Critiques Cinéma

LA LUNE DE JUPITER (Critique)

SYNOPSIS: Un jeune migrant se fait tirer dessus alors qu’il traverse illégalement la frontière. Sous le coup de sa blessure, Aryan découvre qu’il a maintenant le pouvoir de léviter. Jeté dans un camp de réfugiés, il s’en échappe avec l’aide du Dr Stern qui nourrit le projet d’exploiter son extraordinaire secret. Les deux hommes prennent la fuite en quête d’argent et de sécurité, poursuivis par le directeur du camp. Fasciné par l’incroyable don d’Aryan, Stern décide de tout miser sur un monde où les miracles s’achètent. 

Deux ans après White God, film hongrois présenté au Certain Regard et lauréat des prix les plus prestigieux de la section, Kornél Mundruczó est de retour sur la croisette, cette fois avec les honneurs de la compétition officielle. Jupiter’s Moon, son mystérieux nouveau long-métrage auréolé d’une belle publicité (un trailer particulièrement intriguant a buzzé sur la toile), y est présenté face au jury présidé par Pedro Almodovar. C’est peu dire que nous avions adoré White God ici, entre ces lignes. Mélodrame poignant (une fille part à la recherche de son chien et vice versa), pamphlet politique indirect mais puissant (avec des chiens comme allégorie des minorités opprimées et une société futuriste reflétant l’Europe actuelle, qui rejette les « bâtards »), conte anti-spéciste sanglant mais sublime, racontant l’amitié entre une jeune fille et son chien, White God, c’était un peu tout ça à la fois et bien plus encore. La mise en scène de Mundruczó était particulièrement vibrante, avec une caméra portée faisant sens avec le récit et une « direction » de chiens remarquable. On se rappelait aussi que Mundruczó savait iconiser, et composer des plans inoubliables – rappelez-vous cette sublime ouverture capable de susciter un fort pouvoir d’évocation et ce dernier shot, gravé au fer rouge dans la mémoire collective. On se souvenait enfin à quel point Mundruczó respectait profondément le genre, White God s’inscrivant, à travers sa dimension politique, dans la droite lignée d’une œuvre culte telle que La Planète des Singes avec le soulèvement des singes/chiens pour lutter contre la cruauté des hommes, caractérisés comme les véritables antagonistes du film, et un climat socio-politique servant de prétexte au cinéaste pour établir un brûlot contre certains gouvernements européens totalitaristes. Verdict aujourd’hui de cette Lune de Jupiter ?

Il est toujours difficile de décortiquer, à chaud, un film à Cannes. Encore plus lorsqu’il s’agit d’une œuvre très attendue. Forcément impacté par le ressenti émotionnel immédiat, l’analyse devient presque instantanément superflue, faute de pouvoir prendre du recul sur les images qui viennent de nous être présentées. En l’occurrence pour Jupiter’s Moon, une légère déception fut au rendez-vous même si le film est parcouru d’indénombrables fulgurances qu’il est impossible d’éluder. Dès les premières secondes, un carton annonce la couleur et offre plus de clarté sur le mystérieux titre : la planète Jupiter possède des dizaines de Lune, dont une nommée « Europe », qui serait traversée d’éléments indiquant une possible vie locale. L’allégorie politique est posée, Mundruczó ne fait pas dans la dentelle. La suite : Aryan, un immigré serbe blessé par balle au décours d’une traque organisée pour chasser ceux qui traversent illégalement la frontière, acquiert soudainement et ésotériquement la capacité de léviter sur commande. Recueilli par un médecin cupide qui cherche à exploiter son pouvoir pour s’enrichir, et poursuivi par un directeur de camps en charge d’évacuer certains migrants du territoire, Aryan fait alors l’objet d’une traque, lui qui cherche simplement à prospérer dans un environnement sécure.

De ce postulat, Mundruczó tire un manifeste politique emballant, déguisé en film SF assez surprenant. Le propos est fort, avec des symboles et des séquences lourdes de sens (l’attentat entre autres), même si la narration et l’exécution apparaissent peut-être plus laborieuses que dans White Dog, amoindrissant ainsi la portée de son message. Composé d’un plan-séquence inaugural pertinent et ensuite de scènes de lévitation impressionnantes – quoique répétitives et perdant leur saveur au bout d’un moment – Jupiter’s Moon apparaît plastiquement riche, audacieux et stupéfiant, Mundruczó faisant preuve d’une folle ambition formelle. Le point d’orgue de cette aspiration est atteint lors d’une course-poursuite ahurissante en voiture, filmée en travelling avant et où la caméra épouse un des deux bolides, à hauteur du moteur. On se demande encore comment Mundruczó a procédé. De même pour l’incroyable et spectaculaire dernier acte, sublime dans son découpage et sa finition. La réalisation, immersive et intense, devrait séduire l’industrie hollywoodienne qui va certainement s’empresser d’embaucher Mundruczó sur un de leurs blockbusters maisons. La parabole christique est un peu lourde certes, Mundruczó abandonnant grossièrement quelques indices ici et là (le père du héros charpentier) et traitant un peu maladroitement quelques-uns des enjeux inhérents à la nouvelle condition de son (super)héros. On peut en réalité reprocher au cinéaste de ne pas faire grand-chose de son personnage central au final, caractérisé superficiellement comme un migrant poursuivi, égratigné ou exploité, mais on lui pardonne facilement, car ailleurs le cinéaste prêche la bonne parole et son combat contre la violence et la montée des extrêmes en Europe demeure plus que nécessaire à l’heure où une Marine Le Pen passe sans sourciller au second tour des élections présidentielles françaises. Le message politique traverse aisément les frontières lui. La Lune de Jupiter est indéniablement un film de genre de qualité, avec de la personnalité, qui, on l’espère, rencontrera un certain succès en dépit de ses imperfections.

Titre Original: JUPITER HOLDJA

Réalisé par: Kornél Mundruczó

Casting :  Zsombor Jéger, Gyorgy Cserhalmi, Merab Ninidze…

Genre: Drame

Date de sortie : 1er Novembre 2017

Distribué par: Pyramide Distribution

TRÈS BIEN

 

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