Critiques Cinéma

L’ANGE IVRE (Critique)

4 STARS EXCELLENT

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SYNOPSIS: Appelé en pleine nuit à soigner un jeune gangster pour une blessure à la main, un médecin alcoolique décèle une affection plus grave, la tuberculose. Il tente de soigner le jeune homme qui ne veut rien entendre, et malgré les disputes et les menaces, il se prend d’amitié pour lui. Le chassé-croisé des deux hommes que tout oppose trouvera une issue tragique dans les milieux violents de la pègre japonaise. 

Première des 16 collaborations entre Toshirô Mifune et Akira Kurosawa, L’ange Ivre est à bien des aspects un film matriciel dans l’œuvre de ce géant du 7ème art dont la carrière s’est étendue sur plus de 4 décennies. Libéré des contraintes de la censure japonaise, Akira Kurosawa réalise ce qu’il considère alors comme son premier film personnel. Ce récit de la rencontre entre deux individus venant de milieux que tout oppose porte en lui un thème qui lui est cher et qu’il ne cessera d’approfondir durant la suite de sa carrière: l’exploration des bas fonds de la société japonaise. Le docteur Sanada (Takashi Shimura) vit à côté d’une mare dans laquelle se déversent les ordures de la ville sur laquelle la caméra s’attarde longuement à de multiples reprises, comme une métaphore du mal qui ronge les personnages du film et plus largement la société japonaise de l’après guerre. Dans cette ville livrée aux gangsters et aux maladies, l’un de ses petits maîtres, Matsunaga (Toshirô Mifune), un Yakuza craint et respecté de tous, va mesurer la précarité de sa condition face à la tuberculose qui le tue à petit feu. Il va ainsi devoir se résoudre à remettre sa vie entre les mains de ce médecin bourru et alcoolique, qui ne le craint nullement et le tance publiquement, comme un élève traite un disciple qui ne se plie pas à ses injonctions. On ne sait rien du passé de ce médecin qui est une incarnation d’un monde ancien qui regarde, avec colère et mépris, ce qu’est devenue sa ville, dont les enfants tombent malades et qui ne leur offre aucune perspective d’avenir. On devine néanmoins parfaitement ce que fut son passé et ce qui l’a construit dans la façon dont il fait face à ce Yakuza. Il lui tient autant à cœur de soigner ces enfants que Matsunaga qui incarne ce qu’il méprise le plus mais dont il décèle la part d’humanité cachée derrière cette imposante allure de gangster. La première partie du film repose essentiellement sur la mécanique de la relation naissante entre ces deux personnages qui se crient dessus, se battent, se menacent mais dont le destin semble irrémédiablement lié depuis que Matsunaga a fait irruption chez Sanada, au milieu de la nuit, pour se faire soigner une blessure par balle. Deux géants du cinéma japonais, deux acteurs fétiches de Kurosawa se font face dans un registre qui flirte d’abord parfois avec la comédie, Takashi Shimura insultant régulièrement Toshirô Mifune et lui jetant tout ce qui lui passe sous la main.

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A mesure que le récit avance et que la maladie affaiblit Matsunaga, Kurosawa va approfondir la psychologie de ses personnages et en particulier de ce yakuza auquel Toshirô Mifune apporte son incroyable intensité. Confronté à sa mortalité, il est également confronté à la précarité de son statut avec le retour en ville d’Okada, dont il avait indirectement profité de l’emprisonnement pour asseoir son autorité. Kurosawa pose un regard sans concession sur ces Yakuzas qui profitent de la déliquescence économique et morale du Japon mais ne sont rien de plus que des gangsters à la petite semaine. Le personnage de Sanada est son porte voix dans son refus de baisser le regard, de craindre des hommes qui se prévalent d’un code de l’honneur « féodal ». A travers le personnage de Matsunaga mais aussi celui d’Okada, il s’attache à les montrer comme des hommes faibles qui jouent aux durs. Matsunaga s’entête tel un enfant à déjouer le pronostic de Sanada et à continuer à boire et mener une vie de débauche.

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Dans une magnifique scène, Akira Kurosawa matérialise les peurs de Matsunaga, le regard alors perdu sur une poupée flottant dans la mare infestée de bactéries à côté de laquelle se trouve le cabinet de Sanada. La mise en scène jusqu’alors quasi documentaire flirte avec le fantastique comme dans la représentation de la longue silhouette malade et du visage fantomatique de Matsunaga. Le récit se resserre sur lui, sur le parcours de ce personnage frappé par la maladie comme une épreuve divine dont il ne peut se relever qu’en renonçant à ses vices et en tournant le dos au code d’honneur qu’il pensait par ailleurs devoir le protéger, jusqu’à ce que le retour d’Okada lui fasse cruellement prendre conscience de son erreur. A l’instar de Sanada, après avoir regardé, avec un mélange de circonspection et de dédain, ce yakuza réagir comme un enfant apeuré face à la maladie, on veut croire que sa prise de conscience ne soit pas trop tardive et on espère que son corps et son âme puissent guérir du mal qui les ronge. Akira Kurosawa excelle à montrer ses personnages « à nu », dans leur vérité qu’ils s’efforcent de travestir. Drôle et féroce puis émouvant et tragique L’ange ivre est un film empreint d’une grande humanité mais néanmoins d’une profonde noirceur ou plutôt, d’une grande lucidité sur la société japonaise et la faiblesse des hommes.

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Titre Original: YOIDORE TENSHI

Réalisé par: Guillaume Canet

Casting : Takashi Shimura, Toshirô Mifune, Reisaburo Yamamoto,

Michiyo Kogure, Chieko Nakakita, Noriko Sengoku …

Genre: Drame, Thriller

Sortie le: 25 janvier 2017

Distribué par: Carlotta Films

4 STARS EXCELLENTEXCELLENT

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