SYNOPSIS : Une équipe de cinéma est venue tourner un western dans un village péruvien niché dans les Andes. Une fois le film terminé, tous les Américains s’en vont, à l’exception de Kansas, l’un des cascadeurs, qui souhaite prendre du recul vis-à-vis d’Hollywood et s’installer dans la région avec Maria, une ancienne prostituée. Les choses dégénèrent lorsque les habitants décident de tourner leur propre film : les caméras, les perches et les projecteurs sont faux, mais la violence qu’ils mettent en scène est elle bien réelle. Kansas va se retrouver héros malgré lui de cette « fiction »…
Qui connait réellement Dennis Hopper ? Les jeunes cinéphiles et les spectateurs lambdas retiennent de lui une solide valise de rôles de méchants dans un bon paquet de films américains populaires (de Blue Velvet à Speed en passant par les inénarrables Super Mario Bros et Massacre à la tronçonneuse 2), tout en aimant citer le nom d’Easy Rider pour faire genre sans forcément l’avoir vu. Et pourtant, outre un talent bien plus riche qu’on ne l’imagine (l’homme était aussi un excellent peintre et un photographe reconnu), c’est bien sa carrière de cinéaste qui aura cimenté ses plus belles heures de gloire aux yeux de la cinéphilie mondiale, même si certains de ses films ont connu un destin assez tumultueux. Bien moins accessible et plus radical encore que ses excellents Colors et Hot Spot, le film dont il sera ici question – son deuxième après Easy Rider – mérite tous les qualificatifs du projet maudit. Un projet sur lequel Hopper, détenteur pour l’occasion d’une carte blanche totale de la part d’Universal, se sera mangé un vilain mur : le résultat, jugé insortable par le studio en dépit d’un Grand Prix à la Mostra de Venise, finit abandonné entre les mains du réalisateur, lequel fait tirer quelques copies afin de le distribuer lui-même (en vain). L’échec sera inévitable, ralentissant de facto une carrière qu’il pensait lancée sur les chapeaux de roues. Or, s’il y a bien quelque chose que The Last Movie n’a pas réussi, c’est de faire passer son propre titre pour une prémonition. Et, accessoirement, de nous faire croire que Hopper n’avait pas visé l’absolu en matière de prise de risques.
Ce que l’excellente édition collector sortie récemment chez notre éditeur adoré Carlotta nous permet désormais de constater (en particulier grâce à un intéressant petit documentaire intitulé Scene Missing), c’est à quel point un tel film constituait presque un acte kamikaze en soi. Tout, ici, relève de l’abstraction, du high concept vérolé de l’intérieur, de la folie créative recourbée en ruban de Moëbius, le tout avec une absence de règle érigé en parti pris suprême. De quoi est-il question ici ? En gros, d’un tournage de western dans un petit village du Pérou, qui sera suivie d’une reproduction malheureuse de la fiction du film par les habitants du village, aux conséquences fatales. Un simple récit sur l’effritement du réel face au pouvoir de la fiction, donc ? Pensez donc ! Hopper a visé bien plus haut. Sous l’effet d’un montage qui se joue aisément des règles de la temporalité (on passe du film à l’envers du décor et vice versa sans aucune justification) et qui bannit la psychologie simpliste en n’expliquant rien (pourquoi le personnage joué par Hopper souffre-t-il ?), The Last Movie semble nous imposer de laisser de côté notre propre assimilation des conventions de notre art préféré. Et, surprise, le cinéaste prend soin de ne pas nous laisser pour autant sur le bord de la route. Il faut ici se familiariser assez vite avec cette logique sensorielle qui parcourt l’intégralité du découpage par un travail fabuleux sur le son et la musique, et finir par dénicher quelque chose de limpide derrière des raccords a priori très simples. Par exemple, toute la fragilité et l’imprévisibilité du héros se ressent en le voyant passer en plan-séquence devant plusieurs fenêtres avec des sons à chaque fois différents. Tout se vit, mais rien n’est dit. Parce que c’est inutile.
Sur la dimension d’un tournage-puzzle qui se joue de notre suspension d’incrédulité en multipliant les poupées russes narratives, le film n’offre rien de très neuf en soi : la mise en abyme nous est tellement jetée en pâture qu’on finit par la juger familière, d’autant que Hopper s’amuse à glisser ici et là des éléments qui vont dans ce sens (Samuel Fuller est venu lui-même jouer son propre rôle !). On ressent néanmoins, via cette idée d’un tournage reproduit de manière catastrophique par des villageois fascinés par la violence, un propos bien similaire à celui développé par Dennis Hopper dans Easy Rider : le rêve américain décrit avant tout comme un vaste cimetière des idéaux. Ce que les intervenants du documentaire présent sur le Blu-Ray soulignent avec justesse, évoquant du même coup la sensibilité de Hopper pour quelque chose qui était en train de se contredire et de s’éteindre (comment ne pas se souvenir du fameux We blew it ! lâché par Peter Fonda dans une scène-clé d’Easy Rider ?). Abstrait dans sa construction, désenchanté dans son propos, composite dans ses choix narratifs (la fin ouverte puise sans doute son origine dans une écriture en urgence par manque de budget) et éblouissant par la mise en valeur de ses décors (quelque part entre la magnificence d’un John Ford et la discrétion d’un Monte Hellman), The Last Movie émeut et fascine durablement par sa façon de refléter la psyché d’un artiste. Et de nous perdre dedans pour mieux nous inciter à y trouver notre propre liberté.
Titre Original: THE LAST MOVIE
Réalisé par: Dennis Hopper
Casting : Dennis Hopper, Peter Fonda, Stella Garcia…
Genre: Drame, Expérimental, Western
Sortie le: 18 Juillet 2018
Sortie En Édition Prestige Limitée Blu-ray + DVD le 12 décembre 2018
Distribué par: Carlotta Films
EXCELLENT
Catégories :Critique Blu-Ray, Critiques Cinéma