie Hammer..

Genre: Comédie, Fantastique, Science Fiction

Sortie le: 30 janvier 2019

Distribué par: Universal Pictures International France

3 STARS BIEN

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