Critique Blu-Ray

BONJOUR TRISTESSE (Critique Blu-Ray)

le rendez vous ciné club

3,5 STARS TRES BIEN

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SYNOPSIS: Depuis son retour à Paris après des grandes vacances passées sur la Côte d’Azur, Cécile a perdu sa joie de vivre et son entrain habituels. Cet été-là, Cécile était heureuse, entourée de Raymond, ce père coureur de jupons mais si affectueux, d’Elsa, sa «belle-mère» du moment, et de Philippe, le séduisant voisin. Mais l’arrivée surprise d’Anne, une ancienne amie de la famille, va bouleverser la quiétude de la maisonnée…

A l’origine, Bonjour Tristesse est un roman de Françoise Sagan publié en 1954, à une époque où la romancière n’avait pas encore atteint sa majorité. Pour la petite histoire, c’est au cours des préparatifs de l’édition de son roman que celle-ci, sur les conseils d’un père inquiet des conséquences médiatiques du livre, finira par choisir Sagan comme pseudonyme (son vrai nom étant Quoirez). Une peur légitime au vu d’un livre qui, de par ses thèmes neufs et sa vision d’une adolescence inconsciente par une auteure aussi jeune, secouera l’opinion publique. Rédigé très rapidement au départ, le livre connaîtra un énorme succès critique et public qui rendra Sagan riche et célèbre en un temps record, allant même jusqu’à lui offrir le prix des Critiques à seulement 18 ans. Le revers sera une polémique lancée par le Vatican, qui verra dans l’insouciance de l’héroïne du livre un danger pour les jeunes esprits – ce qui sera autant le cas pour toutes les œuvres transgressives de l’époque. Et comme le triomphe d’une œuvre littéraire est clairement du genre à taper dans les yeux d’un Hollywood toujours prompt à sniffer des billets verts, il ne fallut attendre que quatre ans pour que le réalisateur Otto Preminger, déjà auteur de L’homme au bras d’or et pas encore aux commandes d’Exodus ou d’Anatomie d’un meurtre, se lance dans une adaptation du roman.

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Réputé avant tout pour la précision extrême apportée à sa mise en scène, Otto Preminger est surtout un perfectionniste absolu, pour qui la réussite d’un plan doit s’obtenir par tous les moyens. Les échos du tournage de Bonjour Tristesse tels que racontés par l’actrice Mylène Demongeot dans son autobiographie ne sont donc guère étonnants, entre les accès de colère permanents du cinéaste (lequel insultait son équipe technique à chaque visionnage des rushes), l’attitude tempérée d’un David Niven aussi gentleman qu’il le semble sur grand écran, et surtout la soudaine crise de nerfs d’une Jean Seberg après une journée entière de tournage du long travelling final. Pour autant, à l’écran, la colère n’est pas ce qui domine même si le sujet semble la laisser s’infiltrer en sourdine dans les rapports humains. Sans surprise, Preminger réalise ici moins un drame insouciant qu’une pure tragédie, où le soleil de la Côte d’Azur tape violemment sur les caractères. Il réussit surtout le plus difficile : donner à cette relation centrale père/fille un caractère sensiblement incestueux, ce qui accroît considérablement l’impact de la terrible machination qui va alors s’activer à mi-chemin du récit. Mais c’est surtout en adoptant en permanence le point de vue fluctuant de Cécile (Jean Seberg) au sein d’une structure de récit en flashbacks qu’il touche du doigt le fond réel du livre, faisant ainsi de la tristesse un sentiment nouveau, naissant aussi bien de la fuite en avant que de la sensation de culpabilité.

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Le choix des flashbacks est en soi très étonnant parce qu’il inverse la dichotomie passé/présent au travers d’un savant système colorimétrique. En effet, dès les premiers plans parisiens qui illustrent la vie contemporaine de Cécile, l’image présente une photo sépia. A l’inverse, dès que Cécile se souvient de ses vacances en Côte d’Azur (qui constituent l’épicentre du récit), l’image déploie un modernisme formel digne de Pierrot le Fou où la flamboyance des couleurs chatouille immédiatement les cinq sens du spectateur. Bien sûr, il y a là une astuce aussi maline que cohérente, consistant à donner au souvenir un impact plus vif et plus émotionnel que la grisaille de l’instant présent. Mais en outre, vu que les scènes dans le passé forment environ 75% du scénario, ce système réussit souvent à faire passer les scènes dans le présent pour des flashforwards. Sans que l’on sache si c’était l’effet recherché par Preminger, on a vraiment la sensation d’assister à un récit inversé où les vacances passées deviennent le temps présent, et où la tragédie qui en découlera intègre ses conséquences dans un futur visualisé sans couleurs vives. La voix off de Cécile, pour le coup exaspérante à force de jouer le basculement narratif à travers une paraphrase inutile, semble aller dans ce sens-là en occultant purement et simplement la vie parisienne dès l’instant où elle entend une chanteuse (jouée par Juliette Gréco) chanter la chanson Bonjour Tristesse dans un cabaret.

