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SYNOPSIS : Le réalisateur oscarisé Guillermo del Toro adapte le roman classique de Mary Shelley sur Victor Frankenstein, un scientifique brillant mais égocentrique qui donne vie à une créature lors d’une expérience monstrueuse, menant finalement à la perte du créateur comme de sa tragique création.
Frankenstein de Guillermo del Toro (Le Labyrinthe de Pan) est une œuvre fascinante, pleine d’ambition, d’amour pour la matière, le mythe et la monstruosité — mais qui, paradoxalement, nous a laissé un peu à distance. C’est une adaptation attendue, rêvée, presque mythologique en soi : celle d’un cinéaste hanté depuis l’enfance par la créature de Mary Shelley, et qui, après des décennies de maturation, parvient enfin à lui donner chair. Depuis 2007, Guillermo del Toro confiait son désir d’adapter Frankenstein ou le Prométhée moderne (1818), roman qu’il qualifiait d' »œuvre fondatrice, presque sacrée« . Grâce au partenariat avec Netflix, il a pu mener à bien cette ambition, avec une liberté artistique totale. On comprend très vite, à la vision du film, que cette liberté a été pleinement investie : le réalisateur y fait converger son imaginaire le plus intime, son goût du détail artisanal, et sa mélancolie spirituelle. Il a souvent dit qu’il « avait vécu avec la créature de Shelley toute sa vie » ; il la chante ici « dans une autre tonalité« . Ce n’est donc pas tant une adaptation qu’une relecture : une transmutation du mythe à travers le prisme d’un auteur pour qui la monstruosité n’est jamais une difformité, mais une forme supérieure de sensibilité.

Le film s’ancre dans un héritage multiple. L’influence première est évidemment le roman, mais Del Toro déplace l’action vers les années 1850, en pleine ère victorienne. Ce choix, subtil mais décisif, renforce le contraste entre la froideur scientifique et la ferveur romantique. Ce Frankenstein n’est pas un récit gothique au sens strict, mais une méditation sur la création, la filiation et la solitude. Il convoque à la fois James Whale (dans Frankenstein, 1931) et les propres obsessions de son auteur : on retrouve les motifs du double, de l’innocence bafouée et du refuge impossible, déjà présents dans Le Labyrinthe de Pan, L’Échine du Diable ou La Forme de l’eau. Cette continuité est frappante : comme dans ces films, Del Toro s’attache à sonder la frontière ténue entre horreur et compassion, entre beauté et abjection. Mais ici, il pousse cette dialectique à son point de rupture : la créature n’est plus un monstre, mais une victime, une âme pure exilée dans un corps imparfait. Le résultat est à la fois cohérent avec l’œuvre de son auteur et paradoxalement moins bouleversant que prévu : en humanisant à l’excès la créature, Del Toro gomme peut-être un peu trop sa part d’effroi. Visuellement, le film est une fresque gothique d’une splendeur indéniable. Chaque couture, chaque morceau de chair semble respirer ; on sent la main d’un artisan amoureux de la matière. Guillermo Del Toro reste fidèle à sa méthode : il privilégie les effets pratiques, les décors réels, la lumière naturelle. Dan Lausten (déjà directeur de la photographie sur Crimson Peak) opte pour une texture quasi picturale. Pourtant, malgré cette attention admirable, une forme de froideur s’installe : la désaturation numérique et la netteté trop lisse de l’image confèrent parfois au film un aspect légèrement télévisuel . Ce constat est d’autant plus troublant que Crimson Peak, avec les mêmes partis pris visuels, ne souffrait pas de cette impression : il y avait là une flamboyance baroque, un excès de couleur et de contraste qui transcendaient la reconstitution. Frankenstein, lui, est d’une beauté figée, presque trop sage ; il est splendide, mais rarement envoûtant. C’est un paradoxe : jamais Del Toro n’a semblé autant en contrôle de son univers, et jamais ce contrôle ne s’est révélé aussi étouffant. Les décors de Tamara Deverell (déjà remarquable sur Nightmare Alley) jouent un rôle essentiel. Le laboratoire de Victor est conçu comme un organisme vivant : chaque surface respire, chaque machine palpite. Le film donne parfois l’impression d’être un musée de la folie romantique et cette perfection artisanale influe sur la mise en scène elle-même. Del Toro multiplie les plans larges pour valoriser ses décors — au risque de désincarner ses personnages. On sent par moments que le réalisateur consacre plus d’attention à la texture de ses environnements qu’à la psychologie qu’ils sont censés abriter. Cette tension entre forme et chair, entre architecture et âme, crée une légère distance émotionnelle. Le spectateur admire sans toujours vibrer. Ces partis pris esthétiques, comme ces décors aseptisés, nuisent malheureusement à l’immersion. Leur perfection artificielle et cet aspect trop propre, qui évoque parfois un plateau de tournage, créent une distance avec l’univers du film et empêchent de s’y investir pleinement.

