Critiques Cinéma

PLAY DIRTY (Critique)

SYNOPSIS : Parker, accompagné de Grofield, Zen et d’une équipe chevronnée, tombe par hasard sur un butin qui les met en conflit avec la mafia new-yorkaise, dans cette aventure audacieuse et pleine de malice.

Inspiré par l’univers implacable et sans concession des romans Parker de Donald E. Westlake (signant sous le pseudonyme de Richard Stark), ce thriller de casse marque le retour de Shane Black. Le réalisateur orchestre une rencontre explosive entre la dureté méthodique de sa source d’inspiration et sa verve cynique, si particulière. Porté par Mark Wahlberg, qui endosse le rôle iconique de Parker, et entouré d’une distribution éclectique – LaKeith Stanfield, Rosa Salazar, Nat Wolff, Tony Shalhoub, Thomas Jane et Chukwudi Iwuji –, le film navigue habilement entre la tradition pulp des polars classiques et une modernité désenchantée. Malgré quelques effets numériques qui viennent parfois entacher l’immersion Play Dirty réaffirme la maîtrise narrative de Black et son attrait intact pour les antihéros mus par un code moral rigide, au cœur d’un monde corrompu et chaotique. Un plaisir malgré ses défauts – le retour de Shane Black, c’est toujours un événement dans ce dojo ! Le projet Play Dirty est né d’une ambition de longue date pour Shane Black : adapter l’une des figures les plus marquantes du roman noir américain. Parker n’est pas un héros conventionnel, mais un professionnel du crime sans remords, mû par un pragmatisme glacial. Son aura tient à son éthique de l’efficacité absolue et à sa détermination impitoyable à châtier ceux qui le trahissent, sans jamais céder au sentimentalisme. Ce personnage a déjà été incarné à l’écran par des acteurs à la présence physique et morale saisissante : Lee Marvin dans l’austère et hypnotique Point Blank (1967) de John Boorman, où Parker incarne une machine de vengeance ; Mel Gibson dans le plus stylisé et mélancolique Payback (1999) de Brian Helgeland, qui insuffle au rôle une nervosité chaotique et un humour noir ; ou encore Jason Statham dans l’adaptation plus littérale Parker (2013) de Taylor Hackford, axée sur la brutalité physique. Shane Black, épaulé des scénaristes Charles Mondry et Anthony Bagarozzi, a choisi de ne pas transposer un roman spécifique, mais de puiser dans la mythologie du personnage pour créer une histoire originale. Cette approche lui permet d’allier la froideur implacable de Parker à sa signature personnelle : humour acerbe, humanité en filigrane et dialogues ciselés. Initialement, c’est son complice et ami de longue date Robert Downey Jr. qui devait incarner Parker, après leurs collaborations sur Kiss Kiss Bang Bang (2005) et Iron Man 3. Son retrait pour des raisons d’agenda – bien qu’il reste producteur – a finalement conduit à l’arrivée de Mark Wahlberg, modifiant en profondeur l’interprétation du rôle. Là où Downey Jr. aurait apporté une ironie sophistiquée, Wahlberg impose une physicalité brute, une présence plus terne et une dureté concrète, s’éloignant de la dangerosité glaciale de Marvin comme de la nervosité explosive de Gibson. Son Parker en devient plus faillible, et presque plus « héroïque » dans son adhésion inflexible à ses propres règles.

