Critiques Cinéma

LA SAISON DES FEMMES (Critique)

4,5 STARS TOP NIVEAU

la saison des femmes affiche

SYNOPSIS: Inde, Etat du Gujarat, de nos jours. Dans un petit village, quatre femmes osent s’opposer aux hommes et aux traditions ancestrales qui les asservissent. Portées par leur amitié et leur désir de liberté, elles affrontent leurs démons, et rêvent d’amour et d’ailleurs. 

Il y a des films dont on ne connaît ni le metteur en scène, ni les acteurs et qui vous atteignent en plein cœur , s’imposant comme une évidence dès leur première vision. Cela tient généralement à une alchimie miraculeuse entre un casting et son sujet, à la qualité de la narration, la sincérité du propos, la mise en scène étant alors même parfois secondaire. Si chaque année, le cinéphile coche sur son agenda les dates de sortie des nouveaux films de ses réalisateurs de chevet ou de ses acteurs préférés, rien n’est plus enthousiasmant que d’être ainsi surpris en étant vierge de tout à priori,  de ne pas se dire que son avis sur le film est plus ou moins influencé par la sympathie ou l’admiration que l’on a pour untel. Ces films nous offrent de belles et de grandes émotions, nous font réfléchir, nous ouvrent de nouveaux horizons cinématographiques, nourrissent et renouvellent plus que tout autre notre passion. En 2015, Mustang  avait ainsi su séduire la critique et le public, porté par des actrices lumineuses et un sujet traité avec une sensibilité et une intelligence qui lui permettait d’avoir une portée universelle.
la saison des femmes 1

La saison des femmes, 3ème film de Leeana Yadav (Shabd en 2005, Teen Patti en 2010) réussit ce même petit miracle, en étant à la fois un film politiquement très engagé et un « feel good movie » qui ne se laisse pas écraser par son sujet, porté par une mise en scène rythmée et très inspirée offrant de vrais beaux moments de cinéma. Les personnages du film sont le fruit des rencontres faites par la réalisatrice lors de son voyage dans cette région du nord ouest de l’Inde. Elle dresse un état des lieux de la condition des femmes en Inde, à travers 4 femmes, on pourrait même dire 4 archétypes, qui sont chacune dans des situations très difficiles et représentatives du sort réservé aux femmes indiennes à différentes étapes de leur vie. Le personnage de Rani (Tannishta Chaterjee) est au coeur du récit, faisant le lien entre les trois autres femmes: ses amies Lajjo (Radhika Apte) et Bijli (Surveen Chawla) et sa belle fille Janika (Lehar Khan). Mariée à 14 ans puis devenue veuve à 16 ans, Rani s’est exclusivement consacrée à l’éducation de son fils. Vêtue entièrement de noir, elle est condamnée à porter indéfiniment le deuil d’un mari violent et à ne jamais pouvoir trouver l’amour. Elle est même obligée d’hypothéquer sa maison pour payer la dot de Janika et permettre à son fils, Gulab (Riddhi Sen), de se marier.

LA SAISON DES FEMMES 2 Leeana Yadav a choisi de localiser son récit dans une région de l’Inde où la dot doit en effet être payée par la famille du marié contrairement à ce qui est l’usage dans le reste du pays. Cette dot est parfois un motif d’extorsion et de meurtre, plusieurs milliers de femmes mourant chaque année, tuées par des maris qui essaient d’obtenir plus d’argent de leur belle famille. Le fait que le paiement de la dot soit à la charge du marié, s’il évite peut être de tels drames, n’améliore pas pour autant le sort de ces femmes et renforce même le sentiment de propriété du mari sur une épouse qu’il a achetée et qui doit quelque part « mériter » l’argent dépensé. Janika n’a le droit à aucun égard de son jeune mari, elle n’est qu’une marchandise livrée en pâture à un adolescent immature et violent qui suggérera d’ailleurs à sa mère de demander le remboursement de la dot. Si La saison des femmes est le manifeste d’une réalisatrice profondément engagée dans la lutte contre les violences faites aux femmes, il s’interroge aussi sur le sort de ces garçons qui grandissent dans une société patriarcale  où la misogynie est la norme, où les femmes sont considérées comme des objets sexuels et où la violence n’est pas seulement tolérée mais encouragée,  un homme ne gagnant le respect qu’en affichant sa force et sa virilité. On déteste Gulab tout en comprenant  qu’il ne fait que reproduire les comportements de ses aînés et qu’il serait immédiatement rejeté par ses camarades et son village s’il allait à l’encontre de la tradition, refusait ce mariage ou s’en accommodait pour traiter Janika autrement que comme une servante à laquelle il déni le droit de disposer librement de son corps. Leena Yadav prouve ainsi que sur un sujet aussi grave, on peut prendre clairement position et défendre sans ambiguïté les victimes, ne jamais excuser les auteurs  de ces violences, tout en essayant de comprendre les raisons profondes de ces drames. Elle dresse en même temps un terrifiant constat, Gulab comme ses camarades étant encore plus radicalisé que ses aînés, craignant que les femmes puissent être perverties par  l’influence grandissante d’autres cultures auxquelles  elles ont accès grâce aux livres, à la télévision et à internet.