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A bien des égards, Bonjour Tristesse tient entièrement sur sa mise en scène – limpide et précise dans l’usage du format Scope et des mouvements de caméra – et sur ses acteurs – tous éblouissants – que sur un scénario qui, lui, appartient trop à son époque pour ne pas paraître désormais un peu anachronique, ne serait-ce que sur sa vision d’une vie dissolue telle que pratiquée par le couple père/fille formé par David Niven et Jean Seberg (où l’insouciance est de rigueur et la conquête amoureuse est une activité sportive). On a beau sentir Preminger peu attaché à critiquer frontalement les mœurs de l’époque (ce qui crée une délicieuse impartialité), sa façon de croquer les frictions de ce contexte social en à peine quatre ou cinq personnages se révèle ici un peu trop schématique : rigueur moraliste pour Deborah Kerr, exubérance déglinguée pour Mylène Demongeot (ici plus Marilyn Monroe que jamais !), suffisance contenue pour David Niven, charme juvénile pour Geoffrey Horne, insouciance menacée pour Jean Seberg. C’est clairement lorsqu’il reste concentré sur cette dernière que Preminger gagne son pari : faisant preuve d’un sex-appeal immédiat (qui, à l’époque, avait laissé le critique François Truffaut sans voix !) et passant d’un état à l’autre au gré du film (ce qui, en soi, conditionne les inégalités émotionnelles du récit), l’actrice atteint le firmament de ses capacités de jeu dans un plan final inoubliable, démaquillée devant son miroir, seule face aux regrets et à la tristesse qui l’assaillent tout à coup. Une façon pour le cinéaste de refermer son récit comme une boucle, étant donné que son générique de début – signé Saul Bass – montrait les pétales d’une fleur se transformant en larmes. Bonjour, jolie tristesse.

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Test Blu-Ray :

Toujours à l’affût de précieuses ressorties à destination des cinéphiles, l’éditeur Carlotta offre au film d’Otto Preminger la restauration qui lui manquait dans une solide édition agrémentée de divers bonus.

Image : Disons-le franchement, la restauration 4K de Bonjour Tristesse mérite tous les éloges en ce qui concerne les scènes en couleur : la précision du piqué de l’image et la puissance des contrastes colorimétriques redonne ici à la photo de Georges Périnal toute sa beauté. Du côté des scènes parisiennes en couleur sépia, le jugement est un peu plus tempéré : l’image est là encore d’une impressionnante précision, mais quelques plans en panoramique dans certaines scènes révèlent la fragilité du transfert (on a alors l’impression que l’image « bave »…). Rien de bien grave, cela dit.

Son : Même encodage sonore pour les versions originales et françaises : la piste audio met surtout en valeur les dialogues et n’élève le volume musical que pour le générique de début. Bonjour Tristesse n’étant clairement pas le genre de film à nécessiter une grosse installation home cinema chez soi, le choix semble des plus logiques.

Bonus : Les bonus chez Carlotta offrent en général une mine d’informations pour englober à la fois la conception et la postérité du film édité. Dans le cas de Bonjour Tristesse, la déception est hélas de rigueur tant il manque à l’appel un vrai documentaire rétrospectif sur la mise en chantier du projet. Il faudra ici se contenter d’un seul bonus – hélas trop court et peu informatif – pour en savoir plus sur le sujet : durant un petit quart d’heure, Denis Westhoff (le fils de Françoise Sagan) revient brièvement sur la création du livre, sur son impact ainsi que sur son adaptation par Preminger. Hormis le fait de savoir que Preminger s’engueulait avec tout le monde sur le tournage, Westhoff donne ici son regard personnel sur le film (qu’il juge un peu trop américain) et évoque son désir de voir un jour une autre adaptation cinématographique du livre… Autre bonus plus intéressant : un petit documentaire de vingt minutes sur la relation entre Saul Bass et Otto Preminger. Idéal pour revisiter les fabuleux génériques de début qui seront nés de cette relation, mais un peu trop extérieur à Bonjour Tristesse. Le reste des bonus, ici condensés dans un module prénommé « Archives », a valeur de remplissage : deux petits instantanés du tournage d’une minute chacun (et muets en plus !), un court témoignage de Preminger en français pendant le tournage, ainsi qu’une interview d’époque de Jean Seberg par François Chalais. Ce n’est pas mal, mais on pouvait espérer mieux.

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Titre Original: BONJOUR TRISTESSE

Réalisé par: Otto Preminger

Casting : Jean Seberg, David Niven, Mylène Demongeot,

Deborah Kerr, Jean Kent, Juliette Gréco  …

Genre: Comédie dramatique, Drame

Sortie en Blu-Ray et DVD: 23 novembre 2016

Editeur: Carlotta Films

3,5 STARS TRES BIENTRÈS BIEN

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