Pour Shane Black, Parker s’inscrit naturellement dans la lignée de ses antihéros récurrents, ces « durs à cuire blessés » qu’il explore depuis le scénario fondateur de L’Arme fatale. Qu’il s’agisse de Martin Riggs, de Harry Lockhart dans Kiss Kiss Bang Bang ou de Holland March dans The Nice Guys (2016), Black aime ces figures cyniques et lucides, ayant côtoyé le pire de l’humanité mais qui, souvent malgré elles, préservent un code personnel fait de loyauté, d’honneur ou de vengeance. Play Dirty représente un retour, selon Black lui-même, à l’esprit pulp des thrillers des années 70, où le crime était affaire de professionnels impitoyables, loin du spectaculaire high-tech des blockbusters contemporains. Il renoue ainsi avec les racines morales et humaines du polar de casse, privilégiant la tension psychologique aux excès pyrotechniques. Une volonté de retour aux sources qui s’incarne dans les motifs récurrents de l’univers Black, tout en s’adaptant à la noirceur particulière des romans de Stark. On retrouve ainsi le cadre festif de Noël, qui crée un contraste grinçant entre la violence crue et le vernis joyeux de la saison. Présent dès L’Arme fatale et jusqu’à The Nice Guys, ce motif est central dans Play Dirty : guirlandes scintillantes, chants de Noël en fond sonore et flocons tombant sur des scènes de fusillade servent de toile de fond ironique aux trahisons et embuscades. Cette juxtaposition renforce le cynisme du récit, faisant des fêtes le symbole d’une hypocrisie sociale où la joie apparente dissimule corruption et brutalité. L’esthétique néo-noir imprègne également le film, avec des paysages urbains nocturnes et hivernaux évoquant Au revoir à jamais (1996) – un dédale de béton froid, de néons humides et d’ombres menaçantes, propice aux embuscades et aux poursuites. Fidèle à sa marque de fabrique, le film s’appuie sur des dialogues vifs, incisifs et constamment teintés d’humour noir, qui ponctuent les moments de tension sans altérer la dureté des personnages. Enfin, Black soigne ses antagonistes, leur donnant des attributs reconnaissables – catogans, chaînes en or clinquantes, costumes voyants – qui confèrent une dimension pulp et stylisée à la menace, dans la lignée des méchants de The Last Boy Scout (1991) ou de L’Arme fatale 2 (1989). Comparé à Kiss Kiss Bang Bang ou The Nice Guys, où l’humour exubérant et l’énergie comique frôlent parfois la parodie, Play Dirty adopte une tonalité plus sèche et grave. Le cynisme de Parker l’emporte sur le sarcasme ludique, rendant l’humour moins présent. Cette évolution s’explique par la nature même des romans de Stark, dépourvus de toute légèreté, centrés sur une efficacité brutale et une moralité ambiguë. Là où L’Arme fatale explorait la loyauté à travers le duo Riggs-Murtaugh et une rédemption par l’amitié, Play Dirty aborde la trahison avec une intensité plus froide et solitaire. La rédemption, thème sous-jacent chez Black, y semble plus lointaine et incertaine. Et contrairement à The Predator (2018), décevant par son ton inégal et son action chaotique, Play Dirty évite les écueils du blockbuster moderne pour privilégier un thriller d’action où la violence est expressive bien plus que spectaculaire.

L’interprétation de Mark Wahlberg en Parker constitue la pierre angulaire du film. L’acteur privilégie l’intériorisation et le pragmatisme, s’éloignant de la figure classique de l’action-hero. Son Parker est taciturne, observateur, et n’agit que selon une logique d’efficacité glaciale. Il incarne un homme sans illusions, dont le seul luxe émotionnel réside dans le respect absolu de son code moral. En contrepoint, le personnage de Grofield, interprété par LaKeith Stanfield, peine à trouver sa place. Le jeu trop détaché de Stanfield ne permet pas de créer la friction ni la complicité forcée nécessaires à l’alchimie du duo, pourtant moteur dramatique essentiel des œuvres de Shane Black. L’idée d’un criminel-comédien adepte de la méthode était prometteuse, mais elle n’est jamais pleinement exploitée. Heureusement, les seconds rôles enrichissent considérablement le récit, composant une galerie de caractères bien campés. Tony Shalhoub (Pain and Gain), en chef mafieux, excelle dans l’incarnation d’une figure à la fois raffinée et brutale. Thomas Jane, en partenaire fiable mais tragique, apporte une présence solide et désabusée, typique des figures vouées au sacrifice chez Black. Chukwudi Iwuji (Guardians of the Galaxy Vol.3)et Nat Wolff incarnent respectivement la corruption des élites et la nouvelle génération de criminels opportunistes, ajoutant des strates de cynisme intergénérationnel. Rosa Salazar (Battle Angel Alita) bien que physiquement investie dans un rôle partagé entre loyauté et manipulation, manque peut-être de densité pour donner tout son poids au dilemme moral de son personnage. Sa connexion avec Wahlberg n’est pas assez forte pour conférer le poids dramatique nécessaire aux décisions finales de Parker, ce qui affaiblit légèrement l’arc émotionnel, pourtant central dans les thématiques de trahison chères à Stark. L’un des aspects les plus réussis du film est son générique d’ouverture, conçu par le légendaire Danny Kleinman – dont le travail sur les James Bond prenant la relève de Maurice Binder à partir de GoldenEye (1995) ont définit l’identité visuelle de la franchise pendant des décennies – est synonyme d’élégance graphique. Play Dirty adopte une structure bondienne, avec une séquence d’action pré-générique suivie d’une animation au style rétro. Véritable prélude visuel, le générique s’inspire des affiches de films de crime des années 70 et de l’esthétique pop-art, utilisant des silhouettes stylisées, des jeux d’ombres dramatiques et des couleurs primaires (rouge sang, noir profond, or clinquant). Ces images fonctionnent comme des métaphores des thèmes du film : la trahison symbolisée par des ombres qui se retournent, le casse par des formes qui s’emboîtent et se défont. Ce séquençage définit immédiatement le ton néo-noir et pulp voulu par Black, servant de contrat stylistique avec le spectateur.

