Critiques Cinéma

LE VIEUX FUSIL (Critique)

Montauban, 1944. Le chirurgien Julien Dandieu y mène une vie paisible avec sa femme, Clara, et leur fille Florence. Cependant, l’invasion allemande ne peut le laisser indifférent : préférant les savoir éloignées des tourments de cette guerre, Julien demande à son ami François de les conduire à la campagne, où cette famille possède un château. Une semaine plus tard, ne supportant plus l’absence des siens, Julien rejoint sa famille pour découvrir, avec effroi, que les Allemands ont déjà semé la terreur dans le village.

Ce qui est le plus terrible dans le film de Roberto Enrico est qu’il est librement inspiré des évènements tragiques d’Oradour-sur-Glane. En effet, durant le mois de juin 1944, la division panzer SS a été renvoyée en renfort en Normandie : harcelée tout le long par les maquisards, ces allemands ont pris leur vengeance sur une petite commune, l’Oradour-sur-Glane, où la présence de ces maquisards leur avait été signalée : ils ont alors organisé leur « expédition punitive ». Julien Dandieu qui pensait mettre sa famille à l’abri va ainsi l’envoyer à l’abattoir. Le « tout ira bien » de Clara quand son mari les dépose déchire nos cœurs. Dès le générique de début et les premières images, le drame vient se nouer, dans un horrifique contraste. Une musique badine qui donne envie de sortir le dimanche à la campagne, une famille à vélo, le chien qui court avec eux, un pull sur les épaules, une certaine idée du bonheur. Alors que la suite ne sera qu’enfer pour toute cette famille. Par extrapolation, c’est bien sûr les atroces souffrances et multiples inconsolables deuils de toutes les nations en guerre. Le vieux fusil va alors devenir comme une démonstration parfois au bord de l’insoutenable, mais indispensable tout autant au septième art qu’au devoir de mémoire. C’est pour toutes ces raisons, mais également car Le vieux fusil est un grand film de cinéma, avec une immense mise en scène, qui vient servir une histoire nous clouant au fauteuil, qu’il va récolter 3 César en cette année 1975, celui du meilleur acteur pour Philippe Noiret, de la meilleure musique pour François de Roubaix, et consécration des consécrations avec la légitime statuette du meilleur film. Dix ans après, en 1985, c’est même un César des Césars qui va venir honorer Le vieux fusil.

La critique au moment de sa sortie ne le verra pas unanimement de cet œil, y voyant parfois un film abject faisant l’apologie de la loi du Talion. Il s’agit toujours d’une question de paradigme, mais on peut aussi partir du principe que pour raconter l’horreur, un prisme évident est de la montrer dans sa vérité la plus brute et dans sa plus glaçante radicalité. C’est aussi faire œuvre de dénonciation, ou pour le moins qui permet ne pas laisser indifférent. Autrement dit, il s’agit pour le cinéaste davantage de déployer les mécanismes de la violence, plutôt que de glorifier celle-ci.

Purement cinématographiquement, l’effet est dévastateur, particulièrement évidemment la scène où Dandieu découvre le sort immonde et funeste de sa fille et de sa femme avec le massacre au lance flammes en apogée, qui demeure possiblement le plus grand traumatisme du cinéma Français. Encore aujourd’hui, c’est l’effroi et les larmes qui nous envahissent à la vue de l’insouciance brulée par le feu de la barbarie la plus ignoble qui soit. Tout le film va alors jouer sur les effets de contraste prenants, avec les souvenirs heureux d’une vie familiale qui vont venir motiver chaque coup de fusil du médecin qui devient ainsi tueur de nazis. Ces derniers vont aller jusqu’à penser qu’ils sont plusieurs, tant Dandieu connaît chaque recoin de sa maison pour mieux les abattre les uns après les autres. L’iconique Romy Schneider apporte sa grâce et sa lumière au vieux fusil, et c’est toute son insouciance qui vient se fracasser à l’ignominie. Elle est pleinement solaire, comme le personnage de Clara, pour venir donner toute la puissance du récit.

Philippe Noiret y est évidemment profondément inoubliable. Y compris car il se situe cette fois en dehors des codes du cabotinage qui lui sied si bien, avec ce rôle de français moyen d’une époque dans son comportement et bourgeois dans sa condition, qui ne peut que sombrer dans une forme de folie vengeresse. C’est tout son corps qui vient donner vie au personnage de Dandieu. Une interprétation de légende, évidemment récompensée. Il ne faudrait surtout pas non plus oublier, Jean Bouise, éternel second rôle du cinéma Français et à chaque fois d’une justesse folle. C’est une gueule, une voix, un ancrage comme subliminal à nos cœurs cinéphiles. Sans y chercher un traité sociologique sur la construction de la vengeance, si on parle juste de cinéma, Le vieux fusil est une œuvre majeure, qui ne peut laisser indifférent et qui 50 ans après procure autant de bouleversantes émotions. Marqueur d’un très grand film de cinéma !


Titre Original: LE VIEUX FUSIL

Réalisé par: Robert Enrico

Casting : Philippe Noiret, Romy Schneider, Jean Bouise …

Genre: Drame, Thriller, Guerre

Sortie le : 22 août 1975

Distribué par: –

5 STARS CHEF D'OEUVRECHEF-D’ŒUVRE 

Catégories :Critiques Cinéma

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