SYNOPSIS: Styliste de mode très réputée, Petra von Kant vit une vie de femme libre et indépendante, assistée de Marlene, qui est à la fois sa secrétaire, sa dessinatrice et sa bonne à tout faire entièrement soumise. Petra tombe folle amoureuse de Karin, une jeune prolétaire dont elle décide de faire son mannequin vedette. La passion se transforme en jalousie maladive. Marlene observe sa patronne révéler sa fragilité, puis devenir esclave à son tour lorsque Karin s’en va rejoindre son mari…
En avril, ce sera un triple événement pour les cinéphiles : en parallèle d’une rétrospective consacrée au cinéaste allemand Rainer Werner Fassbinder à la Cinémathèque française, l’éditeur Carlotta met à l’honneur la carrière du cinéaste en sortant deux coffrets DVD/Blu-Ray contenant quinze de ses films, ainsi qu’un coffret de sa série télévisée Huit heures ne font pas un jour. Une restauration de premier ordre pour des films plus ou moins méconnus, et parmi lesquels en réside un qui pose à la fois le génie et les limites du style de Fassbinder. Édité par Carlotta en compagnie d’un autre film du cinéaste (le très hitchcockien Martha), Les larmes amères de Petra Von Kant n’est clairement pas ce que l’on pourrait appeler une « œuvre de jeunesse ». Déjà dans la mesure où Fassbinder avait déjà douze films au compteur avant celui-ci, ensuite parce qu’il marque une sorte d’aboutissement dans sa recherche du pont entre les langages du cinéma et du théâtre. Notons d’ailleurs qu’il s’agira là du dernier film ouvertement « théâtral » de son auteur (le film est adapté de sa propre pièce), ce qui paraît tout à fait inévitable au vu d’un propos centré sur les concepts d’artificialité et de représentation.
Tourné en huis clos pendant dix jours avec une poignée d’actrices (dont ses fidèles Hanna Schygulla et Margit Christensen) et un sujet en or (la débâcle d’une relation amoureuse entre deux femmes), le film met d’entrée un point d’orgue à créer une dichotomie entre le monde que l’on visualise (un loft conçu comme une vitrine) et le monde de son héroïne styliste (une pure surface qu’elle entretient par le look et l’artifice). Mais très vite, notamment par l’intermédiaire d’un carton malin que l’on aura pris soin de retenir pendant le générique de début, tout devient prétexte à décrire l’attachement comme une sorte de maladie. Qui a le plus besoin de qui ? Qui est plus malade que qui ? Qui manipule qui ? Fassbinder n’enregistre pas un amour fou qui se détériore par goût de l’absolu, mais une violence possessive qui s’installe par à-coups. Un peu comme si les rapports humains étaient devenus rapports de propriété. Pour l’arrogante et suffisante Petra, toutes celles qui les entourent ne sont que des « choses » : l’objet de son désir, Karin, veut être mannequin et se retrouve donc accueillie telle quelle, tandis que Marlene, sa secrétaire mutique, est ici carrément traitée comme une esclave (consentante ?). Le constat est là aussi sans appel pour la famille, perçue comme nocive et envahissante, et la jeunesse, laquelle ne trouve l’amour qu’au travers de personnes « clichés », pour ne pas dire « moulées » sur d’autres. Vision acide d’une société où la représentation envahit tout l’espace (d’où l’emploi de mannequins de vitrine) et où la possession de l’Autre évoque un sadomasochisme qui fonctionnerait dans les deux sens (celui qui domine est-il vraiment celui qui fait souffrir ?).
Il n’en reste pas moins que si le propos de Fassbinder sur le sentiment et la chosification n’a rien perdu de sa force, sa mise en scène, elle, réitère ce qu’on lui reprochera éternellement : la théâtralité. Homme de scène avant d’être homme de cinéma, Fassbinder parvient certes à incarner l’artificialité par sa scénographie (en l’état très réfléchie), mais échoue à la rendre dynamique et constructive par le montage (question centrale du langage cinématographique). Tout tient hélas ici dans un côté « rituel » des plus barbants, usant de postures trop figées et d’actrices trop Playmobil dans l’âme pour ne pas créer la lassitude et le désintérêt au bout d’un quart d’heure. Certes, on relèvera ici et là quelques plans fixes à l’impact symbolique évident (dont un sur une Petra saoule et allongée sur la moquette qui se languit de ne plus avoir Karin à ses côtés), mais l’ensemble ne cesse jamais de se complaire pendant deux heures dans une visualisation sans affect de ce qu’il était censé démontrer. Si l’artificialité se devait d’être torpillée et fustigée, il aurait fallu un découpage qui parvienne à faire l’effet d’un long poison sur la durée, ce qui n’est ici jamais le cas. Et si Fassbinder semble en être resté à la surface sur la forme, c’est parce qu’il a laissé uniquement à son texte le soin de chercher et de trouver la profondeur. Sur une scène de théâtre, cela doit sans doute faire fureur. Sur un écran de cinéma, c’est insuffisant.
Titre Original: DIE BITTEREN TRÄNEN DER PETRA VON KANT
Réalisé par: Rainer Werner Fassbinder
Casting: Margit Carstensen, Hanna Schygulla, Irm Hermann…
Genre: Drame
Sortie le: 18 avril 2018
Distribué par: Carlotta Films
MOYEN
Catégories :Critiques Cinéma