Sur le plan technique, Play Dirty témoigne d’un artisanat solide, même si certains choix modernes viennent parfois en altérer l’immersion. Shane Black retrouve son directeur de la photographie de The Nice Guys le frenchie Philippe Rousselot, dont le travail confère au film une texture visuelle dense, jouant sur les ombres profondes, les contrastes marqués et les reflets métalliques pour capturer l’essence hivernale et urbaine du récit. Cette approche vise à restituer la rugosité du cinéma des années 70, faisant de la ville un labyrinthe oppressant de ruelles sombres et de néons vacillants, miroir de la corruption des protagonistes. Cependant, cette ambition est parfois compromise par des effets numériques trop envahissants et insuffisamment aboutis, qui privent certaines scènes de l’authenticité organique des films noirs classiques qu’il cite en référence. Ces accrocs numériques rappellent les limites des productions contemporaines, où le budget CGI peut parfois diluer l’authenticité visuelle au profit d’une spectacularisation artificielle. Le montage, confié à Joel Negron et Jeffrey Ford – ce dernier ayant notamment travaillé sur Iron Man 3 (déjà avec Black), Captain America : Le Soldat de l’Hiver et Avengers : Endgame –, est d’une fluidité exemplaire. Alliant rythme jazzy et clarté narrative, il alterne avec précision entre planification méthodique et éclats de violence. Contrairement aux tendances modernes du montage, Black privilégie une approche classique, montrant les gestes dans le détail et la logique des enchaînements, afin de maintenir une parfaite lisibilité. Cette lisibilité des séquences d’action est l’une des forces du film, et elle reflète directement les leçons que Black a retenues de ses collaborations avec des réalisateurs comme Richard Donner et Tony Scott. Avec Donner sur L’Arme fatale, Black a appris l’importance d’une action ancrée dans les personnages, où chaque fusillade ou poursuite sert à révéler des traits psychologiques plutôt qu’à accumuler des explosions gratuites – une leçon qui se traduit dans Play Dirty par des scènes comme le braquage ferroviaire, inventive et tendue, où la chorégraphie des mouvements est claire, permettant au public de suivre la logique stratégique de Parker sans être submergé. De même, sa collaboration avec Tony Scott sur The Last Boy Scout lui a enseigné à infuser l’action d’un style visuel dynamique mais lisible, avec des coupes précises qui maintiennent le suspense sans sacrifier la compréhension narrative. Dans Play Dirty, ces influences se manifestent dans des séquences inventives comme les embuscades nocturnes ou les confrontations physiques, où l’action est rythmée par des pauses stratégiques pour les dialogues cyniques. Ces leçons, issues de ces partenariats emblématiques des années 80 et 90, permettent à Black de contrer les excès du cinéma d’action contemporain, en privilégiant une inventivité narrative sur la surenchère visuelle. Enfin, la musique est signée par Alan Silvestri (Predator, Retour vers le futur), un compositeur dont le style orchestral et rythmique se marie parfaitement à l’univers du film noir contemporain. Sa partition est à contre-courant des productions actuelles, souvent dominées par des scores électroniques anonymes : Silvestri propose un score hybride, avec des thèmes principaux jazzy et syncopés pour les phases de planification criminelle, des percussions tendues et des cordes dissonantes pour le suspense croissant, et des cuivres puissants accompagnés de guitares électriques pour les moments d’action. Il intègre aussi des sonorités de Noël subtiles – des clochettes lointaines ou des mélodies festives déformées – comme un clin d’œil thématique qui renforce le contraste entre la violence impitoyable et l’atmosphère hypocrite des fêtes, amplifiant le cynisme de Black. Play Dirty représente ainsi un retour aux fondamentaux pour Shane Black : un polar nerveux, intelligemment écrit, où les thèmes qui lui sont chers – loyauté, trahison, rédemption incertaine – épousent la noirceur de l’univers de Richard Stark. Le film ne révolutionne pas le genre, mais s’impose comme un retour bienvenu à un cinéma d’action « à l’ancienne », où l’écriture et la densité des personnages priment sur le spectacle pur. Malgré des effets numériques parfois intrusifs, le divertissement est au rendez-vous : les dialogues claquent, l’action est tendue et le rythme, porté par un montage exemplaire qui reste soutenu sans s’essouffler. On ne va pas se mentir, avec Play Dirty, Shane Black ne signe pas son meilleur film – il n’atteint pas l’excellence d’un Kiss Kiss Bang Bang ou d’un The Nice Guys ni l’intensité de ses grands scripts comme Lethal Weapon ou The Last Boy Scout, mais les inconditionnels du réalisateur retrouveront immédiatement sa patte : des dialogues qui claquent, pleins d’humour noir et de joutes verbales savoureuses, un rythme absolument trépidant et une galerie de personnages hauts en couleur évoluant dans un univers criminel décalé. Le divertissement est au rendez-vous, sans temps mort, de la première à la dernière minute. Shane Black mineur, donc, mais Shane Black quand même !

Titre Original: PLAY DIRTY

Réalisé par: Shane Black

Casting : Mark Wahlberg, Lakeith Stanfield, Rosa Salazar …

Genre: Action, Thriller

Sortie le: 1er octobre 2025

Distribué par: Prime Video

TRÈS BIEN

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