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Lajjo subit quant à elle quotidiennement les violences de son mari qui la rend par ailleurs responsable du fait qu’ils n’arrivent pas à avoir d’enfant. La stérilité d’un homme étant non seulement tabou mais inconcevable, Lajjo est persuadée qu’elle est stérile ce qui la culpabilise et la pousse presque à excuser son mari. Le soir après avoir fait la cuisine, elle travaille pour un petit atelier de broderie, fabriquant des étoffes qui sont revendues ensuite en ville. C’est le seul moment où elle peut trouver un espace de liberté pour s’accomplir en dehors de ce rôle d’épouse asservie. Comme Rani avec une autre écriture, une autre mise en scène, ce personnage n’aurait pu n’être que douleur, qu’un archétype destiné à illustrer le propos engagé de son film. Or, comme Rani, Lajjo est lumineuse, son sourire irradie l’écran et leur amitié est extrêmement touchante. Ces deux femmes privées de douceur et de tendresse s’apportent du réconfort, ne s’apitoient pas sur leur sort et illuminent le film par leur courage et ce qui paraît au départ impensable, par leur joie de vivre. Leur amie Bijli, une danseuse itinérante revenue au village pour plusieurs représentations semble avoir réussi à s’affranchir des conventions de cette société qui marie de force ses jeunes filles et les enferme dans leur statut d’épouse soumise. Malheureusement pour acquérir cette liberté très relative, Bijli est devenue un objet sexuel, une tentatrice méprisée par les autres femmes et forcée à se prostituer pour garder les faveurs de son patron/mac. Elle déborde de sensualité dans des spectacles de danse très explicites qui sont l’occasion de numéros musicaux que l’on retrouve habituellement dans le cinéma indien. Comme pour Rani et Lajjo, Leeana Yadav oppose à la noirceur du destin de Bijli, sa joie de vivre et son énergie qui n’enlèvent rien à la force et la pertinence de son propos. On est bouleversés par ces femmes avec lesquelles on a aussi envie de rire, de danser et qui nous donnent une formidable leçon de courage.

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Si Leena Yadav emporte donc tous les suffrages par sa direction d’acteurs et la sensibilité et l’intelligence de son récit, elle n’a pas mis de côté ses ambitions de mise en scène.  Là où par exemple, le cinéma français semble considérer que seule une esthétique de film TV sied à un film engagé,  Leena Yadav permet à son film de s’élever grâce à une mise en scène particulièrement soignée, les scènes nocturnes étant notamment superbement filmées et bénéficiant du savoir faire d’un très grand directeur photo, Russell Carpenter (Hard Target, Titanic, True Lies et plus récemment Ant Man). La saison des femmes n’est pas qu’un film très fort, courageux et nécessaire sur un sujet aussi lourd que la condition des femmes en Inde, c’est un grand film lumineux et débordant de vie qui ne vous quitte pas à la fin de la séance et vous laisse dans un drôle d’état, entre le rire et les larmes.

la saison des femmes affiche

Titre Original: PARCHED

Réalisé par: Leeana Yadav

Casting :  Tannishtha Chatterjee, Radhika Apte, Surveen Chawla,

Lehar Khan, Riddhi Sen, Mahesh Balraj  …

Genre: Drame

Sortie le: 20 avril 2016

Distribué par: Pyramide Distribution

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