Critiques Cinéma

SORRY, BABY (Critique)


SYNOPSIS : Quelque chose est arrivé à Agnès. Tandis que le monde avance sans elle, son amitié avec Lydie demeure un refuge précieux. Entre rires et silences, leur lien indéfectible lui permet d’entrevoir ce qui vient après.

C’est l’une des plus belles surprises de la dernière édition cannoise : Sorry, Baby, premier long-métrage écrit/réalisé/interprété par Eva Victor, était diffusé en clôture de la sélection de La Quinzaine des Cinéastes, après avoir déjà connu un joli succès à Sundance en février dernier. Aux termes d’un magnifique ballet à la fois pudique et désopilant auquel Victor prête sa voix et son âme, Sorry, Baby pose, en 1h45, un premier film mémorable à la sensibilité spectaculaire et à l’empathie hors normes. Le film raconte en 5 actes le récit d’Agnes (interprétée par Victor en personne). De façon non-chronologique, on la rencontre d’abord alors qu’elle retrouve sa meilleure amie d’adolescence Lydie (Naomie Ackie épatante) dans la maison qu’elles ont partagée pendant leurs études. Lydie est enceinte, bien installée dans une relation épanouie, et l’on comprend vite que la vie d’Agnes a particulièrement stagné ces dernières années. Malgré le fait qu’elle ait accédé au poste très convoité de ses rêves (enseignante dans son ancien lycée), la jeune femme semble renfermée sur elle-même, solitaire et mal dans sa peau. A travers un chapitrage qui nous envoie dans le passé, notamment pour nous révéler l’épisode avec le « mauvais truc » qui cache les traumatismes de notre héroïne, Sorry, Baby cherche avec son procédé narratif à plonger à l’intérieur de sa protagoniste. Et là où les tampons Sundance et Cannes auraient pu faire penser à un exercice un peu prétentieux et trop symbolique pour que le grand public s’y connecte, Eva Victor signe pourtant une merveille profondément lumineuse à l’humour omniprésent habité par l’âme de sa metteuse en scène – ce qui propulse directement la cinéaste parmi les auteurs et autrices les plus prometteurs de leur génération.

Sorry, Baby est affaire de nuances. Pas vraiment comédie, mais pourtant pure drôlerie à la cocasserie rafraîchissante ; pas vraiment drame, mais pourtant traversée par les stigmates d’une série de traumatismes, filmant la souffrance à travers le silence et les non-dits. Non, Eva Victor trouve un entre-deux précieux, une réflexion incisive et profondément juste sur la rugosité du monde et sur la difficulté à mettre des mots sur ses émotions, une peinture sublime de l’humanité dans ce qu’elle porte à la fois de beauté et de chaos.

Agnes est un personnage passionnant tant il est attachant : elle fait des blagues aux moments où beaucoup s’effondreraient, et la doucereuse écriture de Victor permet un attachement immédiat aux âmes lumineuses qui peuplent la tête du film. A travers ses personnages et les répliques savoureuses qu’elle met dans leurs bouches, la cinéaste applique de son empreinte un récit de reconstruction bouleversant et finement maîtrisé, une plongée audacieuse et cathartique à travers la souffrance humaine, la difficulté de s’accepter et la complexité de rentrer dans une case quand le monde t’y pousse malgré toi.

Sous son humour salvateur qui dédramatise l’impensable, sa pudeur absolue qui impose sa réalisatrice comme un nom à suivre à tout prix et sa justesse tragi-comique spectaculaire, Eva Victor débarque sur le grand écran avec une vision rare, un objet filmique infiniment précieux qui marque par son émotion diffuse tapie dans les silences et qui explose dans les quelques instants monologués les plus dévastateurs. Le tout se clôt sur un monologue final, sorte de drôle et renversante introspection qui met en lumière les marginalisés en remettant en perspective un monde beaucoup trop cruel pour les âmes les plus innocentes. Et on a, aujourd’hui plus que jamais, besoin de cette bienveillance lucide.

Titre Original: SORRY, BABY

Réalisé par: Eva Victor

Casting : Eva Victor, Naomi Ackie, Lucas Hedges …

Genre: Drame

Sortie le : 23 juillet 2025

Distribué par: Wild Bunch Distribution

5 STARS CHEF D'OEUVRECHEF-D’ŒUVRE

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