Critiques

LE TEMPS DES ÉGARÉS (Critique Fiction Unitaire) Tout en nuances et en finesse…

SYNOPSIS: Une fable contemporaine sur fond de crise migratoire, avec pour héroïne une traductrice misanthrope aux méthodes discutables.

Lauréat du Pyrénées d’Or de la Meilleure Fiction Unitaire, Le Temps des Égarés arrive enfin sur Arte. Écrit par Gaëlle Belland (Engrenages), co-écrit et réalisé par Virginie Sauveur (Kaboul Kitchen), le film se penche sur le fonctionnement interne de l’OFPRA (l’Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides) en mettant en lumière ceux qui, jour après jour, dossier après dossier, font et défont les destins des migrants arrivés en France pour y demander asile. Un film en plein dans la Zeitgeist donc, à l’heure où l’Europe a toujours du mal à gérer l’une des plus grandes crises de migration de l’Histoire, et qui plutôt que de tracer son intrigue à grands traits, prend le parti de plonger directement dans l’intimité du système, en explorant le cynisme des uns, l’espoir des autres et la procédure bureaucratique de longue haleine et parfois déshumanisante qui les réconcilie.

L’arrivée en France n’est que la première étape du voyage. Après avoir tout laissé derrière eux, biens, amis, famille, carrière, espoirs, les réfugiés se doivent de faire une demande d’asile en bonne et due forme, et se confronter au plus grand dragon qui soit : l’administration française. C’est là qu’intervient Sira (Claudia Tagbo). Elle-même ancienne réfugiée, polyglotte et désormais traductrice, pour L’OFPRA, elle sert d’intermédiaire entre les demandeurs et les employés. Et puisqu’il est si compliqué d’obtenir un statut de réfugié en France, Sira a lancé son propre business : pour une somme d’argent conséquente, elle aide les nouveaux venus à polir leurs dossiers, à mentir s’il le faut, bref, à rendre leur histoire crédible, et suffisamment valable aux yeux de la loi pour que la République leur accorde leurs papiers. Mais sous ses apparences d’Olivia Pope à la française, Sira à une règle à laquelle elle ne faillit jamais : pas d’argent, pas de dossier. Elle n’aide personne gratuitement, enfermée dans un cynisme glaçant et dans une colère qui semble, du moins au début du film, complètement injustifiée. Et puis un jour, le destin frappe à sa porte, sous la forme d’un homme malien et de sa fille, qu’il a enlevée pour lui éviter l’excision, une situation que Sira va, en dépit d’elle-même prendre à cœur. Autour de Claudia Tagbo, magnifique de justesse et de courage dans son interprétation d’une protagoniste à priori pas si facile à rendre sympathique, virevolte une galerie d’acteurs peu connus, mais complètement habités, parmi lesquels on prendra le temps de nommer Amer Alwan, extraordinaire dans la peau d’un réfugié Irakien, et Alice Belaïdi, l’avocate “schizophrène” comme elle dit, à cheval entre deux cultures. Une mise en scène de la France dont on entend très peu parler, filmée avec beaucoup de pudeur par la caméra de Virginie Sauveur.

L’un des atouts majeurs de ce film, c’est son scénario, qui manie habilement les contrastes, que ce soit dans le portrait des personnages, leurs points de vue, leurs idéologies ou leurs situations, qui tournent parfois à l’absurde, comme cet homme arrivé d’Irak qui se voit refuser l’asile parce que personne n’arrive à croire qu’il ait réussi à passer la frontière turque sans payer le passeur. Il est aussi dans le privilège apparent des natifs de France, qui fument à la fenêtre en se demandant pourquoi ils viennent chez nous, ces gens qui arrivent d’ailleurs et ne semblent pas comprendre la portée des traumatismes des voyageurs, trop ancrés dans leur quotidien confortable pour imaginer ce que vit autrui. C’est un très beau script qu’ont co-écrit Gaëlle Belland et Virginie Sauveur, tout en nuances, en finesse, sans jugement aucun en dépit de ses opinions, qui oscille constamment entre l’espoir et l’affliction, offrant à ses acteurs de grands moments, parfaitement dévastateurs tant ils sont anodins. Un film porté par tout ce qu’il y a de plus remarquable et de détestable dans la nature humaine et qui se positionne solidement dans le camp de la solidarité, sans pourtant condamner ceux trop faibles, trop égoïstes, ou trop blessés pour faire de même.

Crédits : Arte

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