Critiques Cinéma

A BITTERSWEET LIFE (Critique)

SYNOPSIS: Un chef de gang suspecte sa petite amie Hee Su d’avoir une liaison avec un autre homme. Il demande à son bras droit, Sun Woo, de suivre Hee Su et de l’éliminer s’il la surprend en galante compagnie. 

C’est probablement l’une des introductions les plus classes de l’histoire du cinéma : tandis qu’il déguste avec une totale décontraction un gâteau au chocolat dans une assiette d’un blanc parfait au sommet de son hôtel de luxe, un serveur vient prévenir Kim Sun-Woo qu’il doit descendre régler une urgence. Impassible, l’homme termine tranquillement son dessert. Avant de partir, il ordonne d’un claquement de doigt à une employé de ramasser un couvert tombé par terre et qui n’est pas à place. A l’immobilité des premiers plans fixes succède alors la mise en marche du personnage et de la caméra. La montée progressive de la musique et la rythmique des percussions et des pas du héros introduisent comme un compte à rebours grisant. En une succession de travellings avant comme si la caméra était aimantée par le dos du personnage, le spectateur suit fasciné Kim Sun-Woo à travers les dédales de son hôtel, petit univers dans lequel il veille aux moindres détails et qu’il orchestre à la perfection. Ce monde est à son image : parfait, réglé comme une horloge, apprêté comme lui qui porte le costard comme personne. Un monde qui ne tolère pas le désordre : arrivé dans une pièce où trois gangsters refusent de partir, Kim leur intime avec un calme toujours olympien de quitter les lieux. Suspension de la scène, mise en sourdine de la musique, succession de gros plans sur les visages qui attendent, aux aguets, la fin de l’ultimatum. Kim compte jusqu’à trois, les gangsters ne partent pas : la branlée sera monumentale et le climax fulgurant.

Avec cette introduction coup de poing, le cinéaste Kim Jee-Woon signe tout simplement l’un des actes de naissance du cinéma coréen. Fort d’une mise en scène à la fois complètement minimaliste et totalement poseuse, il formule en quelques minutes absolument iconiques les caractéristiques de ce que l’on appelle aujourd’hui le « Nouveau cinéma sud-coréen » : un cinéma de genre sous influence hollywoodienne (mais pas que), avide de prouesses techniques, à la forme ostentatoire et à la violence sidérante, qui revitalise le cinéma populaire américain à bout de souffle par un mélange des tonalités et des genres absolument revigorant. Tout cela nous donne A bittersweet life, la grande œuvre de Kim Jee-Woon, qui ne cessera depuis de réitérer vainement son exploit (on lui doit depuis Le Bon, la Brute, le Cinglé, sympathique relecture de Sergio Leone en mode comédie d’aventure, le thriller poussif et boursouflé J’ai rencontré le diable, et plus récemment The Age of Shadows, directement sorti en DVD). Entre le film noir et le mélodrame, A bittersweet life se présente comme un film de vengeance ultra-violent pourtant innervé par un spleen romantique. Entre deux gunfights survoltés que n’aurait pas renié le John Woo de la grande époque, Kim Jee-Woon philosophe sur la violence du monde, laisse affleurer l’émotion et la poésie, fait couler le sang et les larmes dans un même tourbillon. Se coulant dans la veine métaphysique de Jean-Pierre Melville, il filme aussi la modernité et ses ravages, le vide existentiel de son héros qui a tout (l’argent, le respect, l’honneur) mais qui vit dans un appartement aussi vide que son cœur.

Chargé par son boss de surveiller sa petite amie qu’il soupçonne de le tromper, Kim Sun-Woo s’entiche de la belle et se refuse à la tuer comme convenu. Ayant trahi la confiance de son chef, il est torturé et laissé pour mort. Mais le jeune homme, blessé dans son honneur, se lance dans une spirale vengeresse. Traversé par un sous-texte homo-érotique, le film de Kim Jee-Woon fait de la vengeance une rupture amoureuse : assuré de la confiance de son patron, certain de sa puissance et de sa virilité, Sun-Woo subit une castration aussi symbolique qu’effective. Traîné dans la boue, le poignet brisé en signe d’impuissance, il chute du piédestal sur lequel il pensait être confortablement installé et voit son orgueil froissé. Dès lors, tout l’enjeu sera pour Sun-Woo de reconquérir une virilité perdue, en s’achetant d’abord une arme (substitut phallique) et en tuant ses ennemis. Avec un vrai savoir faire, Kim Jee-Woon orchestre une escalade de violence étourdissante. A la fois hyper-réalistes (les gangsters tirent mal, transpirent, paniquent) et spectaculaires, les gunfights et les scènes de bagarre oscillent entre le chaos désordonné d’un Sam Peckinpah et les chorégraphies raffinées d’un Johnnie To, entre l’horreur et la poésie, entre le réalisme et l’abstraction. A bittersweet life a beau être un pur exercice de style, le réalisateur cherche constamment à perturber son programme balisé en truffant son film d’onirisme et de contemplation, jusque dans son final qui brouille les cartes et constitue un hommage à La Servante de Kim Ki-Young. Classieux à souhait, porté par le charisme écrasant de Lee Byung-Hun dans le rôle de sa vie, le polar de Kim Jee-Woon est un manifeste éclatant du savoir-faire coréen en matière d’action et de divertissement spectaculaire -pour public averti.

Titre Original: DAL KOM HAN IN-SAENG

Réalisé par: Kim Jee-Woon

Casting :  Byung-Hun Lee, Jung-Min Hwang, Yu-mi Jeong …

Genre: Policier, Action, Drame

Date de sortie: 10 mai 2006

Distribué par: Mars Distribution

CHEF-D’ŒUVRE

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