Critiques Cinéma

ELLE (Critique)

4 STARS EXCELLENT

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SYNOPSIS: Michèle fait partie de ces femmes que rien ne semble atteindre. À la tête d’une grande entreprise de jeux vidéo, elle gère ses affaires comme sa vie sentimentale : d’une main de fer. Sa vie bascule lorsqu’elle est agressée chez elle par un mystérieux inconnu. Inébranlable, Michèle se met à le traquer en retour. Un jeu étrange s’installe alors entre eux. Un jeu qui, à tout instant, peut dégénérer. 

ATTENTION: Cette critique contient quelques spoilers concernant l’intrigue!

Paul Verhoeven n’a plus rien à prouver depuis longtemps. Auteur des acclamés Basic Instinct et Total Recall, le metteur en scène hollandais, dont l’ironie cinglante et le pensum subversif ont fait passer des pamphlets de la société américaine comme RoboCop ou Starship Troopers sous le vernis de «blockbuster hollywoodien», adore taper dans la fourmilière de la morale bien-pensante. Jugé trop politiquement incorrect par Hollywood à l’aube des années 2000, axé désormais sur la mise en chantier de productions mainstream plus aseptisées pour satisfaire le plus grand nombre (appât du gain), le réalisateur retourne en Europe après l’échec critique et public du pourtant chouette et sous-estimé Hollow Man, et réalise en 2006 l’un de ses meilleurs longs-métrages, le génial Black Book. Film d’espionnage audacieux et transgressif, Black Book interrogeait les spectateurs avec finesse sur l’ambiguïté des intentions de chacun durant la Seconde Guerre mondiale, tout en prenant le soin de développer une romance éblouissante car interdite et située dans ce cadre original. Véritable coup d’éclat cinématographique, Black Book marquait le grand retour du maître au bercail hollandais, après son exil hollywoodien forcé – il signa tout de même 6 longs-métrages aux Pays-Bas, son pays natal, avant de traverser l’Atlantique, en 1985, pour mettre en boîte le chef d’œuvre RoboCop.

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Aujourd’hui, du haut de ses 77 printemps, le cinéaste a choisi de poser sa caméra en France pour les besoins de Elle, adaptation très attendue du roman Oh… de Philippe Djian, qui narre l’histoire de Michèle, directrice d’une grande entreprise de jeux vidéo voyant sa vie basculer le jour où elle est agressée chez elle par un mystérieux inconnu. Elle a été présenté en compétition officielle au 69ème festival de Cannes, où il est, hélas, reparti bredouille malgré un accueil critique plus qu’enthousiaste. Un soupçon d’inquiétude planait sur Elle, première incursion française de Verhoeven. Support littéraire de qualité inégale, en dépit d’un pitch sulfureux dont on pourrait croire qu’il a spécialement été écrit pour être transposé au ciné par Verhoeven, casting happening improbable – réunion de personnalités hétéroclites du cinéma européen telles qu’Isabelle Huppert, Laurent Lafitte, Charles Berling, Virginie Efira, Christian Berkel, Anne Consigny ou encore Alice Isaaz – première bande-annonce mollassonne, laissant envisager un produit bas de gamme du dimanche soir … pourtant, nous n’avions jamais oublié qui tenait le gouvernail du navire, à savoir l’immense Paul Verhoeven. Et en effet, les craintes sont balayées en un instant, dès les premières minutes. Dès le début, les choses sont claires : ce n’est pas tant l’identité du violeur masqué de Michèle qui intéresse Verhoeven – le voile est rapidement levé, point de Cluedo ici – ni même le viol en soi. Même si cet acte immonde est explicitement montré aux spectateurs plus tard, au décours d’un flashback astucieusement mis en scène, ne pas oublier que Elle s’ouvre sur un fondu au noir, qui dévoile le viol en utilisant judicieusement le hors-champs et le montage sonore. Aucune obscénité, aucune gratuité. Le second plan, lui aussi probant, s’avère être un contre champs de l’événement, Verhoeven braquant sa caméra avec un regard sardonique sur le chat de Michèle, qui vient d’assister à l’épisode sans bouger d’un poil – élément qui fera plus tard l’objet d’un gag. L’intérêt de Verhoeven réside ailleurs, dans les conséquences immédiates de la tragédie sur le personnage (déni), dans les affects qu’éprouve Michèle à plus long terme (prise de contrôle de la situation et adaptation par l’instauration d’un jeu machiavélique et plaisant avec son bourreau), mais aussi et surtout, dans la cruauté des rapports que ce personnage entretient avec le reste du monde. Le tout filmé avec le même humour pince-sans-rire et ironique auquel Verhoeven nous a habitués depuis des lustres (le réalisateur n’a jamais caché le second degré de ses films).