Alors que Pacific Rim ou Hellboy (2004) jouaient avec les codes du grand spectacle, del Toro renoue ici avec la fibre intime de ses œuvres espagnoles. Le prologue, spectaculaire — une attaque du bateau pris dans les glaces où la Créature sème la panique — est trompeur , il laisse croire à un « monster movie » classique mais le cinéaste bifurque aussitôt vers un drame psychologique : un récit d’âmes blessées plus qu’un film de monstres. Le cœur du film, c’est la relation entre le créateur et sa création, entre le père et le fils. Guillermo Del Toro structure son adaptation autour d’une métaphore limpide : celle des traumatismes transmis de génération en génération. Victor Frankenstein, victime d’un père froid et brutal, reproduit sans s’en rendre compte ce cycle de négligence et de cruauté ; il engendre un enfant qu’il rejette aussitôt. Le monstre devient ainsi la manifestation physique de cette violence héréditaire. Le film questionne : peut-on briser la malédiction de la filiation ? Peut-on être le père qu’on n’a pas eu ? Oscar Isaac (Sucker Punch) incarne Victor Frankenstein avec une maîtrise remarquable, livrant une interprétation fascinante. On perçoit chez lui cette ambiguïté rare, ce mélange de séduction aristocratique et d’inquiétude permanente, qui trouve ici son expression la plus juste. Le film traduit avec une force particulière l’idée que Victor était entièrement concentré sur l’acte de création lui-même, ivre de sa propre puissance, sans avoir le moindrement anticipé les conséquences ni su quoi faire de sa Créature une fois celle-ci animée. Cette interprétation de l’aveuglement du savant, plus marquée et explicite que dans beaucoup d’autres adaptations, est magnifiquement portée par le jeu de Isaac, qui incarne un Victor tourmenté, à la fois arrogant et vulnérable, dévoré par son propre hubris – un orgueil tragique, presque métaphysique. Ce n’est ni un savant fou stéréotypé ni un romantique martyr, mais un mélange instable des deux, un homme que son ambition transforme en figure mythologique. Isaac rend palpable la lutte intérieure entre raison et délire, entre tendresse et cruauté, jouant cette ambivalence avec une noblesse troublante. Del Toro choisit d’ailleurs de figer son arc pour mieux en faire un Prométhée moderne, un « père » tragique incapable d’aimer son enfant autrement qu’en le façonnant à son image, condamné à contempler son œuvre dans la souffrance. Face à lui, Jacob Elordi (Euphoria), dans le rôle de la Créature, offre un contrepoint émouvant. Loin du monstre grotesque, il incarne une forme d’innocence perdue, un être d’une sensibilité douloureuse, un personnage plus proche d’Eward Scissorhands que de Boris Karloff. Sa stature élancée et son visage mélancolique composent une figure d’ange déchu : une « statue de chair », comme le décrit Del Toro lui-même. Ce choix esthétique et dramatique est audacieux : il déplace totalement le centre de gravité du mythe. La Créature n’effraie plus ; elle émeut. Pourtant, c’est aussi là que réside une certaine limite : à force de la réhabiliter, le film lui retire une part de sa puissance tragique. Là où le roman de Shelley faisait du monstre un être ambigu, à la fois victime et bourreau, Del Toro en fait une figure quasi christique, entièrement innocente. Ce déséquilibre affaiblit la tension dramatique : il n’y a plus de lutte morale, plus de peur, seulement de la compassion. Mia Goth (Pearl), dans le rôle d’Elizabeth, incarne quant à elle une douceur presque éthérée. Mais le film ne tire pas pleinement parti de la personnalité si