SYNOPSIS: Après un incident banal survenu dans son village, une fillette de 8 ans, Shula, est accusée de sorcellerie. Après un rapide procès, elle est reconnue coupable et enfermée dans un camp de sorcières.
Pour son premier film, Rungano Nyoni traite de ces camps de sorcières, véritables prisons à ciel ouvert, dans lesquelles sont déportées des femmes, souvent âgées, accusées de sorcellerie par leurs voisins ou leurs proches (les camps les plus importants se trouvent au Ghana). Faire un film sur un sujet de société majeur en Afrique mais largement méconnu et sous traité en dehors du continent, sensibiliser le public sans pour autant oublier de faire du cinéma, telle était déjà l’ambition des Initiés de John Trengove. Il n’y parvenait pas totalement du fait notamment d’un sujet (le rite de passage à l’age adulte durant lequel des jeunes hommes sont regroupés et circoncis dans des conditions d’hygiène déplorables) abordé frontalement durant la première partie, dont la force était ensuite diluée par l’accumulation de thématiques et d’une mise en scène assez peu inspirée. D’inspiration, Rungano Nyoni, n’en a pas manqué pour I Am Not A Witch qui parvient à nous attacher au destin de son héroïne tout en transcendant son sujet, en l’emmenant vers le conte, et en lui donnant par sa mise en scène une identité véritable et forte qui lui permet de dépasser le cadre du petit film social.
De la force de la contrainte religieuse et sociale s’exerçant sur les femmes, Rungano Nyoni, en traitait déjà dans son 3ème court métrage, le très sombre Kuuntele (Listen), présenté à la quinzaine des réalisateurs 2014 et primé dans de nombreux festivals. Avec un sujet aussi fort que la burqa, elle parvenait à éviter les clichés et le manichéisme en montrant le double enfermement dont sont victimes ses femmes et la violence des rapports intracommunautaires, y compris entre femmes, qui fait que celle qui essaie de s’émanciper est montrée du doigt. Échapper au destin écrit par son oppresseur demande d’autant plus de force et de courage quand vos proches et ceux qui subissent le même sort que vous, non seulement l’acceptent mais le jugent légitime. C’était le drame de cette mère dans Kuuntele et c’est aussi celui de cette petite fille, dénoncée pour sorcellerie, passée sous les fourches d’une justice expéditive qui ne lui a offert qu’un simulacre de procès et enfermée dans un camp sans que personne ne semble y trouver à redire. Elle est la victime des croyances et des superstitions des habitants de son village et d’un système corrompu qui a tout intérêt à entretenir ces peurs irrationnelles pour asseoir sa légitimité.
Plutôt que de surligner le drame et de documenter la situation de ces femmes exilées, privées de leur liberté, Rungano Nyoni a pris le parti de placer son récit à hauteur de cette petite fille. C’est avec elle et par son regard que l’on découvre cette situation objectivement tragique mais qui du point de vue d’une enfant est perçue comme absurde et même parfois drôle. Point de hurlement, de crises de larmes le soir tombé, Shula (Maggie Mulubwa) réagit à cette privation de liberté et à ce « statut » de sorcière comme une enfant qui ne comprend pas réellement la situation et la vit même avec un certain détachement. De fait le récit ménage des moments drôles et une galerie de personnages absurdes, Monsieur Banda (Henri B.J Phiri) et son épouse en tête, à laquelle on ne s’attend pas pour un tel sujet. A travers les situations que rencontre cette petite fille, Rungano Nyoni s’attaque à la corruption du système judiciaire zambien, à l’absurdité de cette croyance dans les pouvoirs des sorcières, au mode de fonctionnement même de la société zambienne dans laquelle les femmes n’ont d’autre choix que de se soumettre. Le message n’est pas asséné mais transmis par les situations et les personnages, par la prise de recul du spectateur sur ce qu’il voit. Dans I Am Not a Witch, le drame se joue à l’arrière plan comme dans cette scène d’abord comique où Shula doit rendre la justice et désigner le coupable d’un vol. Aussi absurde soit ce simulacre de justice et cette croyance dans les pouvoirs de cette petite fille dont on refuse de douter, au point de « tricher » en l’aidant à décider, les conséquences de son jugement sont elles dramatiques. Rungano Nyoni les laisse hors champ, la caméra restant avec Shula qui ne comprend pas la situation et tient dans ses bras les cadeaux qu’elle a reçus. C’est tout à fait cohérent avec le parti pris du film, remarquablement écrit et tenu sur les frêles épaules d’une gamine qui n’a pas dix lignes de dialogues mais dont l’intensité du regard nous transperce. C’est la force mais aussi la petite limite de I Am Not A Witch dont le ton satirique et la succession de petites scènes nous tient un peu à distance. Les autres femmes du camp ne sont pas caractérisées, n’ont d’existence dans le récit que parce que notre petite sorcière cohabite avec elles et leurs interactions sont très limitées, d’autant plus que Monsieur Banda voit le profit qu’il peut tirer d’elle et lui réserve un traitement « privilégié ». Le récit manque de moments marquants, d’une montée d’émotion et d’enjeux renouvelés pour convaincre complètement. C’est peut être injuste de lui faire ce reproche parce qu’il aurait été plus facile à Rungano Nyoni de fabriquer de l’émotion plutôt que de rester jusqu’au bout dans la même tonalité, la même humeur, celle de son héroïne.
Si le film décolle tout de même par instant, c’est par de belles idées de mise en scène et notamment ces rubans blancs attachés dans le dos des sorcières et censés les empêcher de s’envoler. C’est une idée à la fois poétique et absurde qui tire un peu plus le récit vers le conte et donne lieu aux plus belles scènes du film. Rungano Nyoni étonne également par des choix musicaux très personnels, passant de Vivaldi à Estelle, qui paraissent dénoter avec le sujet du film mais qui sont, à notre avis, parfaitement connectés avec les sentiments que lui inspirent son récit et l’émotion qu’elle ressent devant une scène. Cela devrait être la norme mais c’est finalement assez rare dans la mesure où dans la majorité des films, la musique est pensée au soutien d’une scène et non de façon organique. I Am Not a Witch semblait pouvoir être écrasé, à tout le moins limité par son sujet, mais c’est donc finalement un film qui apparaît très personnel, probablement irrigué par la relation particulière que Rungano Nyoni, d’origine zambienne a eu avec sa jeune actrice et ce sujet qui en dit long sur la place réservée aux femmes dans ces sociétés. On ne doute pas que son prochain film restera dans cette thématique et nous ne le manquerons certainement pas.
Titre Original: I AM NOT A WITCH
Réalisé par: Rungano Nyoni
Casting : Maggie Mulubwa, Henry B.J. Phiri, Travers Merrill
Genre: Drame
Nationalité: Britannique,Français, Allemand
Date de sortie: 27 Décembre 2017
Distributeur: Pyramide Distribution
TRÈS BIEN
Catégories :Critiques Cinéma