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Dans l’entourage de Michèle, il y a tout d’abord Richard, l’ex époux et écrivain raté campé par un Charles Berling des grands jours (le comédien n’a jamais été aussi bien dirigé), puis Vincent, son fils qu’elle n’hésite pas à qualifier de « grand dadais sans envergure » pour lui déclarer ensuite, publiquement, que la parenté est une source infaillible de souffrance, au moment même où il s’apprête à devenir père. On retrouve également Robert, l’amant salace et compagnon de sa meilleure amie et associée Anna, mais aussi la mère de Michèle, nymphomane notoire, et enfin Patrick, le voisin tourmenté (joué par un Laurent Lafitte particulièrement bien en jambes) dont la femme Rebecca (Virginie Efira, géniale à contre-emploi) s’avère être une catho coincée. Des hommes émasculés, des femmes courageuses. Tout ce petit monde en prend pour son grade dans Elle, œuvre ambiguë et dérangeante, à la lisière entre l’excellente comédie noire, le drame social sordide et le thriller pervers. Le réalisateur, particulièrement intéressé par la force et la complexité de son héroïne, tape sur la petite bourgeoisie avec une férocité hors normes. Son style acéré, toujours aussi percutant, est évidemment présent, avec une déclinaison originale et surprenante de ses obsessions : sa verve insolente, son goût pour le risque, son envie de provoquer (la scène de masturbation avec vue sur une crèche est un bon exemple), sa violence écœurante pour dépeindre la vulnérabilité des êtres humains, mais aussi ses thématiques, articulées autour d’un propos construit et dense – exploration du côté obscur du désir féminin, aliénation de l’Homme par le pouvoir, le sexe et la religion, dénonciation du machisme, conflit entre l’homme qui se prend pour Dieu et la femme qui lui rappelle sa mortalité (souvenez-vous du climax d’Hollow Man et de la dernière tirade d’Elizabeth Shue).

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Le motif du viol, très récurrent chez Verhoeven et pas toujours bien traité hélas (cf Spetters et la fonction douteuse du viol dans le récit, qui permet de « révéler » à un personnage son orientation sexuelle), est abordé ici de manière frontale pour mieux déployer la psychologie trouble de Michèle, personnage au passé ombrageux qui passe de l’état d’Objet (et victime) à celui de Sujet, prenant totalement le contrôle de ce qu’elle subit, jusqu’à devenir une manipulatrice impitoyable. Une sorte de cousine française de Catherine Tramell (célèbre femme fatale de Basic Instinct, autre grand film de Verhoeven) en quelque sorte. A la fois douce, retorse et froide dans ses rapports à l’Autre, Michèle est un personnage inébranlable, qui n’a de cesse de fasciner. Nous aurions pu également citer la princesse de La Chair et le Sang, ou bien encore la danseuse de Showgirls comme comparaisons mais vous avez sûrement compris l’idée. Elle est un film tordu certes, mais qui joue constamment la carte de la fiction. Il n’y a qu’à voir la prestation nuancée d’Isabelle Huppert, absolument grandiose, pour s’en convaincre. La comédienne, à mille lieux de tout naturalisme, semble avoir parfaitement saisi l’intention de Verhoeven de s’éloigner de toute complaisance sexiste et de tout propos pervers sur le viol – la crainte était celle d’un discours dangereux sur ce délit mais il n’en est rien fort heureusement. On se dit cependant que le récit aurait gagné en force si le coupable avait été puni par une femme. elle verhoeven 2016 4

D’aucuns critiqueront le traitement réservé au milieu des jeux vidéo dans le film, mais on retrouve l’utilisation du mauvais goût propre à Verhoeven (rappelez-vous le Las Vegas de Showgirls ou la femme à trois seins de Total Recall) pour subvertir quelque chose, le dénoncer. Et à cet égard, on se dit qu’avoir choisi une femme comme directrice d’une agence conceptrice de jeux vidéo, industrie particulièrement réputée pour sa misogynie – fait sens dans le récit. Le seul bémol de Elle pourrait concerner sa mise en scène, assez sobre et classique, un peu dénuée de l’énergie folle d’antan. Pour autant, les idées fusent, qu’elles soient visuelles (la composition des cadres durant la scène de repas familial) ou narratives (le chat qui bouffe un moineau mort) et on pardonnerait presque à Verhoeven cette absence d’élan formaliste.  Quand on y pense, Elle n’aurait jamais pu être financé aux États-Unis – c’était l’intention initiale de Verhoeven – ne serait-ce que pour son récit, qui aurait été acceptable là-bas uniquement si le personnage de Michèle, femme violée, avait cherché à se venger par tous les moyens. Le résultat n’est que plus appréciable : « Elle » est un joyau du cinéma français comme ils se font rares de nos jours. Verhoeven adore le Festival de Cannes, et le Festival de Cannes le lui rend bien. Celui qui avait déchaîné la croisette en 1992 lorsqu’il y a présenté Basic Instinct et sa cultissime scène d’interrogatoire policier est de retour aujourd’hui en compétition, avec le surprenant et très bon Elle, Palme d’Or espérée mais n’ayant hélas pas conquis le cœur du jury présidé par George Miller.

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Titre Original: ELLE

Réalisé par: Paul Verhoeven

Casting : Isabelle Huppert, Laurent Lafitte, Virginie Efira,

Charles Berling, Anne Consigny, Alice Isaaz …

Genre: Thriller

Sortie le: 25 mai 2016

Distribué par: SBS Distribution

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