singulière de la comédienne. En la cantonnant à une figure d’ingénue, Del Toro réduit son potentiel de trouble. Ici, cette dimension se dissout dans un romantisme un peu convenu. Sur le plan plastique, les effets de maquillage sont superbes : la peau de la créature, constellée de sutures translucides, évoque la précision anatomique d’un tableau de Rembrandt. Le design, toutefois, prend le contre-pied des représentations traditionnelles : Del Toro refuse le grotesque. Sa créature ressemble davantage à un Dr. Manhattan suturé qu’à l’épouvantail articulé des versions classiques. Cette beauté étrange, presque trop propre, éloigne le film du domaine de l’horreur pour le rapprocher de la fable métaphysique.

Narrativement, del Toro opte pour une structure en deux actes : le récit du créateur puis celui de la création. Ce découpage renforce la symétrie tragique entre les deux personnages, mais au prix d’un rythme étale : le film ne connaît ni crescendo ni véritable tension. On assiste à une suite d’événements où la tension ne monte jamais vraiment, admirable dans son intention, mais qui finit par émousser l’émotion. Del Toro revendique cette temporalité organique : son montage épouse la respiration du récit, la lente gestation d’une conscience. Mais cette lenteur lui retire aussi l’énergie dramatique que portait le texte de Shelley. La musique d’Alexandre Desplat (The Shape of Water), bien que techniquement irréprochable, participe à cette impression de classicisme un peu trop policé. Le compositeur, sans doute maître dans l’art de l’orchestration, ne nous a jamais convaincu dans ses travaux hollywoodiens, il livre ici une partition académique et lisse : des nappes de cordes somptueuses, un lyrisme discret, mais aucune véritable audace. Ce score agit comme une couverture, étouffant la matière brute du film sous un vernis symphonique qui peine à susciter l’émotion viscérale ou la peur primitive qu’un Bernard Herrmann (Psychose) aurait insufflées. Une séquence fait pourtant exception : celle de l’assemblage de la Créature, où une musique joyeuse et presque dansante crée un contraste saisissant avec les images sanglantes. Ce contrepoint inattendu, à la fois ironique et macabre, fonctionne admirablement et révèle par son audace ce que le reste de la bande originale n’ose pas : une véritable folie créative. On ne peut que regretter que cette inspiration ne soit pas plus présente ailleurs. Thématiquement, Frankenstein s’inscrit dans la continuité des obsessions deltoriennes. Comme dans Le Labyrinthe de Pan ou L’Échine du Diable, le film interroge la transmission des traumatismes. Del Toro transforme le mythe de Shelley en une fable sur la parentalité toxique. Victor Frankenstein devient le produit d’un père maltraitant (un Charles Dance glaçant comme à son habitude), incapable d’aimer, il répète le cycle de la violence en créant un enfant qu’il abandonne aussitôt. La Créature, innocente au départ, devient à son tour l’écho de cette chaîne héréditaire. Le film interroge ainsi la possibilité de briser la malédiction : peut-on réparer ce que l’on a détruit ? Peut-on aimer ce que l’on a fabriqué ? Cette lecture freudienne du mythe, quoique moins subversive que celle de Shelley, donne au film sa cohérence émotionnelle. La conclusion diffère notablement du roman : la Créature, au lieu de disparaître dans la glace, survit. Elle pardonne à son créateur, qui meurt en la reconnaissant enfin comme son fils. La dernière image — la créature exposant son visage au soleil — fait écho aux premiers mots de Victor : « Expose-toi