Critiques Cinéma

RESTER VERTICAL (Critique)

2 STARS PAS GENIAL

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SYNOPSIS: Léo est à la recherche du loup sur un grand causse de Lozère lorsqu’il rencontre une bergère, Marie. Quelques mois plus tard, ils ont un enfant. En proie au baby blues, et sans aucune confiance en Léo qui s’en va et puis revient sans prévenir, elle les abandonne tous les deux. Léo se retrouve alors avec un bébé sur les bras. C’est compliqué mais au fond, il aime bien ça. Et pendant ce temps, il ne travaille pas beaucoup, il sombre peu à peu dans la misère. C’est la déchéance sociale qui le ramène vers les causses de Lozère et vers le loup.

Dans l’une des premières scènes de Rester vertical, le protagoniste – que l’on a identifié plus tôt comme scénariste – est contacté par téléphone par un producteur qui le presse au plus vite de finir le scénario qu’il lui a commandé. Bien sûr, lorsqu’on observe le type taper le script à l’ordinateur, on se rend bien compte qu’il est en train de le démarrer. Ce qu’il écrit ressemble d’ailleurs à ce que l’on vient de voir dans les scènes précédentes, mais le héros s’empresse d’effacer la ligne… Cette scène a priori anodine est quelque part la porte d’entrée la plus aisée pour rentrer dans la nouvelle fable folle d’Alain Guiraudie. Le fait de voir un film en train de s’écrire lui-même n’a rien d’une idée nouvelle – Quentin Dupieux a depuis longtemps explosé tous les standards avec ses scénarios biscornus. Chez Guiraudie, ce sentiment de mise en abyme est à la fois un problème et une façon d’expliquer ce même problème. Comme si le cinéaste tarnais, judicieusement célébré pour L’inconnu du lac trois ans plus tôt, avait tenté de revenir vers ses chroniques barrées et utopiques, mais en oubliant cette fois-ci d’en rédiger les grandes lignes. Avec la mise en abyme comme porte de sortie maladroite, il ne pouvait en résulter qu’un film déséquilibré.

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Raconter le scénario n’est pas une mince affaire, et pour cause, celui-ci était resté mystérieux avant sa projection en tout début du festival de Cannes (où le film était présenté en compétition officielle pour la Palme d’Or). En fait, le titre suffit en soi à tout expliquer : qu’importe qui est qui et qui fait quoi, il est question ici de la verticalité des humains au beau milieu de l’horizontalité des paysages. Sauf que chez Guiraudie, tout se lézarde assez vite, au point que la diagonale vient pointer son pif. Le temps d’une rencontre amoureuse entre le scénariste Léo (Damien Bonnard, presque un sosie rajeuni de Guiraudie) et la bergère Marie (India Hair, très charnelle), on se croirait carrément dans un film de Bruno Dumont : nature rugueuse, personnages qui marchent dans la nature, crudité totale des images (pubis plein écran, véritable accouchement en temps réel, etc…). Une fois le bébé arrivé, tout éclate : Marie prend la poudre d’escampette, mais Léo garde l’enfant, poursuivant sa route où il croisera trois hommes gays (un jeune voleur, un vieux râleur, un inquiétant chasseur) qui le feront douter de son désir (aime-t-il lui aussi les hommes ?). Et tiens, du coup, le titre du film n’évoquerait-il donc pas la nécessité de ne pas débander, de garder vibrant son propre désir, quel qu’il soit ?

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Sous couvert d’un gros fourre-tout que l’on jurerait autobiographique sur de nombreux points, Alain Guiraudie enfile surtout bon nombre de thèmes sociétaux en les reconnectant – comme souvent dans son cinéma – à des éléments mythologiques qui viennent lézarder le réel. De là viendront une poignée de fantaisies réjouissantes, comme cette visite chez une curieuse naturopathe (qui psychanalyse les gens en les « branchant » aux arbres par des électrodes végétales !) ou ces belles cassures narratives qui amincissent sérieusement la frontière entre rêve et réalité. Hélas, ce qui fonctionnait à plein régime dans des films comme Le roi de l’évasion ou Pas de repos pour les braves peine ici à définir un ensemble homogène, ou même hétérogène. En fin de compte, le film crée surtout la gène à force de combiner un best-of de la galaxie Guiraudie (on recroise ici tous ses précédents films) à des thèmes narratifs (paternité difficile, réflexion sur le désir, peur de la page blanche, etc…) qui s’accordent assez mal entre eux. De même que le potentiel utopique des fables bucoliques du cinéaste tangue ici vers quelque chose de malsain, en particulier lorsqu’une longue scène de sexe gérontophile et euthanasique apparait sans crier gare dans l’intrigue. On voudrait bien y voir un symbole, mais c’est davantage le sentiment de provocation malsaine qui domine.

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Le reste du film, sans être aussi cru que cette séquence, présente néanmoins un autre problème : c’est très bien de tenter le lâcher-prise (un sujet très présent dans le film) en n’ayant peur de rien (et surtout pas de casser les limites), mais encore faut-il que cet élan de liberté ne finisse pas par s’esquinter sur des terrains trop rugueux. Faut-il d’ailleurs s’étonner de ne pas se sentir ému ni concerné par le destin du protagoniste ? C’est sans doute parce que Guiraudie, soucieux de rester vertical dans son désir de cinéaste mais taraudé par une horizontalité qui le pousse à improviser la ligne narrative de son intrigue, a fini par perdre l’équilibre. Surtout quand on voit à quel point la scène finale, ouvertement présenté comme le combat métaphysique d’un homme pour sa survie et son entièreté, met surtout en avant un dialogue didactique qui se contente bêtement d’expliquer le titre du film. Ses cadres magnifiques et son sens toujours aussi affirmé du genre surmultiplié (du western au récit biblique, le film brasse large) ont beau répondre à l’appel, Guiraudie rate son pari sur plusieurs largeurs. Et ce qui aurait pu être un formidable film-somme pour son cinéaste nous laisse au final un peu trop… vertical. Avec le risque d’avoir les jambes engourdies en sortant de la salle.

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Titre Original: RESTER VERTICAL

Réalisé par: Alain Guiraudie

Casting : Damien Bonnard, India Hair, Raphaël Thiéry,

Christian Bouillette, Basile Meilleurat, Laure Calamy…

Genre: Drame

Sortie le: 24 août 2016

Distribué par: Les Films du Losange

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