Critiques Cinéma

CERTAINES FEMMES (Critique)

4,5 STARS TOP NIVEAU

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SYNOPSIS: Quatre femmes font face aux circonstances et aux challenges de leurs vies respectives dans une petite ville du Montana, chacune s’efforçant à sa façon de s’accomplir. 

En l’espace de cinq films (River of Grass, Old Joy, Wendy et Lucy, La dernière piste, Night Moves), Kelly Reichardt a construit une filmographie exemplaire dont chaque film témoigne de l’empathie et de la justesse du regard qu’elle pose sur des personnages habituellement laissés de côté aussi bien par la société américaine que par son cinéma. Son cinéma peut être perçu à tort comme exigeant, à tout le moins austère, en ce qu’il fait l’éloge d’une lenteur et d’une forme de poésie qui demandent au spectateur un saut de la foi, un laisser aller auquel ses contemporains ne nous ont guère habitué. Avec Kelly Reichard, tout passe par ses personnages et sa capacité à nous faire entrer en connexion avec eux, partager leur quotidien et leurs émotions, ressentir leur environnement et l’écoulement du temps dans leur vie. Son cinéma est humaniste, féministe, écologique mais aussi forte que soit sa dimension politique, il serait réducteur de s’arrêter à cela. Avec Certaines femmes, Kelly Reichardt démontre à nouveau que l’économie d’effets de sa mise en scène (absence de musique, plans étirés, lumière naturelle,…) est en parfaite résonance avec son propos, conférant au film un rythme anachronique dans le cinéma américain mais pleinement en phase avec ce que vivent ses personnages. Son récit s’articule autour de l’histoire de quatre femmes sur lesquelles Reichardt pose son regard à un moment de leur vie qui met à jour leur mélancolie et leur solitude. Laura (Laura Dern) est avocate dans une petite ville du Montana et doit gérer l’état dépressif d’un de ses clients (Jared Harris) auquel elle annonce que son dossier ne pourra aboutir. Gina (Michelle Williams) revient dans le Montana pour camper avec son mari, Ryan (James le Gros) (que l’on découvre d’abord comme l’amant de Laura dans la première scène du film) et sa fille dans une grande tente. Elle n’a qu’un but: convaincre Albert (René Auberjonois qui interpréta le père John Mulcahy dans Mash de Robert Altman) de lui vendre les vieilles pierres se trouvant dans son jardin, avec lesquelles elle veut pouvoir construire une maison. Enfin, Elizabeth (Kristen Stewart) est une juriste qui pour terminer de financer ses études accepte un poste de professeur de droit dans une petite ville se trouvant à l’autre bout du Montana. L’une de ses étudiantes, Jamie, une éleveuse de chevaux, interprétée avec une sensibilité bouleversante par Lily Gladstone, grande révélation du film, verra en elle un modèle/ une amie (peut être plus) pouvant la sortir de sa solitude.

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Autant le dire tout de suite, si vous n’êtes pas habitués au cinéma de Kelly Reichardt et, d’une manière générale, aimez les films très dialogués et rythmés qui explicitent les sentiments de leurs personnages, le choc anaphylactique risque d’être rude et de vous faire glisser de votre siège jusqu’à la sortie. On retrouve Kelly Reichardt telle qu’elle est depuis son premier film: attentive au moindre silence, geste, regard de personnages pour lesquels elle a une empathie qui imprime chaque centimètre de la pellicule et transperce le cœur. Ce qui passe dans le regard de ces quatre femmes, ce qui se dit dans leur silence, vaut tous les effets de style, tous les éclats de voix et dialogues percutants. Si le terme de « time capscule » est utilisé pour qualifier un film réussissant à nous replonger dans une époque, il faut inventer celui de « psychic capsule » pour parler de l’incroyable acuité avec laquelle Certaines femmes parvient à « encapsuler » la psychée de ses personnages. Propulsé au milieu d’un « épisode », pouvant paraître anecdotique, de la vie de ces femmes, on comprend pourtant, sans flashback, sans exposition, ce qui se joue pour elles à ce moment de leur vie et ce qui les traverse. Indépendantes, courageuses, elles tentent de trouver un sens à leur vie (Laura en soutenant son client, Gina en voulant construire une maison avec des pierres chargées d’histoire), de s’extraire de leur condition (Elizabeth est la seule fille de sa famille à avoir fait des études) ou de rompre leur solitude d’éleveuse de chevaux dans un ranch perdu dans les montagnes du Montana.

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Ce qui intéresse et parvient à capter Kelly Reichardt passe dans la longueur d’un plan, dans un silence ou au détour d’un regard. Le regard de Laura quand son client laisse éclater son désespoir et sa colère, celui de Gina quand son mari persiste à ne pas réaliser à quel son projet lui tient à cœur, celui d’Elizabeth dans une scène déchirante avec Jamie. Si chaque récit est traité avec la même sensibilité, il est indéniable que celui de Jamie est le plus émouvant alors qu’il est porté par une actrice quasi néophyte et dont l’expérience est incomparable à celles de Laura Dern, Michelle Williams et Kristen Stewart. Si par sa sensibilité et sa force de conviction, Kelly Reichardt parvient à amener ses actrices à une forme de vérité qui rend invisible leur travail, elle a trouvé avec Lily Gladstone le parfait vecteur des émotions qu’elle sait si merveilleusement créer avec sa mise en scène. Il ne semble y avoir aucun filtre entre ce que ressent Jamie et ce que la voix, l’attitude et le regard de Lily transmettent. Dans ces scènes le film monte si haut qu’il constitue probablement le sommet de la filmographie de cette réalisatrice si unique, si précieuse dans le paysage cinématographique américain.

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Comme dans ses précédents films qui furent tournés dans l’Oregon, l’environnement, ici les plaines et montagnes du Montana, tient une place centrale, contraint les personnages en même temps qu’il fait écho à ce qu’ils vivent. Le premier plan s’attarde longuement sur un train qui passe aux abords de la ville où vit Laura. On l’entendra ensuite dans plusieurs scènes comme un appel au voyage, à une autre vie, à laquelle aspire Laura tout comme Gina, Elizabeth et Jamie. Certaines femmes ne sera pas le film de la réconciliation de Kelly Reichardt avec les spectateurs qui rejetaient la lenteur de sa narration, la simplicité (apparente) de ses histoires et l’austérité de sa mise en scène. Il confirme la singularité du style et du regard d’une réalisatrice qui évolue hors du système, à laquelle rien n’est donné et qui se refusera toujours à toute compromission. Certaines femmes est à nos yeux un film rare, majeur, un de plus dans la passionnante filmographie de Kelly Reichardt.

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Titre Original: CERTAIN WOMEN

Réalisé par: Kelly Reichardt

Casting : Kristen Stewart, Laura Dern, Michelle Williams,

Lily Gladstone, René Auberjonois, Jared Harris  …

Genre: Drame

Sortie le: 22 février 2017

Distribué par: LFR Films

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