au soleil, le soleil est la vie. » Ce geste, simple et beau, ferme la boucle : le fils accepte l’héritage du père tout en s’en libérant. C’est une fin typiquement del Toro : celle de la rédemption par la lumière, du monstre qui trouve enfin sa place dans le monde. Pourtant, malgré la cohérence de cette trajectoire, quelque chose manque. Le film semble parfois hésiter entre la tragédie et la parabole. Là où le roman de Mary Shelley posait la question de la responsabilité morale de la science, Del Toro choisit celle de la guérison émotionnelle. Le problème, c’est que cette transposition adoucit le conflit : Victor n’est plus un démiurge terrifiant, mais un enfant blessé ; la Créature n’est plus un monstre, mais un martyr. En retirant à son récit la dimension de l’effroi, Del Toro en atténue la puissance mythique, il veut réhabiliter les monstres, mais en les rendant trop humains, il les prive de leur mystère. On ressort de Frankenstein partagé : ébloui par la maîtrise plastique, touché par la sincérité, admiratif de la cohérence, mais frustré par l’absence de vertige. Tout est à sa place, tout est pensé, mais rien ne déborde. Ce n’est pas un échec — loin de là : c’est une œuvre d’une grande beauté, d’une rare intégrité. Mais c’est un film qui se regarde plus qu’il ne se ressent et qui, à force de délicatesse, oublie d’effrayer. C’est la démonstration magistrale d’un artiste abouti, peut-être trop conscient de son propre style, dont la main, autrefois trempée dans la boue et le sang, porte désormais des gants de velours. L’amour pour le mythe est palpable à chaque plan, mais cet amour même semble avoir poli les aspérités qui en faisait toute la force tragique et toute l’ambiguïté philosophique. On assiste à un opéra gothique magnifiquement chorégraphié, où chaque élément – du jeu d’acteur à la conception des décors en passant par la partition musicale – répond à une vision parfaitement maîtrisée. Cette maîtrise, pourtant, finit par construire une barrière invisible entre l’écran et le spectateur. La terreur métaphysique, l’horreur face à l’acte blasphématoire de la création, cèdent la place à une mélancolie élégiaque. Guillermo del Toro nous offre un Frankenstein qui est un musée des merveilles, une cathédrale dédiée à ses monstres bien-aimés, mais on en sort avec la nostalgie du chaos et de cette peur primitive qui habitait encore les recoins sombres du Labyrinthe de Pan. Conclusion : Le Frankenstein de Guillermo del Toro est une œuvre admirable dans son ambition et sa cohérence esthétique, mais qui pêche par un excès de maîtrise. La beauté formelle, les performances convaincantes et la vision humanisante du mythe témoignent d’un artiste au sommet de sa technique. Pourtant, cette perfection même aseptise le récit, gommant l’horreur viscérale et l’ambiguïté morale au profit d’une fable mélancolique trop policée et perd de la force tragique et de l’ambiguïté morale du roman de Mary Shelley. On ressort du film avec le sentiment d’avoir contemplé un chef-d’œuvre technique, mais sans avoir été véritablement ému ou troublé.

Titre Original: FRANKENSTEIN
Réalisé par: Guillermo del Toro
Casting : Oscar Isaac, Jacob Elordi, Mia Goth .…
Genre: Drame, Epouvante-Horreur, Science fiction
Sortie le : 07 novembre 2025
Distribué par: Netflix France

BIEN
Catégories :Critiques Cinéma, Les années 2020









































































































































Comme d’habitude avec les films Netflix. Je ne perds plus mon temps à les regarder