Critiques Cinéma

SIRĀT (Critique)

SYNOPSIS : Au cœur des montagnes du sud du Maroc, Luis, accompagné de son fils Estéban, recherche sa fille aînée qui a disparu. Ils rallient un groupe de ravers en route vers une énième fête dans les profondeurs du désert. Ils s’enfoncent dans l’immensité brûlante d’un miroir de sable qui les confronte à leurs propres limites.

Électrochoc de la dernière compétition cannoise, le nouveau film du cinéaste franco-espagnol Óliver Laxe pose ses caissons de basse dans les salles françaises. On monte le son, on met nos ceintures et on suit le convoi, car ce Sirāt a de sacrées tendances instables qui mènent cette expérience vers les recoins les plus sombres de la psyché humaine. Le film suit Luis (sensationnel Sergi Lopez), un père de famille qui prend la route à travers le désert marocain en compagnie de son jeune fils. Son objectif : retrouver sa fille, dont ils sont sans nouvelles depuis quelques semaines maintenant, et dont ils connaissent seulement son attirance pour les raves locales. Alors qu’ils accompagnent un petit groupe de fêtards qui les emmènent vers une rave ultra-select plus profond dans le désert, une série d’évènements impensables vont créer la confusion et pousser nos personnages à lutter pour leur salut.

Comme un objet saisissant à la forme aussi radicale que fascinante, Sirāt pose dès son ouverture son propre rythme : celui de la musique qui fera vibrer les enceintes du cinéma pendant toute sa durée. On se voit vite secoués par les « boum boum » de la composition tranchante de Kangding Ray – et l’on comprend dès lors que cette plongée à ciel ouvert dans le monde viscéral de la rave party prendra des airs transcendantaux. Monté sur secteur, Sirāt est une bombe à retardement électrique, à la nervosité prête à exploser à chaque instant dans un chaos général laissant sur le bord de la route les schémas narratifs classiques. Laxe monte sa propre tambouille, aussi givrée qu’un brin prétentieuse, amenant ses personnages à traverser par convoi le désert caniculaire marocain au grès du bruit du vent, de la musique techno et des émotions brutes de ses protagonistes.

Ce qui aurait pu se transformer en une nouvelle version électronique du Salaire de la Peur prend alors – curieusement – des airs de préquel fumé de Mad Max où l’Australie primale se serait soustraite à l’environnement des ravers en recherche de transcendance par la musique. La tournure des évènements, par nature profondément imprévisibles car sans aucune logique propre (tout paraît purement gratuit dans ce que la vie porte de chaos, de tragédies et de coups du sort), plonge alors le film dans sa raison d’exister : toucher à la spiritualité en filmant des âmes de passage dans un espace pensé entre le monde des vivants et le monde des morts. Le texte introductif nous l’indique : dans le Coran, le pont al-sirat correspond au passage où les âmes sont jugées pour leurs bonnes et mauvaises actions avant de rejoindre le paradis ou l’enfer. Nos personnages font alors figure de symboles, des fantômes ni vivants ni morts qui se meuvent à travers un paysage désertique abandonné par l’être humain, et où leur salut se retrouve à la merci du hasard.

Óliver Laxe compose alors un récit tétanisant, à l’efficacité remarquable ayant parfois tendance à cacher une certaine pauvreté narrative mais qui parvient surtout à construire une expérience aussi hypnotique qu’électrochoc. Sirāt compose un road-movie expérimental calibré pour faire voyager son spectateur hors d’une quelconque zone de confort, prétexte pour s’offrir une navigation philosophique parfois trop nihiliste pour son propre intérêt – le film semble presque s’annihiler tout seul dans ses embouchures, témoin de ses qualités techniques rares autant que de son rejet latent de toute forme de classicisme. Volontairement peu accessible et mal aimable, Sirāt s’impose in fine comme une saisissante transcendance techno-zinzin qui secoue par ses impulsions radicales, et qui dégage derrière son impénétrabilité une approche existentielle bien plus nuancée que ce que l’on en aurait pensé – car le film se montre excellente toile de fond pour spectateurs en recherche de canevas dans lequel projeter ses angoisses.


Titre Original: SIRĀT

Réalisé par: Óliver Laxe

Casting : Sergi López, Bruno Núñez Arjona, Richard Bellamy …

Genre: Drame

Sortie le: 10 septembre 2025

Distribué par: Pyramide distribution

 TRÈS BIEN

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